
Par Antoine Viso.

Le sommet tant attendu échoue à satisfaire les adeptes des séries télévisées qui pensaient que le conflit serait réglé en une poignée de main chaleureuse dans le grand Nord. En réalité, celui-ci marque surtout l’officialisation de l’ouverture des négociations entre les deux Grandes puissances.
En effet, face à la consolidation des positions russes, rendant une reconquête ukrainienne improbable, et malgré la réalité du contrôle du terrain, Poutine ne rencontrait jusqu’à présent que l’effarouchement occidental soudé autour d’un soutien quasi fanatique à un président ukrainien refusant toute concession.
La réouverture du canal diplomatique est désormais actée.
Les États-Unis, qui soutenaient l’Ukraine jusqu’à présent, refusaient de concevoir le point de vue de la Russie, opposée à l’immixtion de l’OTAN dans son glacis ex « soviétique », et ne reconnaissaient que le narratif de l’agression russe injustifiée, pilotée par un président sanguinaire. Ce narratif, parce qu’il impliquait un décalage trop élevé avec la réalité, a disparu avec la seconde administration Trump, qui n’a pas manqué de sermonner Zelensky pour son attitude jugée belliciste lors de leur rencontre du 28 février.
Le sommet en Alaska témoigne ainsi d’un retour au réalisme américain en matière de relations internationales, sortant de la simple bataille hollywoodienne entre les démocraties et les tyrans.
Néanmoins, l’ouverture américaine, si elle peut témoigner d’un retour à ce pragmatisme, cache difficilement les contradictions de Washington, marqué par l’inconstance de ses positions à l’international, basculant, d’une administration à l’autre, de la guerre froide au tutoiement amical.
Un sentiment renforcé par l’absence de résultats concrets. Le sommet se termine sur deux brèves allocutions, et sans annonces aussi spectaculaires que la mise en scène trumpienne pouvait le laisser entrevoir. Or ce décalage entre la communication et les résultats politiques immédiats risque fort, à la longue, d’éroder la crédibilité de l’homme d’affaires et la valeur de ses déclarations.
Poutine, qui fut davantage loquace que son homologue, ne fait que profiter ici des conséquences des revirements occidentaux successifs, qui ne passent que pour des effets d’annonce, et pourraient renforcer le mépris des BRICS à l’égard d’un Occident pour qui la démocratie est devenue l’art de gesticuler – ou de “macroner”, comme disent les Ukrainiens.
Plus encore, le repositionnement américain résonne comme l’aveu d’un déclin établi de son complexe industriel, qui n’est pas parvenu à soutenir efficacement l’effort de guerre ukrainien, et d’un échec diplomatique à l’égard des BRICS, qui se montraient réticents à condamner l’agression et à suivre la position occidentale.
En déguisant tout cela sous l’apparence de l’arbitrage du conflit par une Amérique forte, au-dessus de la mêlée, qui ne tutoie que les autres puissances nucléaires, Trump cache ce qui est, pour les États-Unis, une réelle concession à l’égard de son homologue russe, qui ne s’est pas écroulé sur les plans économique et industriel.
Le fait le plus notable, émanant des allocutions elles-mêmes, est le souci partagé de reprendre un autre dialogue : le partenariat économique. L’Alaska est, comme l’a souligné Poutine, aux portes de l’Arctique, devenue zone stratégique pour les ambitions économiques des deux puissances. Il s’agit sans doute de la plus grande morale du sommet : pourquoi faire la guerre quand on peut faire du commerce ?

Ainsi, la deuxième victoire russe (qui n’est qu’une promesse pour le moment) est bien la perspective d’investissements américains et la reprise des échanges commerciaux avec Washington, qui permettraient à la Russie de sortir de l’économie de guerre et d’une dangereuse dépendance à la Chine et à l’Inde dans son commerce extérieur.
Les Européens, eux, restent sclérosés dans le ridicule grotesque de la bataille démocratique, qui, tout en restant dangereuse lorsqu’elle brandit des semblants de menaces à l’égard de la puissance industrielle et nucléaire russe, sonne désormais comme des enfantillages à l’ombre des discussions de paix cordiales entre les deux Grandes puissances, qui apparaissent comme les adultes responsables discutant de l’avenir de l’Europe.
En somme, la Russie, jusqu’ici isolée de l’Occident, gagne une victoire décisive dans la reconnaissance de son narratif et l’inflexion de la diplomatie américaine, qui se veut arbitre de l’ordre européen, tout en laissant entrevoir la fin des sanctions et, peut-être, de la guerre. ■ ANTOINE VISO
Poutine est allé déposer des fleurs à un mémorial de soldats russes morys en Alaska..