
L’avènement de la France de demain ?
Par Gabriel Robin.
Cet article terrifiant sur l’infinie capacité de déchéance des humains, du moins de certains d’entre eux, est paru hier (22.8) dans Causeur. Déchéance mortifère en la circonstance qui nous montre à quel point l’Eglise catholique a eu raison de parler de « culture de mort » s’agissant des sociétés qui connaissent ou même favorisent de telles horreurs. Qu’elles deviennent des faits de société et plus seulement de terribles dérives individuelles, discrédite à coup sûr les systèmes politiques, les idéologies, les penchants et vices élitaires qui y conduisent. Il n’est pas utile d’en dire davantage. Sauf qu’un retour aux équilibres de la nature profonde en bonne santé ne nous paraît point du tout improbable. Je Suis Français
L’histoire de Jean Pormanove se confond avec celle de ce début de XXIe siècle ; où, entre retour du refoulé primitif et voyeurisme numérique, les personnages monstrueux – au sens étymologique du terme – ont droit à leurs quarts d’heure de gloire sous les yeux avides d’une population en quête d’échappatoires à son morne quotidien. Ces monstres accèdent à l’éternel par le « meme » et la caricature, alimentant le gigantesque égrégore totémique de l’intouchable bêtise contemporaine. Il est tabou de le dire : nous dérivons dangereusement vers l’abrutissement total. La culture de masse a toujours porté en elle le germe totalitaire, elle a servi son avènement à toutes les époques et sous tous les régimes. Voici qu’elle est désormais l’apex de notre monde. Autrefois simple outil de contrôle, elle est raison de l’Être du monde.
Les streamers du Lokal, équipe d’influenceurs-gamers à laquelle appartenait le défunt Jean Pormanove, incarnent bien ce nouveau lumpendéraciné mais bien ancré dans l’air du temps. Ses membres ponctuent toutes leurs phrases d’un wallah sisi la famille et utilisent tous les ressorts de la victimisation larmoyante comme de la violence débridée. Ils pratiquent la « hagrah pour le buzz », soit l’humiliation de pauvres hères comme Jean Pormanove afin de gagner des dons, parvenant à générer des centaines de milliers d’euros de revenus par an grâce à un public fidèle. Leur émission diffusée sur la plate-forme Kick, version trash de Twitch accordant une plus large part de gains à ses vidéastes, réunissait parfois des dizaines de milliers de personnes désireuses de voir « Jp » et « Coudoux » se faire « bolosser » par Naruto Vie et Safine. Certains internautes regardaient même cette émission de soft torture porn avec leurs enfants de deux ans, quand d’autres prétendaient être sortis de leur dépression grâce à ce « divertissement » débilitant qui ferait passer feu le Jerry Springer Show pour un numéro spécial d’Apostrophes.
Les titres des « concepts » disaient tout. Il y avait ainsi « Questions pour un mongol », durant laquelle Jean Pormanove devait répondre à des questions de culture générale basiques sans se tromper. En cas d’échec, l’ancien caporal messin recevait des calbotes dans la nuque ou des sauts d’eau façon water boarding improvisé entre dealers de bas étage. « Des chiffres et des Illettrés » était du même acabit, mais requerrait des participants de savoir épeler des mots simples de niveau CP-CE1. Au bout, toujours – pour le plus grand plaisir d’une assemblée de beaufs azimutés, de pervers du 18-25 à photos de profils de jeunes soubrettes japonaises et de racailles de banlieue se prenant pour Vegeta entre deux « rappels religieux » -, des humiliations verbales et physiques pour Jean Pormanove et Coudoux, les « cotoreps » du show. Un concept bien rodé et très rémunérateur… qui a trouvé une tragique issue ce week-end.
Au cours d’un « live » de plus de 10 jours, mettant aux prises les deux « cassos » sous bonne garde de deux autres « cassos » plus vicieux, Jean Pormanove a trouvé la mort dans son sommeil. La France entière en fut le témoin. D’abord les milliers de gens qui suivaient religieusement l’émission, y trouvant la chaleur d’une communauté soudée et son langage spécifique. Enfin, nous autres. Le concept de cette émission était de pousser JP et Coudoux à terminer un jeu particulièrement difficile. Epreuve d’autant plus vicieuse que les deux hommes… étaient en réalité de piètres joueurs. Naruto Vie, Safine, Trois Cheveux et Gwen leur ont fait subir de multiples avanies durant ces trois-cents heures de télé-réalité. Ils ont été forcés de se maquiller en prostitués travestis, moqués, insultés, frappés, étranglés, etc.
Pour les encourager, quelques célébrités dont les footballeurs Bradley Barcola – principal donateur de ce live -, Adil Rami ou encore Aubameyang de l’Olympique de Marseille. Bien sûr, Jean Pormanove n’est pas mort en raison des coups, comme vient de le confirmer l’autopsie. Il souffrait d’une pathologie cardiaque et avait une hygiène de vie semble-t-il déficiente, peut-être consommait-il aussi des toxiques et excitants ; mais la question principale que soulèvent ces sinistres spectacles n’est pas là. Elle est plutôt de savoir comment des spectacles aussi abrutissants et sadiques peuvent réunir des centaines de milliers de gens prêts à payer. Par ailleurs, pourquoi cela n’a-t-il pas été interdit par l’Arcom ?
Après de multiples signalements, l’émission avait cessé d’émettre en janvier. Ni JP ni Coudoux n’avaient porté plainte pour violence, tenus par la fausse amitié communautaire, l’esprit de famille clanique propre à la sous-culture des cités dont sont issus les animateurs… comme par les importants revenus générés qui leur avaient permis d’atteindre des standards de vie sans commune mesure avec ce que leur milieu de naissance comme leurs capacités intellectuelles leur promettaient.
A la croisée des cultures geek, racaille et punks à chiens, le « Lokal » est le reflet d’une époque ; un miroir tendu bien à la face d’une société en voie de déliquescence. « Je suis pas violent, mais si tu me traites de violent, je vais te taper », nous dit-elle. Tous ces ados qui regardaient le Lokal auront d’ailleurs sûrement l’occasion d’éprouver leurs connaissances en hagrah apprises sur la chaîne à la rentrée. Et peut-être même leurs parents, puisque les familles des animateurs intervenaient parfois sur la chaine, mettant même la main à la patte ! Le père de Naruto Vie, de son véritable nom Owen Cenazandotti, étant de son côté un élu local plutôt divers droite de la ville de Drap (06). L’homme s’est dit peiné par la mort de JP, véritable membre de la famille… et excellente source de revenus désormais éteinte. Personne ne s’est jamais dit que gagner de l’argent en aspergeant un homme de vomi était indécent et inconcevable. Pour eux, il s’agissait même d’une œuvre, d’une bonne cause. Ils n’étaient même pas convaincus de leur culpabilité. Tout au contraire sûrement. Et c’est bien le plus effrayant.
Le monôme des zombies de Pauwels a accouché d’une horde de gobelins et de trolls. Des gamins trop gâtés qui auraient sûrement eu besoin de prendre les claques qu’ils donnaient à leurs boucs-émissaires. Ils sont les nouveaux rois d’une populace ensauvagée pourtant sincèrement convaincue de sa grande humanité. ■ GABRIEL ROBIN