
Par Alexandre Stobinsky.
Jean-Michel Apathie, lors d’une des journées d’émeutes vécues à Paris sous Emmanuel Macron, avait posé cette question cruciale à ses collègues d’un quelconque plateau de télévision : « Savez-vous à quoi tient le pouvoir aujourd’hui ? Il tient à un fil, et ce fil, c’est la police. » Ce propos parle à ceux qui ont vécu Mai 68 et, plus encore, Mai 58, quand la police avait lâché le pouvoir aux abois de la IVe République. Ce serait vrai aussi en cette fin du deuxième quinquennat de l’ère macroniste, sans plus aucune assise populaire de quelque importance, et bien plutôt un rejet à près de 90 % des Français. C’est ainsi, souvent, que les régimes s’effondrent et que des coups d’État, plus ou moins légaux, les remplacent. Il n’est pas impossible que nous soyons à la veille de vivre de tels événements. C’est tout l’intérêt de cette tribune publiée ce matin dans les divers médias – numériques et papier – du Figaro. JSF
TRIBUNE – Les policiers se sentent abandonnés par la justice. Le magistrat* déplore une inertie de l’État, dont les représentants finiront tous par être pris pour cible par la délinquance se pensant toute-puissante.
*Alexandre Stobinsky est magistrat au Tribunal judiciaire de Versailles.

Comment peut-on aujourd’hui choisir de devenir policier en France ? Cette question se pose régulièrement dans les salles d’audience du pays qui connaissent chaque jour des violences, des menaces, des outrages à l’égard des policiers. Comment penser désormais que, même hors service, des policiers peuvent être tabassés en raison de leur qualité, comme cela a été retenu par le parquet et le juge d’instruction de Reims après des faits d’une extrême gravité le 13 septembre ? Comment imaginer que des mineurs, en réunion, s’en prennent à un policier de la Bac comme à Tourcoing la semaine dernière en le passant à tabac ?Passer la publicité
Comme souvent, l’insuffisance de la réponse pénale est pointée, ce « laxisme judiciaire » selon une partie des policiers nourrissant un sentiment d’impunité. Si la justice n’est pas à elle seule responsable du recul général de l’autorité en France, elle ne peut faire l’économie de son rôle dans ce qui relève désormais d’un fait de société : plus de 15.000 membres de forces de l’ordre ont été blessés en 2024. Entre 2009 et 2019, les actes de violences envers les policiers et gendarmes sont passés de 26700 par an à plus de 37000, soit une augmentation de 40%. Il n’y avait « que » 13000 actes de violences envers les forces de sécurité intérieure en 2000. 52 gendarmes et policiers sont morts en service en 2024.
Cette critique envers la réponse judiciaire est ancienne mais s’accentue chaque jour. Déjà en 2018, dans un rapport de la commission d’enquête sénatoriale intitulé Vaincre le malaise des forces de sécurité intérieure : une exigence républicaine, était relevée « une érosion palpable du lien de confiance avec la justice ». La justice oppose que le quantum des peines prononcées ne cesse d’augmenter. Mais policiers et gendarmes – soutenus par des statistiques sur les atteintes aux personnes – rétorquent que la délinquance elle-même se fait plus violente. Rajoute à ce malaise, une différence abyssale entre la peine prononcée et la peine exécutée, là aussi donnant légitimement aux policiers et gendarmes le sentiment que ceux qui s’en sont pris à eux sont quasi instantanément remis en liberté. Rappelons qu’un individu condamné à un an de prison peut bénéficier de six mois de réduction de peine.
Sanctionner à la hauteur de l’atteinte au corps social et c’est cela qui doit être mieux appréhendé : ne jamais s’éloigner de la gravité des faits, surtout quand l’État est touché.Alexandre Stobinsky
Si l’élévation du quantum des peines prononcées est exacte, on doit constater une incapacité des juges à aller ou simplement à se rapprocher des maxima légaux encourus en matière délictuelle et notamment concernant les atteintes à l’autorité de l’État. Des violences aggravées sur une personne dépositaire de l’autorité publique peuvent être punies de dix ans d’emprisonnement mais quelle juridiction prononce de telles peines en matière délictuelle ?
Bien sûr, la justice n’a jamais pu empêcher des faits divers mais quand ceux-ci deviennent un fait de société, elle donne le ton. La délinquance qui s’en prend à chaque personne dépositaire de l’autorité publique trouve ses racines dans la détestation de l’État, voire de la France elle-même, mais elle répond malgré tout à un rapport coût bénéfice. Ces éléments sont à rapprocher du profil des émeutiers de l’été 2023. Dans un rapport d’août 2023, l’inspection générale de la justice évoque elle-même des délinquants « entretenant un rapport décomplexé à la violence et en manque d’ancrage citoyen » et des auteurs « peu sensibles aux tentatives de récupération » : « Les professionnels rencontrés observent chez les auteurs des capacités d’élaboration souvent proches du néant et font état d’un gigantesque défouloir dans lequel se confronter aux forces de l’ordre se veut festif. »
Face à de tels profils, pour les majeurs comme pour les mineurs, la justice arrivant en amont de l’infraction ne peut combattre une autorité parentale défaillante, une déscolarisation de plus en plus précoce, une absence de régulation des réseaux sociaux, une culture de la haine du pays. Sa seule réponse est la peine qui doit sanctionner et dans un second temps, réhabiliter. Sanctionner à la hauteur de l’atteinte au corps social et c’est cela qui doit être mieux appréhendé : ne jamais s’éloigner de la gravité des faits, surtout quand l’État est touché. Réhabiliter évidemment : mais une peine élevée n’est en rien antinomique d’une réinsertion. Au contraire même pour certains individus à qui elle signifie une butée et qui les rappelle aux règles qui constituent une société.
Mais au-delà de la réponse pénale, l’autre point d’immense vigilance doit être le discours insidieux, y compris propagé dans certains palais de justice, sur la légitimité de la police. En clair, une partie des policiers n’étant pas exemplaire, l’opprobre serait jeté sur l’ensemble de la profession. Mais si les policiers et les gendarmes ne sont pas au-dessus des lois, ils ne sont pas en dessous. Lorsqu’ils sont victimes, commencer à déterminer s’ils ont parfaitement rempli leurs devoirs est déjà une justification de la violence à leur endroit. Et les magistrats ne doivent pas oublier que la confiance dans les forces de sécurité intérieure est le principe, le doute l’exception. L’article 430 du code de procédure pénale disposant que les procès-verbaux ne valent qu’à titre de simples renseignements ne saurait faire de la parole d’un policier, par principe, une parole douteuse. Le concours des forces de sécurité intérieure dans les milliers d’enquêtes et d’instructions françaises est immense. Sans elles, la justice est un manchot.
La magistrature n’a pas vu tomber l’un des siens depuis 1981. Mais les menaces et les violences à l’égard des juges et des procureurs se multiplient. Il n’y a aucune raison que la magistrature – pourtant jugée républicaine – échappe elle aussi à un effondrement général de l’autorité. Certains policiers soutiennent que quand les juges et les procureurs mesureront dans leur chair la violence à laquelle ils sont confrontés, ils séviront davantage. Une chose est certaine, si les policiers plient, les magistrats seront les prochains. Que restera-t-il alors de l’État ? ■ ALEXANDRE STOBINSKY