
Vous êtes invités à lire la recension de La correspondance de Balzac (éditée par la maison Lévy en 1876) rédigée Jules Barbey d’Aurevilly pour le numéro du lundi 27 novembre 1876 du quotidien Le Constitutionnel.
En fait, figurativement, à travers ce texte, deux artistes royalistes et catholiques dialoguent :
IV.

Car le Cœur humain, — ne vous y méprenez pas, — est aussi exigeant que l’Esprit humain, et peut-être l’est-il davantage… Qui sait s’il n’en a pas le droit ? Si, comme le disent nos Saints Livres, à nous autres chrétiens, Dieu nous a faits à son image, il semble qu’il ait mis plus de lui dans le cœur de l’homme que dans son intelligence, — et c’est pour cela que la Correspondance de Balzac touche, surtout, par les lettres du cœur, qui y sont écrites. Nous avions déjà dans la littérature, des lettres d’amour célèbres et d’un intérêt irrésistible, de cela seul qu’elles sont des lettres d’amour ; mais j’ose le dire, pas un seul de ces recueils de lettres n’a la valeur de celui-ci… Au siècle dernier, on eut les lettres de Rousseau, de Mirabeau, de Mlle de L’Espinasse, mais Rousseau et Mirabeau tachent d’une sensualité, quelquefois grossière, l’amour qu’ils expriment ; Mirabeau surtout, ce porc à longue crinière qu’on prit trop facilement pour un lion, et qui avait roulé son âme dans la fange de toutes les impuretés de son siècle ! Quant à Mlle de L’Espinasse, nature plus ardente que profonde, on sait qu’elle manqua de ce qui fait la gloire de l’amour : la fidélité. Elle aima deux fois… et peut-être trois. (Lisez le rêve de Dalembert, dans Diderot !) Elle ne fut point la Vestale de ce feu sacré du cœur, qui ne doit brûler qu’une fois dans la poitrine des femmes, et ne pas s’éteindre, — dût-il se rallumer !
L’amour de Balzac a une autre noblesse, une autre élévation, une autre profondeur que ces passions plus ou moins coupables, dont l’expression nous troubla encore… Son amour, à lui, n’est ni violemment orageux, ni sensuel, ni morbide. Il n’est pas la crise d’un moment délicieux ou terrible… C’est un sentiment d’une vigueur infinie… Il ne bouleverse pas la vie : il l’exalte et il la soutient. Il ne la désarticule pas ; il s’infuse, au contraire, dans tout l’ensemble de l’existence, et il y répand la lumière, la force et la chaleur. Il en double et triple toutes les facultés. Il est sagace, et non aveugle, comme la plupart de nos amours qui sont d’épouvantables ou de ridicules égarements ; et c’est de la perfection morale, dans la personne aimée, qu’il est épris. « Vous avez (dit Balzac, à la femme qu’il aime), vous avez la sorcellerie à froid. Tout de vous a passé par les examens les plus raisonnés, par les comparaisons les plus étendues et les plus minutieuses, et tout vous a été favorable. » Ah ! le génie qui voit et qui juge se retrouve toujours dans l’amoureux ! Les Aigles n’ont pas ds serres pour se crever les yeux avec…
Tout aigle qu’il fût, Balzac était plus délicat et plus femme que Mlle de L’Espinasse. Il n’a pas laissé éteindre le feu sacré… Chevaleresque, en ces temps modernes et corrompus, ce chevalier de l’amour dans le mariage a, comme les Chevaliers du Moyen-âge, fait une veillée d’armes, mais la sienne a duré toute sa vie… Cœur aussi mâle qu’il était un esprit robuste, il a aimé comme il a pensé… Il fut, d’intellect et de cœur, une équation sublime… Pour avoir la femme qu’il aimait, pour se dégager des dettes qui auraient pu peser sur elle, pour lui offrir une main rachetée, une main royale de pureté, il travailla, deux fois plus de temps que Jacob pour avoir Rachel. Il travailla avec cette furie que peu connaîtront au même degré et qui s’appellera désormais la furie Balsacienne. Il paya de ses veilles et de son sang, qu’il brûla dans une inspiration dont il entretint l’incendie le petit pavillon d’or qu’il voulait étendre sur la tête adorée… Mais c’est toujours histoire de Chanaan ! On n’entre pas dans la terre promise. « Quand la maison est bâtie, — disent les Turcs — la mort entre. » C’est pour cela ajoutait Gautier — qu’ils ont toujours un palais en construction, quelque part. -— Mais ce n’était pas un palais que Balzac, le constructeur des palais de la Comédie humaine interrompue, avait en construction ; c’était cent palais ; et ce n’est pas ces cent palais en construction, qui ont empêché la mort d’entrer ! ■ (Fin.)
À découvrir, de chez Belle-de-Mai Éditions : La Femme de Trente ans

Nombre de pages : 196.
Prix (frais de port inclus) : 21 €.
Commander ou se renseigner à l’adresse ci-dessous : commande.b2m_edition@laposte.net ■