
« Cette fois, la querelle est sous les projecteurs : peut-on être un média public et partisan ? Évidemment non ! »
Par Marc Baudriller.
Cet article est paru le 15 septembre dans Boulevard Voltaire. Bien entendu, nous l’approuvons. Ce n’est pas que CNEWS – notamment – ne nous agace jamais, ce n’est pas que nous le trouvions toujours de bon niveau, ni, parfois, à la hauteur des vrais enjeux actuels, ou que nous en partagions tous les engagements. Sur de nombreux sujets relevant du simple salut public, il y est pourtant mené le bon combat pour la France menacée. Quant au délire permanent, singulièrement ces temps-ci, de France Inter et consorts, il est, presque à jet continu, si partisan, si ignominieux, si caricatural et destructeur, que l’on ne peut que se trouver du côté de ceux qui le combattent.

La réponse de Pascal Praud au cadre de Radio France rappelle l’ouverture de Cyrano de Bergerac :
« — Allons, quel est celui qui veut ouvrir la liste ?
Vous, Monsieur ? Non ! Vous ? Non ! Le premier duelliste,
Je l’expédie avec les honneurs qu’on lui doit !
— Que tous ceux qui veulent mourir lèvent le doigt ».

Le premier duelliste fut Vincent Meslet. Le directeur éditorial de Radio France a défouraillé sans frein, samedi, dans Le Parisien de ce samedi 13 septembre. Déstabilisé par l’affaire Cohen-Legrand, ces deux éditorialistes de France Inter pincés par le mensuel L’Incorrect le doigt dans la connivence et la manipulation médiatique au profit du PS, il est monté au créneau pour défendre la vaste, coûteuse et très orientée maison ronde. « Généralement nous ne répliquons pas, mais cela va changer », a grondé Vincent Meslet, remonté. « Nous ne laisserons pas un concurrent nous déstabiliser », menaçait le cadre matamore, pressé de s’en prendre au groupe Bolloré, qui détient Europe 1 et CNews. Un groupe qu’il voit comme « la négation du pluralisme », « la négation du métier de journaliste, puisqu’il considère que faire du journalisme, c’est faire de la politique ». L’attaque touche donc l’ensemble des journalistes du groupe Canal+, de CNews, Europe 1 et de la presse propriété de Bolloré (JDD, JDNews, Capital…).
« Ces gens deviennent fous »

Dès lors, le patron de l’entreprise publique a franchi le Rubicon qui sépare les habituelles piques entre dirigeants de médias concurrents de l’attaque frontale à la dignité de la totalité des journalistes du groupe Canal+. Pas d’amalgame, comme on dit ! La réplique était prévisible, elle ne s’est pas fait attendre et Pascal Praud, ce lundi matin, a la lunette et le propos saignants. Dans son billet éditorial de 9h05, sur CNews et Europe 1, il attaque l’interview « lunaire » d’un « apparatchik du service public que personne ne connaissait avant-hier », clouant au pilori « un dirigeant aux abois qui perd ses nerfs ». L’occasion est belle : « Vous avez un dirigeant du service public payé par nos impôts qui attaque directement CNews, un de ses concurrents, en disant « C’est nos pires adversaires » », s’indigne Praud. Le journaliste vedette du groupe Bolloré a les idées claires : « Ou il démissionne, où il est viré […] Vincent Meslet doit être viré », estime-t-il, avant d’en appeler directement au ministre de la Culture : « J’espère que Rachida Dati va dire quelque chose. C’est inadmissible, ces gens ont perdu le sens commun […] ces gens deviennent fous. »
Les couteaux sont donc sortis. Sur le marché des médias d’information, la lutte est a priori inégale. Le groupe Radio France fait figure de Goliath, face à CNews et Europe 1. Radio France, c’est 4.621 salariés, fin 2023, 623 millions d’euros reçus généreusement de l’État, donc des mains des Français, pour alimenter pas moins de sept antennes (France Inter, France Info, Ici (ex-France Bleu), France Culture, France Musique, FIP et Mouv’). Il faut que ce géant public, qui compte la première radio de France par son audience (France Inter), ait le sentiment d’avoir des pieds d’argile pour attaquer ainsi ouvertement un concurrent et ses salariés, tentant au passage de décrédibiliser une partie de la profession. La dynamique d’audience de CNews et d’Europe 1, qui ne coûtent pas un sou au contribuable, inquiète, en haut lieu, sans doute pas sans raison.
Scandale
Il faut aussi que les assauts répétés de Pascal Praud (et d’autres, parmi lesquels BV) contre l’évidente absence de neutralité des antennes de Radio France fasse mouche : impossible, désormais, de jouer les durs d’oreille. Secouée par des salariés furieux, atteints et déstabilisés, la direction de Radio France est sortie sous la mitraille.
Mais pouvait-on imaginer pire défense ? Vincent Meslet aurait été plus crédible s’il avait courageusement été au-devant des médias témoigner des dérapages inacceptables de ses antennes. Oui, nous prenons de force l’argent des contribuables, notamment ceux de droite, et certains de nos salariés assument de faire campagne pour le PS à Paris. Oui, nous sommes financés par tous les Français, y compris ceux qui votent à droite, et ils peuvent constater chaque jour à quel point nous les méprisons. Oui, la ligne de France Inter, en particulier, assume de s’adresser aux bobos des grandes villes en méprisant les autres, ceux qui pensent différemment et sont contraints de la financer.

Toute défense est impossible. Les dirigeants du service public auront beau tenter de salir la concurrence, l’ancrage à gauche de nos médias publics (Radio France et France Télévisions) est un scandale. Tous les médias de France ont le choix de leur ligne éditoriale, c’est la liberté de la presse, mais le service public devrait respecter une neutralité maladive, par respect envers ceux qui le financent. Il affiche plutôt un engagement partisan maladif. Le déni de propagande est un scandale. La captation de l’argent des Français par l’impôt pour cette entreprise est un scandale. L’affaire Cohen-Legrand est un scandale. La défense de Vincent Meslet est inacceptable, il faut le dire. L’affaire a au moins le mérite de placer sous les projecteurs, une nouvelle fois, la déviance problématique du service public audiovisuel devenu obèse et manipulatoire. En s’exposant, Vincent Meslet a ouvert la boîte de Pandore. Les suivants réfléchiront sans doute à deux fois… ■ MARC BAUDRILLER