

Alors que L’Ensorcelée, votre roman-feuilleton de cet été, se terminera dans trois jours – le 14 août – nous souhaitons vous proposer un passage savoureux et profond des Souvenirs de Léon Daudet, sur le personnage et l’auteur flamboyants que fut Barbey d’Aurevilly. Echo de rencontres vécues, puisque Léon Daudet connut Barbey dès son enfance, aux côtés de son père, Alphonse Daudet. Profitons de cette occasion pour tirer notre chapeau à Rémi Hugues pour avoir choisi ce superbe ouvrage, ce roman, dont il a également assuré la publication quotidienne dans nos colonnes, pendant 4 semaines. Bonne continuation ! JSF

« J’ai prononcé le nom de Barbey d’Aurevilly. Le public a été deux fois injuste envers lui : d’abord en ne lui accordant pas la considérable place à laquelle il avait certainement droit ; ensuite en grossissant sa légende de dandy ridicule, au détriment de son singulier génie.
Quoi qu’on ait raconté sur ses origines, Barbey d’Aurevilly, au temps de Lemerre, avait une héroïque noblesse, une allure, un ton et des mots inoubliables.
… Le maître du Chevalier des Touches et de Vieille Maîtresse inspirait au gamin que j’étais une profonde admiration.
Un jour d’hiver, par un froid sec, mon père l’emmena, de chez Lemerre, jusqu’à un restaurant des Champs-Élysées, encore ouvert et bien chauffé, dont je ne me rappelle plus le nom. Tous deux parlaient vivement de Flaubert, que défendait avec passion Alphonse Daudet, qu’attaquait avec passion Barbey d’Aurevilly. Je marchais à côté d’eux, très attentif et intéressé, car Flaubert, chez nous, était roi.
Une fois installés : “Que prenez-vous ?…” — “Du Champagne”, répondit d’Aurevilly comme il aurait dit : “De l’hydromel.”
Vieux guerrier édenté, au verbe sifflant et irrésistible, il avala coup sur coup quatre, cinq verres de cet argent liquide et mousseux. Puis il se mit à parler, si fort et si bien, que la caissière émue ne le quittait pas du regard. Mon père lui donnait la réplique. Le soir venait. On alluma le gaz et, au bout d’une heure environ, étant derechef altéré, ce démon de Barbey redemanda : “Une seconde bouteille de Champagne, madame, je vous prie.” J’étais émerveillé.
Il portait ce jour-là, pour cette prouesse improvisée, un grand manteau noir flottant, doublé de blanc, et le fond de son chapeau haut de forme était de satin écarlate.
…Il avait en horreur certains contemporains, pour la mollesse de leur style ou la vulgarité de leurs idées. D’où son mot célèbre, au sujet du plus prolixe d’entre eux : “Ses parents, mossieur, vendaient de la porcelaine. Lui, c’est un plat.” Mais il était tout indulgence et bonté envers les petits confrères laborieux et miteux, qui font péniblement leur chemin dans le journalisme. … Somme toute, une admirable personnalité, un diamant que rien ne pouvait rayer, sinon un autre diamant de même taille et de même clivage. »
Léon Daudet
Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux, section Fantômes et vivants.
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Jules Barbey d’Aurevilly (1808–1889) est un écrivain et critique français, célèbre pour son style flamboyant et son regard acéré sur la société du XIXe siècle. Marquis de son état, il est l’auteur de romans marqués par le romantisme noir et le mysticisme, tels que Le Chevalier des Touches et Une vieille maîtresse. Son œuvre explore les passions humaines, souvent teintées de décadence et de révolte contre les conventions bourgeoises. Barbey d’Aurevilly fut aussi un polémiste redouté, défendant une vision aristocratique et catholique du monde. Son influence se retrouve chez de nombreux écrivains ultérieurs, bien que son style parfois jugé excentrique ait suscité controverse et admiration.
Note rédigée à partir de données universitaires courantes.
Grace à vous je relis avec plaisir La Varende, Maupassant et , évidemment , Barbeyd Aurevilly, tous ces écrivains qui nous remettent en bouche notre pays.
Je précise tout de même que Brbey n’est pas délaissé par l’édition.
Ses oeuvres romanesques complètes figurent, en deux tomes, au catalogue de La Pléiade…