
« LFI exècre la France périphérique, les kermesses, du saucisson à l’apéro et des grands spectacles populaires ».

COMMENTAIRE – Cet entretien du Figaro avec Jérôme Fourquet est paru hier, 12 juillet. La détestation de la France Insoumise pour la France populaire y est clairement démontrée, illustrée. Mais est-elle si différente, cette détestation, de celle qui sourd des paroles et des actes des élites françaises mondialisées, d’ailleurs en retard d’une guerre, comme souvent, à l’heure où le cycle de la mondialisation semble puissamment contrecarré par un vent nouveau, venu d’Amérique et d’ailleurs, et qui imprime à l’Histoire un de ces moments de bascule imprévue dont elle a le secret ? Qui a dit que l’Histoire est la science de l’inattendu ? JSF
Entretien par Ronan Planchon.
ENTRETIEN – La députée Insoumise Sophia Chikirou a relayé une photo de Fabien Roussel applaudissant la 2 CV de Cochonou lors du Tour de France, avec une légende moqueuse. Pour le politologue*, cette publication est révélatrice.
* Directeur du département opinion de l’Ifop, Jérôme Fourquet est l’auteur de « Métamorphoses françaises » (Seuil, 2024).
LE FIGARO. – Sur X, ce lundi, la députée de La France insoumise Sophia Chikirou s’est moquée de Fabien Roussel , secrétaire du Parti communiste, en faisant circuler une image de l’élu communiste en train d’applaudir la caravane publicitaire Cochonou du Tour de France. Comment interpréter cette publication ?
JÉRÔME FOURQUET. – Roland Barthes a écrit en son temps de magnifiques pages sur le Tour de France. Essayons de nous inspirer de ses sémiologies pour interpréter cette séquence. Le « J’ai ri » laconique de l’Insoumise, moquant Fabien Roussel applaudissant la caravane publicitaire du Tour, suinte évidemment le mépris de classe. Mais elle met également en lumière une opposition très marquée entre une France périphérique et une France des grandes métropoles. D’un côté, un paysage provincial accueillant le Tour, précisément Saint-Amand-les-Eaux, près de Valenciennes. De l’autre, un tweet du compte @chikirouparis – signature ressemblant à celui d’une marque de mode élitiste.
Quand on analyse cette photo, que voit-on ? Une 2 CV et une nappe à carreaux emblématique de la marque Cochonou. Dans l’imaginaire collectif, la nappe à carreaux, le saucisson et la 2 CV évoquent les pique-niques lors des congés payés. Règne visiblement une ambiance de kermesse ou de guinguette, comme on peut la trouver à la Fête de l’Huma. C’est l’héritage du Front populaire, des grèves de 1936, que Roussel revendique explicitement – son prénom, Fabien, fait d’ailleurs référence au colonel Fabien, héros communiste, et son programme présidentiel, baptisé « Les Jours heureux », reprenait le nom du projet du Conseil national de la Résistance.
En face, LFI et certains écologistes rejettent cet univers, perçu comme rance, incarnant une « France moisie », pour reprendre la formule de Philippe Solers. Cette gauche veut lui opposer une France régénérée et « créolisée », comme l’a théorisé Mélenchon. Cette même gauche avait également conspué la France incarnée par Jean Dujardin en marcel, béret et baguette sous le bras lors de la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de rugby.
Cette attaque dépasse-t-elle l’affrontement politique entre LFI et le PCF ?
Cette polémique s’inscrit dans une longue série de passes d’armes entre LFI et le PC et des figures comme François Ruffin. En 2023, Sophia Chikirou avait déjà posté une image d’un tee-shirt barré du slogan « Tout le monde déteste Fabien Roussel ». Cette expression rappelle les slogans : « Tout le monde déteste la police » ou « Tout le monde déteste le Front national », une allusion qui mettait un trait d’égalité entre la police, le RN et Roussel.
Chikirou avait par ailleurs comparé Roussel à Jacques Doriot, figure communiste ayant sombré dans la collaboration. Cette insulte était particulièrement blessante pour un communiste sincère. Ces attaques ne visent pas seulement ses positions idéologiques mais ce qu’il incarne : une gauche ancrée dans la France périphérique, celle des kermesses, du saucisson à l’apéro et des grands spectacles populaires. C’est une exécration de son univers.
« La gauche Insoumise est forte dans les métropoles et leurs banlieues, tandis que Roussel et Ruffin restent connectés à une France plus rurale ou ouvrière, où la concurrence du RN est très rude. »
Cette fracture se traduit-elle dans les symboles mobilisés, comme celui de Cochonou ?
Nous assistons en effet à une véritable bataille culturelle à gauche. L’affrontement ne se fait plus uniquement sur le terrain des idées, mais concerne également les modes de vie et l’alimentation. Sandrine Rousseau avait déjà brocardé Roussel quand il avait déclaré apprécier une bonne viande et un bon vin. Chikirou se gausse quand il applaudit au passage de la marque Cochonou, dont le slogan des années 1990 était, on le rappelle : « Le saucisson pur porc, comme on l’aime chez nous », slogan manifestement pas assez créolisé aux yeux de LFI…
Mais ce qui est également critiqué, c’est la dimension commerciale de cet événement. En 2020, le maire EELV de Lyon avait refusé d’accueillir le Tour de France car il le considérait comme « machiste » et « anti-écologique ». Il fustigeait les goodies, les « machins », comme il les qualifiait, jetés par la caravane. Aujourd’hui, Sophia Chikirou rit d’un Fabien Roussel acclamant la caravane publicitaire.
Se lit-elle aussi dans les urnes ?
Cette fracture renvoie à des réalités électorales et sociologiques très tranchées. Les résultats électoraux parlent d’eux-mêmes. Prenons la 6e circonscription de Paris, où Sophia Chikirou a été élue : Jean-Luc Mélenchon y a réalisé 43,4 % au premier tour de la présidentielle de 2022, contre seulement 4,5 % pour Marine Le Pen. À l’inverse, à Saint-Amand-les-Eaux, dont Roussel est le maire, Mélenchon a obtenu 15,8 % et Le Pen 28,2 %. Entre les deux territoires, les scores de Mélenchon varient de 1 à 3 et ceux de Le Pen de 1 à 6, ce qui est considérable. Roussel, lui, a réalisé un score de 20,7 % dans sa ville contre seulement 2 % dans la circonscription de Chikirou. Ces chiffres traduisent des ancrages territoriaux et sociaux très différents : la gauche Insoumise est forte dans les métropoles et leurs banlieues, tandis que Roussel et Ruffin restent connectés à une France plus rurale ou ouvrière, où la concurrence du RN est très rude (Roussel a d’ailleurs perdu sa circonscription l’été dernier).
In fine, les propos de Chikirou donnent-ils raison à François Ruffin, qui accuse LFI d’abandonner une partie de la population sur une base « spatiale » et « quasi raciale » ?
Ruffin, comme Roussel, insiste sur la nécessité de réconcilier « la France des tours et la France des bourgs ». Ils estiment que sans cet électorat populaire rural ou périurbain la gauche ne peut pas gagner. À l’inverse, LFI, sous l’impulsion de Mélenchon, semble considérer que cette France-là est « perdue pour la cause ». Leur stratégie consiste à mobiliser la jeunesse étudiante des grandes villes et les habitants des quartiers, en misant notamment sur des thèmes comme la cause palestinienne pour capter les abstentionnistes. Mais si cette stratégie a permis de faire confortablement élire les ténors de LFI dans ce type de circonscriptions, elle n’a pas encore prouvé son efficacité électorale pour accéder au second tour de la présidentielle et encore moins pour obtenir une majorité à l’échelle de l’ensemble du pays.
Ruffin rapporte dans son livre Ma France en entier, pas à moitié (2024) des propos très durs attribués à Mélenchon, décrivant les habitants d’Hénin-Beaumont avec des termes comme : « Ils transpiraient l’alcool dès le matin », « ils sentaient mauvais », ils sont « presque tous obèses ». Même si ces mots ne sont que rapportés par Ruffin, ils s’inscrivent dans une tendance plus large, illustrée également par le tweet de Chikirou, qui traduit mépris et condescendance envers cette France. Ce discours creuse un fossé, rendant cette gauche de plus en plus indésirable dans de vastes territoires, où elle est déjà faible. ■

Ce ne sont pas seulement les milieux populaires que déteste Mélenchon, c’est la France, son histoire, sa civilisation. Mélenchon, c’est le parti de l’étranger c’est le Jacques Doriot de l’islam et de l’Afrique.