
Ce long article rétrospectif (20.9) éclaire remarquablement l’actualité de cette fin de règne macronien. Il met aussi – et peut-être surtout – en lumière la nature profonde du régime sous lequel nous vivons et déclinons. On n’est pas forcément d’accord avec tous les présupposés historiques et politiques de Régis de Castelnau. On relèvera les désaccords si besoin est. L’ensemble constitue une riche contribution à notre réflexion sur les réalités politiques d’aujourd’hui, françaises et au-delà. JSF

Commençons ce texte par cette banalité qui consiste à dire la chance des historiens, puisqu’il est plus facile de raconter l’Histoire quand on connaît la fin. Sauf que malheureusement désormais, ils sont aujourd’hui confrontés à un autre handicap. Dès que vous cherchez à identifier une intentionnalité humaine dans la description des événements, que vous prêtez des objectifs à des acteurs de ladite Histoire, une poignée de flics stipendiés, sortent de leur boîte pour faire le sale boulot qui consiste à disqualifier tous ceux qui osent mettre en cause la propagande du pouvoir qu’ils servent. L’objectif est simple, empêcher les opinions publiques d’accéder au déroulement réel des choses. Ce n’est pas l’objet de cet article que de détailler les différentes méthodes, qu’utilisent les dominants pour imposer leur mensonge, elles sont multiples. Et le traitement en Occident de ce qui se passe dans le monde notamment depuis février 2022 en est une singulière démonstration. Mais désormais toute contestation du récit des dominants est immédiatement qualifiée de « conspirationniste » voire et c’est l’accusation majeure de « complotiste ». Les tâches sont réparties entre des journalistes dévoyés, des petits nervis payés par des fonds publics quand ils ne les détournent pas, et quelques intellectuels, parfois universitaires, bombardés experts. Dont par exemple Gérald Bronner fournit le parfait exemple. Chef appointé d’une petite cohorte qui consacre son activité à pourchasser les complotistes en théorisant sur cette grave maladie mentale allant jusqu’à accuser Marx d’en être atteint.
Alors, gare à ceux qui s’interrogent sur l’arrivée à la présidence de la république française d’un parfait inconnu sorti de nulle part, aux compétences politiques caricaturalement faibles, et présentant des traits de caractère flirtant avec la pathologie mentale. L’accusation fuse immédiatement contre l’hérétique, qui étudiant les conditions de cette élection, y voit une opération concertée poursuivant un objectif. Pour l’avoir formulé sur certains plateaux en 2017, je fus foudroyé par les gardiens de la vraie foi qui savent avec Thomas d’Aquin que « L’hérésie est un crime spirituel plus grave que la fausse monnaie, car elle corrompt la foi, trésor de l’âme ».
Ayant choisi l’exil sur les réseaux sociaux, temporairement à l’abri du bras séculier des inquisiteurs, j’ai pu exprimer ma conviction que nous étions en présence d’un coup d’État. Alors pour en décrire les mécanismes, en identifier les raisons, en définir les objectifs, on va se livrer à un petit exercice d’analyse historique à la fois sommaire et désinvolte. En partant de la chute de la dynastie Ming, en passant par la « société du Mont Pèlerin » pour arriver à Ursula von der Leyen…
Un court petit tour par l’Histoire longue
C’est la civilisation occidentale qui a réalisé la révolution industrielle, et inventé le capitalisme. La Chine, qui abritait pourtant au XVIIIe siècle la région la plus riche du monde, a été incapable de prendre ce virage. François Gipouloux universitaire très savant, en a brillamment analysé les causes, pointant notamment l’une d’entre elles, l’absence de l’entrepreneur capitaliste. C’est-à-dire celui qui va transformer l’épargne en capital dont l’Occident va regorger. Qui constituera ensuite la classe bourgeoise dont on sait depuis Marx qu’elle « a joué dans l’histoire un rôle éminemment révolutionnaire. Férocement révolutionnaire même, tous ceux qui ont essayé de s’opposer à elle ont fait l’expérience de cette férocité. Armée de son idéologie des lumières et de sa théorie libérale, elle a pris le pouvoir sur le monde au XIXe siècle. Celui des trois âges identifiés par Éric Hobsbawm : « l’âge du capital, l’âge des révolutions, et l’âge des empires ». Mettant en place au passage la forme pertinente pour sa domination politique de l’organisation de l’espace public, c’est-à-dire « l’État-nation territorial ». Ce qui fait qu’au seuil du XXe siècle, après la deuxième révolution industrielle, le Capital avait profondément changé et la concurrence se déroulait aussi entre les nations. Lénine l’a expliqué à sa façon dans son ouvrage : « L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme ». Les bourgeoisies nationales se sont dit que ce serait peut-être astucieux de régler cette concurrence par la guerre. Elles ont alors envoyé des masses d’hommes se faire massacrer pendant des années dans la première grande guerre industrielle de l’histoire. Complètement bouleversée, politiquement et géographiquement l’Europe est sortie hébétée du grand massacre. Pour être confrontée à un gros problème, la prise du pouvoir des bolcheviques dans l’empire tsariste. Leur système affaiblit, leur prééminence mise en cause, leurs économies fragilisées, leurs empires commençant à remuer, les bourgeoisies ont pris la mesure de la fragilisation de leur pouvoir et après octobre 1917, des risques de renversement de l’ordre mis en place au XIXe siècle. Après le traumatisme de la première guerre mondiale, s’appuyant sur les couches moyennes déclassés par les conséquences du conflit, ont émergé des courants politiques violents et antidémocratiques idéologiquement opposés au bolchevisme. Dans l’entre-deux-guerres des régimes fascistes se sont installés dans pratiquement toute l’Europe à quelques exceptions près comme la France qui fit le choix inverse en 1936, et de la Grande-Bretagne malgré les tentations qui l’ont traversée. Partout où ils ont pris le pouvoir, ce fut avec l’appui de la bourgeoisie qui préférait jeter par-dessus bord idéologie libérale, ses libertés publiques ses et principes pour conserver son pouvoir économique. Même s’il n’était pas que ça, le fascisme était la forme terroriste de l’exploitation capitaliste.
Cependant dès avant la deuxième guerre mondiale cette solution pour pérenniser le capitalisme et la domination de la bourgeoisie montra ses limites. Avant le coup de grâce de la catastrophe du deuxième conflit mondial. La plus grande guerre de l’histoire de l’humanité entraîna plusieurs conséquences. D’abord de démontrer l’incapacité du fascisme à débarrasser le monde de l’hypothèque soviétique au contraire puisque c’est l’URSS qui permit de libérer l’Europe du nazisme. Ensuite une aubaine historique pour les États-Unis qui sortirent également vainqueurs de ce conflit à un très faible coût leur assurant la place incontestable de première puissance économique mondiale. Et enfin de provoquer la destruction de l’Europe matérielle de l’Europe qui imposa une reconstruction keynésienne ou le Capital fut contraint à beaucoup de concessions et d’accepter la mise en place des État-providence.
L’invention du néolibéralisme et sa victoire en Occident
Devant l’échec du fascisme à préserver le capitalisme, et inquiet de la puissance de l’Union soviétique et de l’impact de sa victoire, qui permettait et accompagnait la décolonisation des empires mis en place au XIXe siècle, en 1947 l’économiste Friedrich Hayek réunit 39 intellectuels, économistes et journalistes à l’hôtel du Mont-Pèlerin, près de Vevey (Suisse). Avec l’objectif de créer un lieu d’échanges pour « contrer l’expansion des idéologies collectivistes, revivifier le libéralisme pour préserver et développer la « société libre ». Inutile de préciser que dans l’esprit des fondateurs, cette « société libre » était bien celle du « renard libre dans le poulailler libre ». Le combat idéologique mené par ce courant porta sur la dénonciation du rôle de l’État, et pas seulement dans sa phase État-providence, présenté comme inefficace et liberticide. L’opposition à toute forme de planification économique et la promotion du libre marché, de la concurrence et de la propriété privée comme conditions de la richesse et de la liberté. Bénéficiant de considérables soutiens financiers et institutionnel, bardés de « prix Nobel d’économie », récompense inventée pour la circonstance, les membres du « club » purent développer massivement cette propagande malgré sa trivialité. L’objectif était en effet de rendre au capitalisme sans frein une légitimité intellectuelle et morale après la catastrophe qu’il avait provoquée avec les deux guerres mondiales.
À la fin de la période d’expansion économique des 30 glorieuses, le travail de sape finit par porter ses fruits en Occident. Permettant de passer du néolibéralisme idéologique au « néolibéralisme politique » avec les arrivées au pouvoir de Ronald Reagan aux États-Unis, de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne, et le virage politique de 1983 de François Mitterrand et des socialistes français. La chute de l’Union soviétique de 1991 provoquée par des causes internes, mais faisant disparaître le socialisme, n’ayant évidemment rien arrangé.
Les peuples ont fait l’expérience de ce néolibéralisme, de la financiarisation délirante de l’économie, d’une mondialisation occidentale en mode fuite en avant, de la progression de la pauvreté, de la création d’une hyper classe mondialisée aux richesses vertigineuses, et de l’organisation brutale et meurtrière du monde sous hégémonie américaine. L’objet de cet article n’est pas d’analyser et de décortiquer ces phénomènes mais il ne serait pas sérieux de prétendre qu’ils ne sont pas le fruit de la mise en place de ce néolibéralisme que Margaret Thatcher la féroce épicière avait défini à sa façon avec cette son extraordinaire formule : « il n’y a pas de société, il n’y a que des individus ». Était-il possible de mieux actualiser ce que disaient Marx et Engels en 1848 dans le « Manifeste du parti communiste » ? « La bourgeoisie n’a laissé subsister d’autre lien, entre l’homme et l’homme, que l’intérêt nu, que le paiement au comptant. Elle a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d’échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l’unique et impitoyable liberté du commerce. »
Nombreux sont les intellectuels de qualité qui ont analysé et pointé les caractéristiques et la dialectique de ce système. La première d’entre elles sur laquelle il faut insister, est l’imposture de sa critique de l’État. Le discours sur la nécessité de « moins d’État » est complètement bidon. Ce sont les fonctions stratégiques et sociales, c’est-à-dire l’État-providence que ces gens-là veulent détruire. Mais assignant à l’État la mission de garantir le soi-disant « libre marché » qui n’est en fait que le voile posé sur la monopolisation et la financiarisation du capital, c’est son renforcement dans cette mission qu’il veut mettre en œuvre. L’État néolibéral gendarme du marché est au service des transnationales est chargée d’assurer la liberté du capital et les contraintes pour la société. Par conséquent, comme le démontre clairement Barbara Stiegler il est nécessairement antidémocratique, et dès lors que les contradictions qu’il rencontre deviennent difficile, il aura recours à la destruction des libertés publiques que le libéralisme classique prétendait avoir installé et défendre. Censure, arbitraire, répressions policières et judiciaires violentes, dans certains de ses aspects, cette nouvelle forme de « fascisme » n’aura bientôt plus rien à envier à ses prédécesseurs des années 30.
Mais Emmanuel Macron dans tout ça ? Eh bien l’installation du psychopathe à l’Élysée est un parfait avatar du système néolibéral.
L’Union Européenne forteresse néolibérale
Construite et voulue d’abord par les socialistes français, appuyés par une droite bourgeoise dépourvue de tout véritable sentiment national, l’Union Européenne est une forteresse néolibérale. Qui n’est pas pour l’instant une organisation étatique, mais un système juridique chargé de la surveillance des états membres. Ceux-ci ayant été privés de l’essentiel de leurs prérogatives souveraines, lesquelles ont été ossifiées dans des traités à valeur constitutionnelle irréformables. Plus de monnaie nationale, plus de planification économique, application féroce du principe de « concurrence libre et non faussée » dans son acception la plus délétère. Et dont l’application n’est là que pour garantir les intérêts du Capital et en aucun cas ceux des citoyens. Elle est dirigée par des fonctionnaires corrompus, matériellement protégés et pilotés par une Commission aux ordres de l’Allemagne. Elle-même flanquée d’un parlement sans pouvoir, sorte de poubelle politique ou viennent atterrir des politiciens de troisième zone dont les pays membres n’ont plus voulu. Cette bureaucratie n’a en fait jusqu’à présent qu’une seule mission, préserver l’emprise du néolibéralisme sur les pays membres dont ces flics sont les garde-chiourmes. Qui de plus sont assistés en interne par des magistratures zélées, veillant à assurer cette emprise au nom d’un « État de droit », qui n’est qu’une formule mensongère destinée à habiller la dépossession des peuples de leur souveraineté. Comme l’ont spectaculairement démontré la violation de la démocratie électorale en France en 2005, et plus récemment l’interruption du processus électoral en Roumanie, où l’interdiction faite Marine Le Pen, candidat du premier parti de France de se présenter à l’élection présidentielle.
Les Français pour ne prendre que cet exemple, auront beau voter qui pour Jean-Luc Mélenchon qui pour Jordan Bardella, il leur serait impossible de sortir du carcan et de mettre en œuvre le début du commencement de leurs programme respectifs.
Mais ce n’est pas tout. Car le néolibéralisme est un trans-nationalisme. Idéologique au service des… transnationales. Il a par conséquent la plus grande des aversions pour « l’État-nation territorial ». Outil de la prise de pouvoir de la bourgeoisie occidentale au XIXe siècle, cette forme est aujourd’hui considérée non seulement comme obsolète, mais également comme un obstacle au déploiement du Capital et de l’hyper-classe mondialisée qui en est l’expression sociale. L’État-nation territorial était l’espace pertinent du déploiement des bourgeoisies nationales, mais l’État qu’elles contrôlaient, s’il était instance de domination était également instance de représentation. Le lieu où s’exprimaient les contradictions et où s’élaboraient les compromis. L’État-providence mis en place après la deuxième guerre mondiale était le fruit de ces compromis obtenus grâce à des rapports de force favorables. Non seulement le néolibéralisme n’a eu de cesse que de liquider les acquis arrachés par les luttes sociales, mais il a fallu également casser le système. Mettre le profit et l’accumulation à l’abri de la délibération démocratique. C’est ce qui s’est passé en France, avec la destruction du droit du travail, construction légale et jurisprudentielle depuis des décennies. Sa mise à bas fut d’abord à l’initiative de François Hollande et des socialistes avec Myriam El Khomri, puis avec la réforme Macron.
C’est pour cette raison, qu’accompagné des psalmodies des semi-débiles envoyés par le macronisme à Bruxelles sur le besoin de « plus d’Europe », le projet d’une « fédéralisation » de l’UE avance. Plusieurs choses l’illustrent et en particulier le coup d’État permanent perpétré par Ursula von der Leyen, s’attribuant en permanence et illégalement, des pouvoirs qui ne sont pas les siens. Sans que cela provoque chez les dirigeants des pays membres, la moindre réaction. Serait-ce parce qu’ils sont d’accord avec cette dépossession ? En ce qui concerne Emmanuel Macron c’est l’évidence. Et on peut même considérer qu’il a aussi été élu pour ça. ■ o RÉGIS DE CASTELNAU (À suivre).
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Atteint de « sentimentalité petite-bourgeoise », je me laisse emporter par ce récit (un récit, une histoire, pas un « narratif ») et j’attends la suite. Pourquoi pensai-je à Claude Lévy-Strauss ? Ce trans-nationalisme pour les transnationales n’est-il pas la coca-cola-isation de toutes les cultures qu’avec d’autres mots il dénonçait de toutes ses forces ?
Un autre question me hante : qu’est exactement cette financiarisation de l’économie sur quoi les observateurs semblent s’accorder ? Où finit le règne de l’argent ? Où commence celui de la « finance » ?