
La « chronique médias » de Didier Desrimais, c’est la chronique toujours substantielle du Système dans son entier. Car les médias, avec les juges, sont l’un des Pouvoirs bien réels constitutifs de ce qu’on a appelé le Pays légal, le Régime, ou encore le Système selon l’expression gaullienne à juste titre globalisante. Tel est le dernier avatar de la République d’autrefois.
Par Didier Desrimais*.

Cet article de pleine et assez misérable actualité est paru dans Causeur le 23 mai. Didier Desrimais, selon sa méthode, décortique avec grande précision toutes les particules élémentaires de cette actualité. On en ressort informé mais aussi et las de ces figures artificieuses que l’on retrouve toutes un jour ou l’autre sur France Inter, dont Ali Baddou est un des clercs les plus éminents. Là est le pouvoir sur l’opinion et donc sur tout le reste. Ces gens-là pressentent que ça ne durera pas toujours et n’en sont que plus hargneux, que plus sectaires. JSF
Face à la féministe de gauche Laure Murat, le journaliste Ali Baddou, tout en douceur, affirme que l’administration Trump a bel et bien pratiqué cette fameuse cancel culture que le président orange reprochait – à tort – aux progressistes. Pendant ce temps, à Cannes, Laurent Lafitte, Robert De Niret Pierre Niney rivalisent de vertu, rêvant d’être plus irréprochables encore que Juliette Binoche.

Samedi 10 mai. France Inter. 7 h 50. Ali Baddou reçoit l’historienne Laure Murat, professeure à l’université de Californie à Los Angeles.
« Le débat fait rage aux États-Unis entre ceux qui dénonçaient “le wokisme”, une “cancel culture” supposée (sic) de la part de mouvements progressistes, et la “cancel culture” bien réelle qu’est en train de mettre en place l’administration Trump », déclare Ali Baddou qui a oublié, semble-t-il, les nombreuses campagnes wokes des « mouvements progressistes » ayant eu pour but d’effacer des personnes, des disciplines ou des œuvres jugées non selon leur valeur esthétique ou intellectuelle mais selon les critères moraux et idéologiques du wokisme sous toutes ses formes, de la théorie du genre au néo-féminisme, de l’antiracisme racialiste aux thèses décolonialistes, en particulier dans les universités américaines. Les exemples abondent. Rafraîchissons la mémoire de M. Baddou.
2000 ans d’histoire réactionnaire
« J’espère que la matière va mourir, et le plus tôt possible ». Ainsi parlait, en 2021, Dan-el Padilla Peralta, professeur de lettres classiques et d’histoire romaine à Princeton, en accusant la matière qu’il enseigne de perpétuer une « culture blanche ». Le New York Times souligna avec enthousiasme les propos du professeur. De son côté, Donna Zuckerberg, spécialiste de la Rome antique, dénigrait une « discipline qui a été historiquement impliquée dans le racisme et le colonialisme et qui continue d’être liée à la suprématie blanche et à sa misogynie ». Elle appelait à « tout détruire par les flammes ». À la suite de multiples déclarations d’universitaires considérant que la culture gréco-romaine avait été la complice d’un « génocide culturel », l’université de Princeton décida de ne plus rendre obligatoire l’apprentissage du grec et du latin pour les étudiants désirant poursuivre des études de lettres classiques. S’il avait écouté France Culture[1] à l’époque, M. Baddou aurait constaté que ce délire woke avait déjà atteint la France : « On vous ment depuis 2000 ans : non, les statues grecques n’étaient pas blanches, mais de toutes les couleurs. L’Histoire nous l’a caché pour promouvoir le blanc comme idéal d’un Occident fantasmé, contre les couleurs symboles d’altérité et de métissage ». Sur la radio publique, l’historien de l’art Philippe Jockey défendait ainsi l’idée que la blancheur des statues grecques reflétait en réalité l’expression d’un racisme systémique occidental. Selon lui, la polychromie originelle de ces statues avait été intentionnellement effacée des mémoires par les Blancs pour valoriser leur couleur de peau. De là à parler d’une “créolisation” statuaire présente depuis la plus haute Antiquité mais volontairement ignorée par des Occidentaux racistes, il n’y avait que la moitié d’un pas qui fut rapidement franchi : « C’est le résultat de 2000 ans d’une histoire réactionnaire, qui place le blanc au cœur de ses valeurs et rejette l’impur, le bigarré, le métissage des couleurs. » MM. Mélenchon et Boucheron applaudirent de concert.

La romancière française Laure Murat © Philippe Matsas
Sous l’ère Biden, des professeurs de littérature américains créèrent le hashtag #DisruptTexts afin de traquer les œuvres classiques « problématiques », en particulier les tragédies shakespeariennes supposément racistes et misogynes, et de « développer des pratiques d’enseignement antiracistes ». Bien qu’elle s’en défende, l’invitée d’Ali Baddou, Laure Murat, baigne dans le wokisme, ce wokisme qui est « en grande partie un fantasme », selon elle. En affirmant enseigner « la littérature française du XIXe siècle, qui est antisémite, homophobe et misogyne », elle démontre que, loin de parler de littérature, elle impose à ses étudiants une grille de lecture idéologique et anachronique correspondant aux critères wokes. Malgré elle, et sans être un seul instant contredite par Ali Baddou, Laure Murat enfonce le clou et montre qu’elle est imbibée d’idéologie woke lorsqu’elle parle des safe spaces dans les universités américaines,en particulier ceux prévus pour « protéger » les étudiants noirs : « Il y a des efforts qui sont faits pour avoir ce qu’on appelle un environnement “safe”, c’est-à-dire protégé des insultes, des micro-agressions, ce qui demande un effort de tout le monde pour être respectueux. Ça ne me paraît pas être quelque chose de tellement extraordinaire, de tellement scandaleux ! » Éric Fassin et Rokhaya Diallo disent exactement la même chose quand il s’agit de justifier des réunions non-mixtes – sans Blancs – sur le racisme. Le racialisme – c’est-à-dire le racisme remis au goût du jour via une racialisation des rapports sociaux – est un autre versant du wokisme.

L’actrice Juliette Binoche
Guerres culturelles
L’administration Trump a décidé de faire le ménage et de ne plus subventionner les chaires universitaires rongées par les thèses gravitant autour de la théorie du genre et du racialisme. La majorité des « chercheurs » américains que l’université française dit vouloir accueillir sont issus de ces disciplines gangrénées par le wokisme. Présenté par Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen à la Sorbonne, le projet Choose Europe for Science, destiné à accueillir des activistes américains déguisés en chercheurs, se voit doté d’un budget de 600 millions d’euros. Cette somme abondera les budgets d’Horizon Europe et de France 2030, nous apprend l’eurodéputée Catherine Griset (RN) dans une tribune parue sur le site du média Frontières : « Horizon Europe finance généreusement des projets de recherche purement militants : 2,5 millions pour “décoloniser la charia” ; 1,4 million pour analyser “l’oligarchie blanche dans les paradis fiscaux” ; 3 millions pour “débunker les arguments de genre d’extrême-droite” ; 257 000 euros pour l’historiographie LGBT de l’Antiquité. Etc. » Ces projets délirants sont financés avec l’argent des contribuables. Il faut noter que le même organisme public finance, à hauteur de 2,6 millions d’euros, des travaux, appelons ça comme ça, sur « les inégalités de genre dans la transition écologique ». L’écologisme et le wokisme sont les deux grandes maladies totalitaires de cette époque.
Rappelons à M. Baddou quelques faits significatifs révélant un autre aspect de la cancel culture progressiste. Le monde littéraire n’a pas échappé au fanatisme woke. Les Dix petits nègres d’Agatha Christie, par exemple, ont été entièrement réécrits afin d’effacer ce que les Américains appellent le n-word (nigger). Les aventures de Huckleberry Finn de Mark Twain et Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur de Harper Lee, deux livres pourtant foncièrement antiracistes, ont été carrément retirés des rayons de bibliothèques scolaires pour la même raison.
Le roman dystopique American Heart, de Laura Moriarty, avait tout pour plaire. Il raconte en effet la vie d’une Américaine qui va aider une jeune musulmane à s’évader d’un des camps d’internement érigés sur tout le territoire par un gouvernement fasciste (autant dire trumpiste). Beau sujet politiquement correct. Mais, pour certains, il y a un problème : Laura Moriarty a écrit son livre d’un « point de vue blanc » en s’appropriant l’histoire d’une femme musulmane alors qu’elle n’est pas musulmane elle-même – des critiques lui reprocheront sèchement cette « appropriation culturelle » et la Kirkus Review, qui avait d’abord encensé le livre, s’auto-cancellera en effaçant son article.
Jeanine Cummins, l’auteur du best-seller American Dirt, sera la cible de reproches similaires: n’étant pas latina, elle n’avait pas le droit de narrer les aventures d’une libraire mexicaine fuyant les cartels de la drogue, selon des militants antiracistes. Le plus drôle est que Jeanine Cummins a cru pouvoir s’en tirer en affirmant qu’une de ses grands-mères était Portoricaine. Insuffisant, aux yeux des idéologues qui immolèrent son livre et celui de Laura Moriarty sur l’autel de l’inquisition woke.
Après une campagne délirante d’insultes et de menaces, les ouvrages de J.K. Rowling ont été brûlés sur des campus américains au motif que leur auteur serait transphobe. J. K. Rowling avait osé se moquer de l’expression trans « personnes qui ont leurs règles » en rappelant simplement la réalité biologique : seules les femmes ont des règles.
Il est étonnant que M. Baddou n’ait pas entendu parler de ces quelques cas édifiants de cancel culture pratiqués par des mouvements progressistes. Et ce ne sont là que quelques exemples parmi mille. Des éditeurs occidentaux recrutent maintenant des sensitivity readers chargés de relever dans les manuscrits les passages pouvant être perçus comme offensants envers les minorités. En sus de la production sociologisante, pleurnicharde et nombriliste, une sous-littérature inodore et incolore a émergé et été mise en avant par des médias complices participant ardemment au ripolinage des consciences et à la rééducation des masses. Cette sous-littérature fait partie d’une sous-culture woke et progressiste imposée par les médias – à ce propos, la troisième nomination de Delphine Ernotte à la tête de France Télévisions démontre que le système médiatique public n’est pas près d’abandonner son activité propagandiste, militante et sectaire – la publicité et le monde dit de la culture. L’industrie cinématographique, par exemple, est devenue une machine à abrutir et dresser les masses, comme le prouve le festival de Cannes qui n’intéresse en réalité plus personne. Le petit monde cinématographique, wokisé jusqu’à l’os et subventionné jusqu’aux oreilles, a religieusement écouté Juliette Binoche, la sainte des artistes en quête d’engagements sans risque contre « la guerre, la misère, le dérèglement climatique, la misogynie primaire ».Lors de la même messe médiatique,Laurent Lafitte a affirmé, sans rire, que « l’acteur est aussi un citoyen du monde » qui n’ignore pas que « chaque prise de parole est une prise de risque ». Il n’a d’ailleurs pas hésité à se sacrifier en prononçant les « mots interdits par l’administration de la première puissance mondiale » : climat, équité, féminisme, LGBTQIA+, migrants et racisme. Après avoir plaidé pour un cinéma plus « inclusif » et « ouvert au monde », Laurent Lafitte, encouragé par les applaudissements mécaniques d’un public en mode automatique, sombre définitivement dans le ridicule : « S’il y a un endroit au monde où le cinéma citoyen existe, c’est ici, au Festival de Cannes ». Quelques instants plus tard, Robert De Niro se gargarisera avec le même genre d’inepties narcissiques : « Nous, les artistes, sommes une menace pour les autocrates et les fascistes de ce monde. » Ce qu’il ne faut pas entendre…
Les rebellocrates de cinéma se regardent mutuellement le nombril en déblatérant de laborieuses leçons de morale – croient-ils vraiment impressionner le vulgum pecus ? Dieu merci, aucune personne sensée ne prend ces pitres au sérieux. Il n’y a qu’Ali Baddou ou Pierre Niney[2] pour parvenir à écouter Juliette Binoche, Laurent Lafitte ou Robert De Niro sans éclater de rire… ■ DIDIER DESRIMAIS
[1] https://www.marianne.net/medias/statues-grecques-blanches-quand-france-culture-sombre-dans-le-complotisme-indigeniste
[2] Au festival des bondieuseries cannoises, l’acteur Pierre Niney, après s’être réjoui de la condamnation de Gérard Depardieu en espérant que « cela va faire avancer les choses, les mentalités et la justice », a annoncé vouloir travailler pour plus d’inclusion dans le cinéma français. Pierre Niney est en passe de devenir l’acteur le plus vertueux de son temps. S’il veut concurrencer Sainte Juliette, il doit faire encore un petit effort : un mot sur l’immigration qui est une chance pour la France, un autre sur le réchauffement climatique nécessitant de changer de slip le moins souvent possible et, lors des prochaines élections, une ou deux réflexions castoriennes sur le retour des heures sombres et de la bête immonde, et le tour sera joué…

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