
« Comment faire coexister des univers de référence antagonistes ? Cela tient de la gageure. Dans les discours, c’est commode ; mais il en va différemment dans les pratiques quotidiennes. »
Entretien par Eliott Mamane.

Cet entretien est paru dans Le Figaro du 25 juillet. Quelle que soit la capacité de déni des auteurs, diffuseurs, adeptes serviles de la doxa dominante — élites médiatiques, politiciennes, intellectuelles de tous ordres —, il devient difficile d’occulter la réalité du racisme antiblanc : actif, agressif et meurtrier, partout en France, fût-ce sous l’appellation d’« antiracisme », affectionnée par les diverses catégories de bobos, vivant par ailleurs leur vie de privilégiés, à l’abri du phénomène qui touche les Français ordinaires. De cette situation, François Bousquet est un observateur particulièrement efficace, comme le montre cet entretien intéressant. ■ JE SUIS FRANÇAIS
ENTRETIEN – Dans son dernier essai, le journaliste et écrivain François Bousquet s’est penché sur un tabou : le racisme antiblanc. Selon lui, si la majorité des chercheurs et des sociologues estiment que ce phénomène n’existe pas, c’est parce qu’ils refusent de s’y intéresser.
François Bousquet est journaliste et écrivain. Il participe à la revue Éléments. Il vient de publier Le racisme antiblanc : l’enquête interdite (éditions La Nouvelle Librairie).

FIGAROVOX. En introduction, vous accusez la gauche d’un « antiracisme à géométrie variable ». Elle ne s’intéresserait notamment pas aux discriminations à l’encontre des personnes blanches. Qu’entendez-vous par là et pourquoi avoir écrit sur ce sujet dans le contexte actuel ?
François BOUSQUET. – Dans l’imaginaire pavlovien de la gauche, le racisme est le péché des péchés, mais il est à sens unique. Les rôles sont distribués une fois pour toutes : il y a les dominants et les dominés, les Blancs et les racisés, les éternels oppresseurs et les perpétuelles victimes. Celui qui remet en cause ce manichéisme est aussitôt excommunié pour hérésie sociologique. L’antiracisme fonctionne comme une mécanique dogmatique, avec son clergé médiatique, ses inquisiteurs de plateau et ses tribunaux d’exception. On l’a vu à Crépol où une dizaine de témoignages évoquent des propos explicitement racistes, mais que la justice s’acharne à ne pas voir. Pourquoi ? Parce que le racisme antiblanc n’entre pas dans la grille de lecture officielle. Il est inclassable, donc inavouable. La réalité est pourtant tout autre. Je la documente à partir d’une quarantaine de témoignages, dont certains saisissent à la gorge. Or, une majorité de chercheurs et sociologues ne cherchent pas le racisme antiblanc ; ne le cherchant pas, ils ne le trouvent pas. Le déni est devenu pour eux une discipline olympique. Alors qu’il suffit de passer une heure sur les forums de discussion, les réseaux sociaux, les plateformes fréquentées par les adolescents, pour voir à quel point le racisme antiblanc est omniprésent, diffus, ordinaire, souvent banalisé, toujours impuni. J’ai voulu corriger cet angle mort médiatique et montrer qu’il relève d’un aveuglement volontaire.
Vous soutenez que, lorsque portée par la gauche, la notion de « racisme systémique » est une imposture morale. Mais vous citez l’un de vos témoins (Pascal) qui estime que les Blancs sont victimes d’un racisme systémique en Europe. En quoi consiste-t-il ? Ne convient-il pas de différencier les éventuelles discriminations dites institutionnelles du rejet des personnes blanches dans certains quartiers ?
Je crois qu’il faut renoncer à ce concept délirant de racisme systémique, apparu très récemment dans le débat public, mais devenu hégémonique. Il postule que tous les Blancs, sans distinction de rang ou de fortune, perçoivent le dividende de leur blancheur dans une société structurée par des normes blanches intrinsèquement oppressives. Il repose sur une collection d’études biaisées, avec un usage sélectif des statistiques : elles sont brandies quand il s’agit de dénoncer les contrôles au faciès, mais deviennent immédiatement taboues dès qu’un Éric Zemmour ose dire que «la plupart des trafiquants sont noirs ou arabes». Dans un cas, c’est de la science ; dans l’autre, un délit. On pourrait poursuivre la liste. Que fait l’Arcom, sinon comptabiliser la présence médiatique d’individus « perçus comme » Blancs, Noirs ou Arabes ? Le lexique est en lui-même orwellien. La vérité, c’est que, s’il doit y avoir quelque chose de «systémique» – mot contestable parce qu’il présuppose une mécanique sans faille –, c’est l’antiracisme institutionnel traquant jusqu’au plus infime soupçon de discrimination, fût-il imaginaire ? Par quelle étrange torsion mentale un système prétendument raciste consacrerait-il tant d’énergie à démontrer qu’il ne l’est pas ?
« Bobo Sapiens est devenu un type social comme le bourgeois prudhommesque pouvait l’être au XIXe siècle. Il fuit la mixité – sociale, ethnique, scolaire, résidentielle – qu’il promeut partout ailleurs. »
Quant au témoignage de Pascal – qui évoque un racisme antiblanc « systémique » –, il faudrait plutôt l’entendre dans un autre registre : celui d’un racisme antiblanc que l’on pourrait qualifier « d’atmosphère ».
N’avez-vous pas une tendance à l’essentialisation, par exemple lorsque vous soutenez que les bobos parisiens, en apparence progressistes, atteignent rapidement leur « seuil de tolérance ethnique », ce qui expliquerait le manque de diversité dans leurs relations sociales ?
Je n’essentialise pas les bobos, ce sont eux-mêmes qui s’en chargent très bien avec une constance qui force l’admiration. L’affaire de l’implantation du Carrefour City dans le très chic VIe arrondissement l’a illustré jusqu’à la caricature. Bobo Sapiens est devenu un type social comme le bourgeois prudhommesque pouvait l’être au XIXe siècle. Il fuit la mixité – sociale, ethnique, scolaire, résidentielle – qu’il promeut partout ailleurs. Ces populations nanties de tous les privilèges s’octroient une dérogation au régime commun, en sanctuarisant leur mode de vie dans des zones franches à l’abri du vivre-ensemble. L’hémisphère gauche de leur cerveau ignore superbement ce que fait l’hémisphère droit suivant un classique biais cognitif qui mêle à des postures moralement confortables des impostures socialement inavouables.
Vous critiquez un « multiculturalisme black-blanc-beur » qui, au nom de la tolérance, ignorerait l’état de la délinquance dans certains quartiers : « On nous vendait un monde sans frontières, on découvre un marché ethnique où chacun défend son territoire, écrivez-vous. » Le problème n’est-il pas plutôt le manque de références culturelles communes, ce qui semble décorrélé de l’appartenance ethnique en tant que telle ?
Ce sont d’abord des différences culturelles qui organisent les fractures identitaires, comme l’a magistralement démontré Hugues Lagrange dans Le Déni des cultures, ouvrage qui a été cloué au pilori à sa sortie en 2010, où le sociologue analysait l’ethnicisation progressive de la société française. Il a fallu toute la puissance de l’euphémisation médiatique pour en neutraliser le constat.
Peu importe que les races soient biologiquement inconsistantes ou scientifiquement périmées : en politique, ce ne sont pas les faits qui gouvernent, mais les représentations. Que cela plaise ou non, la race convoque l’un des mythes archaïques les plus puissants : celui du sang. Nul besoin d’uniforme quand l’uniforme, c’est la couleur de peau. Dans les univers adolescents que j’ai explorés, c’est le dénominateur – et le détonateur – commun. Ce qui se joue dans cette « guerre des yeux », c’est l’affrontement d’appartenances tribales et tripales prépolitiques. Je suis le premier à le déplorer, mais je suis bien obligé d’en prendre acte. Les lignes de front de ce «choc des civilisations» sont d’abord domestiques, pas géopolitiques : elles s’observent dans les cours de récréation, la rue ou sur les terrains de foot. Là où l’intellectuel voit une diversité harmonieuse, l’adolescent voit une ligne de démarcation.
Comment faire coexister des univers de référence antagonistes ? Cela tient de la gageure. Dans les discours, c’est commode ; mais il en va différemment dans les pratiques quotidiennes. Ce qui prévaut, c’est l’hostilité. Or, la réponse spontanée à l’hostilité, c’est le séparatisme. «White flight» d’un côté, la fuite des Blancs donc, jusque dans les logiques feutrées de gentrification ; et de l’autre communautarisation, replis identitaires et ghettoïsation autant choisie que subie. Chacun instaure des gestes barrières culturels, ethniques, religieux – une distanciation sociale à base de défiance mutuelle.
Oui, le fond de l’affaire est culturel, mais il est inséparable d’une logique de perception immédiate : la couleur de peau agit comme un réducteur instantané d’identité. Elle s’impose avant tout le reste. C’est le legs du multiculturalisme : vouloir abolir les frontières et réinventer la guerre des tribus. ■ ELIOTT MAMANE

Le racisme antiblanc 21,90
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