
« On peut dire que la mise à l’écart des Européens dans les derniers développements de l’affaire d’Ukraine n’a pas été volée. Trump et Poutine leur vouent un immense mépris. Ils ont tout fait pour le mériter. »
Par Roland HUREAUX.
Ce très remarquable article est paru le 27 juillet, dans Front Populaire. Nous le livrons à la sagacité des lecteurs de Je Suis Français qui y reconnaîtront pour l’essentiel la ligne que nous suivons ici depuis trois longues années qu’a duré et dure encore la crise dite « ukrainienne ». Il nous semblait écrit, à raison de l’expérience de l’Histoire des 80 dernières années (1945-2025) que Russes et Américains finiraient par s’entendre dans cette affaire sur le dos de tous les autres. C’est plus long que prévu (par Trump) mais en cours. JSF
CONTRIBUTION / OPINION. Un « camp du Bien » apôtre de la guerre et un « empire du Mal » qui veut la paix ? Pour l’essayiste Roland Hureaux, si cette « grande inversion » correspond à l’esprit du temps, elle n’en constitue pas moins une curiosité de l’Histoire.

Notre temps est à l’inversion. Ce n’est pas nouveau : inversion des pôles en physique, renversement des situations au théâtre… L’Évangile est plein d’inversions : « les premiers seront les derniers, les derniers seront les premiers », pour n’en citer qu’une. Mais l’Europe d’aujourd’hui en offre un cas d’étude singulier : les gentils veulent faire la guerre, nucléaire éventuellement, les méchants, ou ceux que l’opinion tient pour tels, veulent faire la paix. Nous nous référons à la question de l’Ukraine, qui revient à l’ordre du jour avec l’accalmie, au moins provisoire, au Proche-Orient.
Trump et Poutine
Trump et Poutine comptent aujourd’hui parmi les personnes les plus haïes du monde, en tous les cas de la presse occidentale et, sous son influence, d’une partie de l’opinion. Tous les qualificatifs à même d’exciter l’hostilité à leur encontre ont été dégainés : fascistes, voire nazis (l’absurde signe « égal » entre Poutine et Hitler a été incrusté dans les têtes d’une part importante des Occidentaux), salauds, dictateurs, misogynes, racistes (surtout Trump), criminels (surtout Poutine), impérialistes, etc. Une incitation permanente à la haine que pourtant aucun tribunal ne sanctionne.
Ce qui se dit pour enfoncer le clou un peu plus au sujet de l’un et de l’autre confine à l’absurde. Poutine est malade, il est fou, les Russes voudraient le voir démissionner, la Russie sortira ruinée de la guerre (mais pas l’Europe occidentale !), il fait assassiner ses opposants. Cette question des prisonniers politiques, voire des assassinats politiques, mérite une explication. Ceux attribués à tort ou à raison à Poutine sont moins d’une dizaine en 25 ans, le dernier étant le malheureux Navalny que Poutine aurait été assez maladroit pour empoisonner le jour de son apothéose électorale et militaire . On dit aussi, qu’il y aurait des milliers de prisonniers politiques en Russie, sans citer un seul nom . Et Trump ! Ce serait un détraqué, un violent, un raciste, un misogyne, un agent russe, etc. L’un et l’autre prépareraient l’ordre moral à la régression vers un nouveau Moyen-Âge et la fin de la démocratie.
Alors que tous les deux ont été élus avec une large majorité dans un scrutin, sans doute imparfait mais ouvert, on dit qu’ils sont des dictateurs, ils sont en train de tuer la démocratie et la liberté. Misère de la science politique, on ne fait pas la différence entre eux et Xi Jinping qui, lui, est bien pire qu’un dictateur : le chef d’un Etat totalitaire.
Trump homme violent et fauteur de guerre ? Tous les présidents des Etats-Unis depuis 1945 ont déclenché des guerres. Avec quelques nuances : Nixon a fait la paix au Vietnam, après en avoir durci la dernière phase, Carter a surtout subi, Reagan n’a attaqué directement que l’ilot de Grenade. Tous les autres (Kennedy, Johnson, Clinton, Bush père et fils, Obama, Biden) ont déclenché un ou plusieurs conflits. Le record appartient à Obama, prix Nobel de la paix, à l’origine d‘au moins 4 guerres : la Syrie, la Libye, le Yémen et l’Ukraine (où la guerre commence en fait avec la prétendue révolution de Maidan de 2014 pour laquelle la CIA a avoué avoir dépensé 5 milliards de dollars). Trump, lors de son premier mandat n’a attaqué personne et a terminé trois guerres : la Syrie, l’Irak et l’Afghanistan où il a entamé un dialogue avec les talibans qui devait aboutir avec son successeur ; il a pris contact avec la Corée du Nord : on le lui reproche, mais pour faire la paix, il faut bien parler à ses adversaires !
Réélu, Trump veut faire la paix en Ukraine par un dialogue direct avec Poutine. Malgré quelques délais qui sont l’effet des marchandages en cours, mais aussi des interférences que l’on verra, Poutine aussi veut faire la paix. Les affreux !
Le camp des bons
En face, se trouvent tous ceux qui se disent démocrates, libéraux, sociaux, antiracistes, « ouverts », dirigeants ouest-européens ou démocrates américains, fiers de se situer aux antipodes des « fachos ». Travaillistes anglais, féministes scandinaves, écologistes allemands, macroniens français, tous n’ont aujourd’hui qu’un seul but : faire échouer les pourparlers de paix entre Trump et Poutine. Ils veulent qu’on continue à envoyer des armes à l’Ukraine car ce serait moral, qu’ainsi se trouve prolongé sans aucun espoir de succès un conflit qui a déjà fauché une partie des jeunesses ukrainienne et russe et qui continuera donc de le faire, pour rien, si on ne cesse pas d’envoyer des armes à Zelensky. Mais tout cela importe peu à ces grandes consciences.
Mise en échec des pourparlers, ces bons apôtres y ont presque réussi. Toujours armé par les Européens, Zelenski affiche des exigences irréalistes qui conduisent Poutine à l’idée que la seule issue viendra de la force, ce qui serait un camouflet pour Trump.
Il faut voir à qui on a affaire : les mêmes idéalistes défendent les immigrés contre les méchants qui voudraient les renvoyer ou à tout le moins contrôler l’immigration. Ils tiennent ce contrôle pour une forme de racisme ; or ils sont hostiles à toutes les formes de racisme. L’idée d’une supériorité du mâle blanc est inséparable de celle colonialisme. Pour en effacer les traces, ils veulent réécrire les manuels d’histoire. Ils considèrent comme normal que les juges soient plus sévères pour les vieux schnocks caucasiens que pour les jeunes délinquants issus de l’immigration qui ont tant souffert du racisme, pour les policiers, tous « fachos », que pour les « djeuns ». Ils sont pour la libre consommation des drogues douces. Ils sont « pour l’Europe » et même la suppression de toutes les frontières au nom de l’idéal d’un monde unifié : « si tous les gars du monde… ». Ils sont à fond pour le féminisme (ou ultraféminisme) et détestent ce macho de Trump. Reconnaitre les mêmes droits aux homosexuels, et même aux transgenres, constitue un acte de justice, une légitime revanche, un progrès vers la suppression de la différence de genre. Et puis, « c’est leur choix » ! Comme l’est la libération sexuelle, l’avortement que certains affreux comme Trump veulent limiter.
Ils se méfient du mot famille, avec ses relents pétainistes et donc fascistes. Il faut abattre les symboles de ce qu’il reste du patriarcat. D’ailleurs la plupart des dirigeants de l’Europe des 27, qui sont des gens modernes, n’ont pas d’enfants. Ils sont trop occupés à préparer notre avenir. Leur générosité s’étend à toute la planète, menacée de manière imminente par le réchauffement climatique et ils n’ont jamais mis en doute la menace du covid. Ils sont bien sûr vaccinés. Trump est pour eux l’objet d’une haine particulière : il est contre le féminisme, se laisse aller à des propos racistes ou misogynes, il veut renvoyer les immigrés chez eux.
Une commisération sans limites
La capacité de commisération de ces gens-là est sans limites. Ils ont particulièrement mal vécu l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022. L’Ukraine représente pour eux tout ce qu’il faut défendre : un pauvre petit pays attaqué par un grand, la démocratie, la liberté, les droits des homosexuels (c’est le paradis de la GPA), l’ouverture. Certains prétendent pourtant que le régime actuel de Kiev a été mis place par un coup d’Etat de la CIA, que l’Ukraine est entre les mains d’une oligarchie parmi les plus corrompues du monde, qui a détourné la moitié des 200 milliards d’aide occidentale, que Zelensky a imposé un parti unique, qu’il a supprimé toutes les libertés et contrôle tous les journaux ; il a donné une place importante aux néo-nazis dans l’appareil d’Etat. Ceux qui disent tout cela ne peuvent être que des agents de Poutine ! Les opposants à la paix ont du cœur : les Russes ont pratiquement gagné la guerre, mais pas question de cesser le feu. C’est une lutte pour le bien contre les puissances ténébreuses que représente Poutine. La guerre en Ukraine est « existentielle pour l’Europe et pour la France », « Il est impossible que la Russie gagne cette guerre » (Emmanuel Macron). L’idéologie ne peut pas perdre.
Au point où il en est, Zelensky ne pourrait renverser la situation que si les Occidentaux s’engageaient directement et franchissaient un nouveau pas dans l’escalade vers le seuil atomique. C’est ce que lui a dit Trump quand il l’a reçu à la Maison Blanche : vous voulez gagner ; vous n’avez plus de carte en main sauf à déclencher une guerre atomique.
Derrière les idéalistes européens se cachent des forces aussi sombres qu’inquiétantes. Trump et Poutine veulent la paix. La paix : un gros mot pour les marchands d’armes. Le nouveau président n’a pas encore apprivoisé l’ «Etat profond » américain, dont le complexe militaro-industriel est une composante majeure. Ces forces n’ont pas de mal à élaborer des narratifs manichéens qui mettent les idéalistes, à la fois si sensibles et si naïfs, dans leur camp.
Continuer la guerre
Pour ces gens, ceux du camp du « bien », il ne saurait être question de paix. Si des fascistes comme Trump et Poutine veulent négocier la paix, il faut les en empêcher. La paix conclue, pour ces belles âmes, ne peut être qu’une mauvaise affaire. Mieux vaut continuer une guerre qui a fait entre 500.000 et 1 million de morts et qui a réduit la population de l’Ukraine de 52 à 28 millions d’âmes.
La première ministre danoise Mette Frederiksen, en visite à Kiev, conseille à Zelensky de continuer la guerre plutôt que de traiter avec Poutine. On ne dit pas si elle compte s’engager, elle, sur le front du Donbass. Elle dit tout haut ce que pensent les autres dirigeants occidentaux. Cette femme de gauche ajoute que pour financer la guerre, il faudra porter l’âge de la retraite à 70 ans. Les Européens font réunion sur réunion pour prévoir un réarmement massif : 800 milliards d’euros dit Ursula von der Leyen qui n’est pas la dernière à pousser à la poursuite de la guerre.
En bref, si on suit les catégories morales dominantes en Occident, généralement inspirées par la gauche : les mauvais sont pour la paix, les bons veulent saboter cette paix et continuer la guerre. C’est ce que nous appelons « la grande inversion ».
On la retrouve à tous les niveaux. Dans les années trente, les bons centristes, modérés, radicaux, socialistes, ceux qu’Alain Minc devait appeler « le cercle de la Raison », voulaient préserver la paix. Les extrémistes : fascistes, nazis et communistes voulaient faire la guerre. Aujourd’hui, c’est l’inverse : les extrémistes (dont Mélenchon) veulent la paix, les centristes, généralement pro-européens, veulent la guerre. Marine le Pen veut se recentrer : elle prend les distances avec la Russie et se rapproche du camp de la guerre.
Dans cette frénésie guerrière, il n’est jusqu’à l’Eglise catholique, ou du moins ceux qui la manipulent, ce qui semble assez facile, qui pousse les Européens à la guerre. La Conférence des évêques d’Europe (Comece) exhorte les Européens à continuer à soutenir l’Ukraine et à se réarmer. « Bienheureux les artisans de guerre » ! Lors de sa première adresse urbi et orbi sur la place Saint-Pierre, le pape Léon a condamné le nationalisme fauteur de guerre. Comme il a l’air intelligent, il comprendra sans doute vite que ce sont aujourd’hui les antinationalistes qui font les guerres et les nationalistes qui font la paix.
L’Europe menace la paix du monde
La construction européenne avait commencé en 1950, sous les auspices de Robert Schuman un des hommes politiques les plus madrés de la IVe République, selon un principe radical : s’il y a eu tant de guerres en Europe, c’est à cause des nations. Abolissons donc les nations. Principe simpliste et par là idéologique, donc faux. De fait, les européistes sont aujourd’hui les hommes les plus dangereux pour la paix et la démocratie. Ce n’est pas Poutine.
Ils veulent mettre l’Europe en guerre et, pour commencer, abolir la démocratie : le scandaleux putsch de Roumanie contre un candidat qui ne veut pas faire la guerre à la Russie montre ce qui, dans cet état de semi-belligérance, nous attend tous. On a tenté d’assassiner le président de la Slovaquie qui est sur le même ligne. Tout est fait pour déstabiliser de manière déloyale le président de la Hongrie.
Singulier paradoxe : l’Union européenne conçue comme une œuvre de paix est devenue aujourd’hui la principale menace pour la paix du monde. L’Europe supranationale et ses partisans, le moins fougueux n’étant pas notre Macron, veulent à tout prix la poursuite de la guerre. Déjà la si mal nommée « Europe de la paix » avait joué un rôle de boutefeu dans les guerres de Yougoslavie et de Syrie (où comme suite de l’action occidentale, se déroulent aujourd’hui les pires massacres) ; elle a contribué par son intransigeance dogmatique à embraser l’Ukraine en 2014. Elle a, en Afrique, soutenu le tyran Paul Kagame, président du Rwanda, tenu à Bruxelles pour un chef d’Etat modèle malgré ses 6 millions de victimes et qui met le Congo-Kinshasa à feu et à sang. Elle atteint ainsi le comble dans l’esprit belliqueux. C’est ce que Hayek appelle « la loi des effets contraires au but poursuivi », loi qui prévaut chaque fois qu’on se trouve dans une démarche idéologique.
Ces considérations nous mènent à deux conclusions. La première est le danger des idéologies, c’est-à-dire des simplifications allant jusqu’au manichéisme et se réclamant en l’occurrence du « progrès », qui conduisent toujours aux pires perversions. Lequel parmi les malheurs des derniers siècles n’a pas son origine dans un idéalisme ayant mal tourné ? La seconde conclusion est qu’il est urgent de réviser nos critères moraux, de cesser de juger les hommes politiques sur leurs intentions, déclarations, idéaux, mais sur leurs actes. C’est au niveau des actes que se produit cette inversion des signes dont nous parlons qui se trouve être une des dynamiques fondamentales et des plus perverses du monde contemporain. Jamais l’enfer n’avait été pavé de si bonnes intentions. ■ ROLAND HUREAUX