
« On entre dans la citoyenneté par la langue, la culture et le mérite. »
Par Jean-Paul Brighelli.

Cet article est paru dans Causeur le 25 août. Avec le talent et l’intelligence qu’on reconnaît à Jean-Paul Brighelli, il dit à peu près tout ce que nous pensons sur le manque de discernement et de mesure avec lequel on accorde la nationalité française sous le régime actuel. On y entre d’abord par héritage, donc par naissance, dans une communauté historique constituée depuis de longs siècles. Dans quelle mesure, et sous quelles conditions, peut-on y entrer en venant d’ailleurs ? C’est ce que Jean-Paul Brighelli expose ici — et qui devrait être soumis, ce qui n’est plus le cas, au strict respect de l’héritage historique commun. Je Suis Français
Droit du sol, droit du sang, citoyens français par ci, naturalisations par là — et puis quoi encore ? s’interroge notre chroniqueur, plus radical que jamais. Ne serait-il pas temps de n’accorder la nationalité française qu’à ceux qui, d’une façon ou d’une autre, auront servi la France — par leur travail, par leur sens du devoir, ou par leur sang versé ?
Le 13 juillet dernier, trois légionnaires ont été admis à la citoyenneté française pour services rendus au pays de Montesquieu et de Clemenceau. La cérémonie a été empreinte de solennité et d’émotion, et les témoignages des trois nouveaux Français sont éloquents : la France, pour eux, n’est pas un dû, mais un devoir, et un espoir.
Droit du sol, dit la Constitution. Vous êtes né par hasard dans l’Hexagone, ou dans l’une de ses dépendances, et vous voici français. Belle performance ! Neuf mois de gestation involontaire, et vous voici citoyen d’un pays dont trop souvent vous n’avez que faire. C’est la version laïque du baptême que recevaient les nourrissons, une façon de vous intégrer a priori dans une communauté sans que vous l’ayez voulu. À ce compte, Giscard d’Estaing, né à Coblence, eût été allemand — et Balladur, né à Izmir, serait turc.
Droit du sang, disent les Allemands. Vous pouvez habiter l’Allemagne depuis trois décennies, y être né, y avoir eu vos enfants, travailler assidument dans le pays, ni eux ni vous ne serez allemands : vous resterez Turcs, Tchétchènes — ou Français. Wolfgang passera toujours devant Orhan, fût-il prix Nobel de littérature.
Les deux solutions sont des pis-aller, des choix administratifs qui ne sont fondés sur rien de bien solide. Du coup, des enfants d’immigrés nés dans l’Hexagone se disent Algériens — ce qu’ils ne sont en rien, mais parce que leurs allégeances imaginaires vont à ce pays. Et pourquoi pas ? Pourvu qu’ils le soient réellement, sans prétendre aux avantages des Français de souche. Ou pourvu qu’ils y aillent.
C’est une question de droits et de devoirs. Un Français a le droit d’être inscrit gratuitement à l’école de la République, publique, universelle et laïque. Et il a le devoir d’en respecter les règles, par exemple de ne pas y apporter les oripeaux et les certitudes de ses superstitions. Un Français a droit à un certain nombre de prestations sociales — parce que ses parents et lui-même ont payé pour lui, au fil de leur vie et de leur carrière. La Sécurité Sociale et les aides diverses ne sont pas un dû, mais un rendu. À qui n’a rien donné à la France, la France ne doit rien.
« Je n’ai pas une goutte de sang français, mais toute la France coule dans mes veines », disait Romain Gary, né à Vilnius, naturalisé français à 21 ans, et Compagnon de la Libération. Apollinaire, né à Rome et naturalisé français en 1916, l’année où cet engagé volontaire fut grièvement blessé en première ligne, devait en dire autant, tout comme le légionnaire Blaise Cendrars, Suisse naturalisé Français par son héroïsme au combat, où il perdit un bras. Tous sont entrés dans la citoyenneté française par leurs actes, par la langue, par leurs œuvres, faisant là un grand romancier, ici un immense poète. Parce que parler français est à mes yeux un pré-requis. On entre dans la citoyenneté par la langue et par la culture. Et par le mérite.
Que méritent tous ceux qui exhibent leur nationalité française quand ça les arrange, et crachent sur la France à la première occasion ? Que méritent tous ceux qui se gavent d’aides diverses et ne rendent rien au pays, par leur travail ou leurs talents ? Que méritent les racailles qui, en arrivant à leur majorité, sont déjà « connus défavorablement des services de police », selon la formule consacrée ? Pourquoi auraient-ils droit aux mêmes douceurs judiciaires que les citoyens français respectueux de la loi ? La déchéance de nationalité, prévue depuis 1791 par la Constitution et le Code pénal, n’est pas assez appliquée. La privation des droits civiques — à commencer par les multiples subventions à la paresse et à la malfaisance — devrait être systématique en cas d’infraction grave. Et l’expulsion vers le pays de son choix, où l’on pourra vivre en toute liberté sous un joug religieux sévère, devrait être systématisée.
« Français », quel beau nom ! « Français », La Fontaine, Voltaire, Condorcet, Hugo et Flaubert. Ou Marie Curie, née Polonaise. Françaises, les armées qui sous la Révolution et l’Empire ont parcouru l’Europe en exportant partout ce qui s’attachait à ce nom — la liberté d’abord. Nous avons exporté la France dans des contrées qui ignoraient tout de cette liberté — à commencer par la liberté de penser et celle de ne pas croire : c’est cela d’abord, l’acquis positif de la colonisation. La IIIème République a fort justement décrété que c’était par l’instruction obligatoire que l’on s’attachait à un pays. Jules Ferry et ses amis n’auraient jamais imaginé qu’un jour, des pédagogues mépriseraient ce devoir de culture, inciteraient les enfants à raviver la flamme des cultures étrangères de leurs parents, et organiseraient le ramadan dans des écoles publiques.
Cessons de distribuer de façon automatique la nationalité française, si chargée de sens et d’émotions. Et accordons-la libéralement aux étrangers qui ont servi la France, par leur travail ou leur héroïsme — comme Mamoudou Gassama, qui en 2018 avait sauvé un petit garçon suspendu dans le vide à Paris. Ou Lassana Bathily, qui a reçu ses papiers de citoyen français onze jours à peine après avoir aidé à se cacher des clients de l’Hypercasher de la Porte de Vincennes — des Juifs sauvés par un musulman malien, pendant qu’aujourd’hui de prétendus Français versent dans l’antisémitisme de gauche et applaudissent la barbarie à visage inhumain. On doit être Français au mérite, et pas autrement. ■ JEAN-PAUL BRIGHELLI
Jean-Paul Brighelli
Agrégé de Lettres modernes, ancien élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, Jean-Paul Brighelli est enseignant à Marseille, essayiste et spécialiste des questions d’éducation. Il est notamment l’auteur de La fabrique du crétin (éd. Jean-Claude Gawsewitch, 2005).

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