
Par Régis Le Sommier.
« Je rentre chez moi et je dis à la Première dame : ‘‘J’ai parlé à Vladimir aujourd’hui, nous avons eu une merveilleuse conversation’’, a-t-il confié. Et elle me répond : ‘‘Oh vraiment ? Une autre ville vient d’être frappée.’’ »

Ce remarquable journaliste, homme de terrain et de réflexion, grand reporter qui ne hante pas que les plateaux TV mais surtout toutes les zones à haut risque, toutes les zones en guerre ou en conflit de la planète, sait toujours de quoi il parle et le dit en termes clairs, le synthétise de façon simple et exacte. Cet article, de la veine que nous venons de tenter de décrire est paru hier (19.07) dans le JDD.
RUSSIE. Le président américain s’est engagé à fournir à l’Ukraine, via l’Otan, des armes « haut de gamme ». Mais est-ce de nature à peser sur le sort du conflit ? Après avoir longtemps flirté avec Poutine, Donald Trump change désormais de ton. Il a donné cinquante jours à la Russie pour mettre fin à la guerre.

Lance-roquettes Himars, chasseurs F-16, bombes guidées JDAM, missiles de longue portée ATACMS et Storm Shadow, peut-être même des Tomahawk, sans oublier un nombre incertain de systèmes antiaérien Patriot, la liste des armes « haut de gamme » que Donald Trump entend fournir à l’Ukraine semble impressionnante. Elle pourrait laisser penser à un retour à l’ère Biden, l’époque où l’Amérique dépensait sans compter pour contenir la poussée du vieil adversaire russe.
Des armes payées par l’Otan
Premier signe que ces temps sont révolus pourtant : si ce sont bien les États-Unis qui vont fournir les armes, ce ne seront plus eux qui les paieront. Donald Trump a été très clair là-dessus. « Nous allons leur envoyer des armes, et ce sont eux [les membres de l’Otan, NDLR] qui vont les payer », a déclaré lundi dernier le président américain lors d’une conférence de presse avec, à ses côtés, le secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte. « Les États-Unis ne feront aucun paiement. Nous n’achetons pas cet équipement. Mais nous allons le fabriquer, et ce sont eux qui vont le financer. »
Ce revirement vis-à-vis de la Russie qui, on va le découvrir, n’en n’est pas vraiment un, procède d’un authentique sentiment de frustration chez Trump. « Je suis déçu du président Poutine, a aussi déclaré le président américain, car je pensais que nous aurions un accord il y a deux mois, mais ça ne semble pas se concrétiser. » Mais que peut faire Trump si ce n’est menacer en premier le leader russe ? Toutes les armes citées précédemment ont déjà été fournies à l’Ukraine et chacune, ou presque, a été présentée comme un game changer sur le champ de bataille, c’est-à-dire comme atout pouvant faire basculer le conflit en faveur de l’Ukraine.
Pourtant, à chaque fois, rien de cela ne s’est produit. D’abord parce que contrairement à leurs équivalents chez les Russes, ces équipements n’ont jamais été fournis en quantité suffisante pour pouvoir peser sur le sort des armes. Ce n’est pas maintenant que cela va changer, en dépit des velléités guerrières renouvelées des Européens qui n’ont toujours pas trouvé de concrétisation. Par exemple, 5 000 JDAM ou une centaine de Storm Shadow s’apparentent à de la communication. Pour avoir un impact, il faudrait multiplier ces chiffres par dix. Le nombre de chasseurs est limité également, tout comme celui des pilotes formés. Sans compter qu’il est déjà arrivé que Trump décide de fournir des armes à l’Ukraine pour ensuite revenir sur sa décision et interrompre les livraisons. L’une de ses façons préférées de procéder consiste à maintenir le flou chez ses adversaires tout en désemparant ses alliés qui, parfois, ne savent plus trop sur quel pied danser.
C’est la première fois que Donald Trump fixe un ultimatum à la Russie. Mais il est de cinquante jours, un délai jugé « très long » par Kaja Kallas
Il reste la réalité du terrain. En juillet, d’après l’analyse du général (2S) Olivier Kempf, « la Russie a augmenté le volume de ses frappes dans la profondeur. Au contact, sa progression inexorable se poursuit ». Ces derniers jours, les Russes ont ciblé les villes ukrainiennes avec des missiles et des drones dans des proportions jamais enregistrées depuis le début du conflit. « Trump est vraiment énervé contre Poutine. Son annonce de demain va être très agressive », avait prédit, dimanche dernier, le sénateur Lindsey Graham, éternel partisan du « plus d’armes, plus d’interventions » et proche des néo-conservateurs. Il fait partie de ceux qui prophétisent sans cesse le retour du président américain dans le bercail de l’État profond, après avoir longtemps flirté avec Poutine. Mais comme souvent, les intentions de Donald Trump ne sont pas exactement alignées sur celles du Deep State.
C’est certes la première fois que Donald Trump fixe un ultimatum à la Russie. Mais il est de cinquante jours, un délai jugé « très long » par Kaja Kallas, la diplomate en chef de l’Union européenne. « Si Poutine et d’autres se demandent ce qu’il se passera au 51e jour, je leur suggère d’appeler l’ayatollah Khamenei », a déclaré Lindsey Graham. Le problème est qu’il n’est même pas certain lui-même, comme personne sauf peut-être l’intéressé, et encore, de ce que fera son président…
De nouveaux tarifs à 100 %
Coïncidence, ce délai de cinquante jours correspond à peu près aux soixante jours que Vladimir Poutine avait proposés à Donald Trump lors d’une conversation début juillet, pour permettre aux Russes de récupérer davantage de territoires dans les oblasts qu’ils ont déjà en grande partie annexés, avant d’entamer une possible négociation. L’impasse dans les discussions entre Américains et Russes sur l’Ukraine revêt aussi pour Trump un aspect personnel, allant jusqu’à provoquer des divergences au sein même de son couple. « Je rentre chez moi et je dis à la Première dame : ‘‘J’ai parlé à Vladimir aujourd’hui, nous avons eu une merveilleuse conversation’’, a-t-il confié. Et elle me répond : ‘‘Oh vraiment ? Une autre ville vient d’être frappée.’’ »
Tout cela, mis bout à bout, aura forcé Trump à agir. Mais pas, contrairement à ce que Lindsey Graham et sans doute Melania Trump espéraient, à sortir les États-Unis de l’orbite de leur nouvelle relation avec la Russie. « Nous allons imposer des tarifs très sévères si nous n’avons pas d’accord dans cinquante jours : des tarifs d’environ 100 % », a menacé Trump. Là encore, effet théâtral surtout. Même si ces tarifs sont appliqués, ils toucheront des échanges commerciaux qui ne dépassaient pas les 5 milliards de dollars en 2023.
Trump aurait testé Zelensky sur sa capacité à frapper Moscou
Pourtant, d’autres confidences faites par Donald Trump révèlent qu’il n’est peut-être pas si passif qu’il en a l’air. D’après le Financial Times, il aurait encouragé Volodymyr Zelensky à faire en sorte que « les Russes ressentent la guerre », le poussant à utiliser les armes de longue portée, en lui demandant s’il se sentait capable de frapper Moscou et Saint-Pétersbourg. On sait que l’expression « les Russes ressentent la guerre » a été utilisée pour la première fois par le même Volodymyr Zelensky qui a répondu : « Absolument, nous le pouvons, si vous nous donnez les armes. » Ce dernier va-t-il mettre son souhait à exécution ? Pour le moment, il a surtout remercié Donald Trump. Ne pas assez avoir dit assez merci lui avait été reproché par le vice-président J. D. Vance, lors d’une fameuse rencontre à la Maison-Blanche en mars dernier. ■ RÉGIS LE SOMMIER
Aussi respectable que soit M. Le Sommier, je trouve son analyse plus superficielle et anecdotique, moins structurée que celle proposée par François Martin dans le dernier LSP en date chez TVL :
https://www.youtube.com/watch?v=gFYTFaoOISM
Illustration à propos du sénateur Lindsey Graham : M. Martin le qualifie justement de serpent à sonnettes. Des USA, j’entends dire qu’il est le personnage le plus méprisable de la politique étatsunienne. Une mouche (à m…, à charogne) du coche, une langue de vipère corrompue. Comment M. Le Sommier peut-il l’associer à Melania Trump ?
Plus généralement, il me semble nécessaire de souligner la fragilité croissante des Institutions Internationales résultant, principalement de l’arbitraire grossier des USA, illustré, en particulier, par les veto US couvrant la violation par Israël de plus de cent résolutions le concernant. L’alignement français sur les positions US, systématique depuis plus de 20 ans et piteusement réaffirmé par Macron et son CEMA me semble de nature à parachever le discrédit desdites Institutions et à y saborder notre siège au Conseil de Sécurité. Aux yeux du monde, quelle peut-être l’utilité d’un dispendieux théâtre sans suspense, où chaque jour se rejoue une immuable liturgie, d’où les trublions-stars, « à la de Gaulle », ont disparu ? Comment ledit siège pourrait-il survivre à la réforme de l’ordre global qui pointe à l’horizon ?