
Ce texte remarquable et fort, qui reflète avec exactitude certaines des réalités marquantes du monde politique et géopolitique actuel, a été publié le 1er octobre. Mieux vaut le lire que le commenter : il se suffit amplement à lui-même. Régis de Castelnau parle d’abondance selon sa manière, son style et sa puissante capacité d’analyse. Sa contribution, ici, dans le chaos actuel, nous paraît opportune et pertinente. JSF

Dans les affaires internationales, les batailles de propagande sont habituelles. À base de demi-vérités, de mensonges et d’exagérations ; évidemment, chacune est au service d’une cause et des objectifs qu’elle poursuit.
L’ère de la post-vérité
Les Anglo-Saxons ont popularisé le terme « narratif » pour parler des récits ainsi construits, destinés à justifier les politiques mises en œuvre par ceux qui les produisent. Il fut un temps, celui d’un monde partagé en deux, où les mensonges réciproques pouvaient être ensuite révélés. Timisoara, couveuses du Koweït, quatrième armée du monde, armes de destruction massive, génocide du Kosovo… On sait aujourd’hui ce qu’il faut en penser. Malheureusement, le dévoilement venait en général après que l’empire ait pu perpétrer ses massacres. La chute de l’Union soviétique et l’installation d’un monde unipolaire dominé par les États-Unis ont fait advenir la « post-vérité ». Celle-ci a été théorisée par Karl Rove, un des principaux conseillers de la marionnette imbibée George W. Bush, au journaliste Ron Suskind : « Nous sommes un empire maintenant et quand nous agissons, nous créons notre propre réalité. Et alors que vous étudierez cette réalité – judicieusement, si vous voulez – nous agirons de nouveau, créant d’autres nouvelles réalités, que vous pourrez à nouveau étudier, et c’est ainsi que continueront les choses. Nous sommes les créateurs de l’histoire… Et vous, vous tous, il ne vous restera qu’à étudier ce que nous avons créé. »
Ce vaste et terrifiant programme, consistant à imposer une perception faussée du réel, s’est fracassé sur la transformation géopolitique du monde. L’unipolarité de « l’ordre international fondé sur les règles », cher aux dirigeants occidentaux, est désormais confrontée à un sacré adversaire : le « Sud global », fermement décidé à infléchir la marche du monde et imposer la fin de cette domination au profit de la « multipolarité ».
L’intervention russe en Ukraine de février 2022 a provoqué un véritable basculement. Stupéfait de l’audace des « autres » qui osaient remettre en cause sa domination, l’Occident suprémaciste a réagi par un déferlement de propagande mélangeant inepties, absurdités, incantations et mensonges grotesques, qui finalement ne prouvent qu’une chose : le déclin bien avancé de cet Occident compulsif.
L’accélération de l’Histoire agit comme un révélateur, et ce d’autant que l’explosion des moyens de communication numérique a rendu le monde transparent, et qu’elle a fait émerger un outil de contradiction extrêmement puissant avec les réseaux sociaux.
La France, mauvaise élève
Comme dans beaucoup de domaines, hélas, la France, mauvaise élève de la coalition des aveugles et des paralytiques, donne le spectacle de sa décrépitude.
En commençant par Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, maintenu sept ans à Bercy par Emmanuel Macron pour ruiner la France, nous annonçait, entre la publication de deux romans semi-pornographiques, l’effondrement économique de la Russie. Le caractère grotesque de cette prévision a été rapidement avéré. Ce qui n’a pas empêché Emmanuel Macron en personne, et à plusieurs reprises, de la confirmer, alors même que toutes les institutions financières occidentales disaient le contraire… Petit détour par l’Allemagne, avec Ursula von der Leyen reprenant à son compte le célébrissime nanar des Russes volant les machines à laver dans les maisons ukrainiennes pour y récupérer les puces destinées à équiper leurs missiles. La presse « officielle », audiovisuelle ou écrite, n’étant pas en reste, avec une mention particulière pour les journaux britanniques dégoulinants de haine russophobe, et la chaîne d’information LCI exclusivement dédiée à l’expression d’un racisme anti-slave militant. Avilissant spectacle que ces plateaux remplis de faux experts, de ganaches militaires sur le retour, de clochards intellectuels allumés, d’imposteurs évidents venant dégoiser leurs âneries pour des piges de misère.
Nous n’allons pas dresser ici la liste interminable des mensonges entendus depuis trois ans, mais nous poser la question de savoir si ceux qui les profèrent, en pensant qu’ils seront utiles à leur cause, ne finissent pas par s’aveugler et y croire. Que penser, par exemple, d’un Donald Trump reprenant les termes d’une intervention de Keith Kellogg, imputant à l’armée russe des pertes absurdes, à la Russie une situation économique fantaisiste et des perspectives de reconquête ukrainienne délirantes ? Le président américain pense-t-il décrire le réel, ou s’agit-il d’un baratin utile à des circonvolutions tactiques ? Dans la tradition chrétienne, le mensonge est un vilain péché. Dans certaines conditions, aux États-Unis, c’est même une grave infraction pénale. Les anthropologues vous diront, et à juste titre, que c’est un universel humain, et on peut ajouter une liberté. La sanction étant une perte de confiance, ce qui est le problème de l’émetteur. Parce qu’on n’est pas obligé d’aller jusqu’à Charles Pasqua, selon lequel : « les mensonges n’engagent que ceux à qui ils sont faits »…
Mais il semble que l’Occident anxieux souffre désormais d’un syndrome qui prend de drôles de proportions : celui de croire dur comme fer à ses propres boniments. Syndrome qui se nourrit du besoin évident de se rassurer, mais qui, à ce point de perte de sens du réel, peut déboucher sur des catastrophes.
La farce moldave
Dernier exemple en date : la farce baptisée « élections législatives », qui s’est déroulée en Moldavie. Région d’Europe centrale qui a passé son temps, dans l’histoire, à être découpée et partagée entre ses voisins avant que la victoire de l’Armée rouge en 1945 n’en provoque l’incorporation à l’URSS. La chute de cette dernière va déboucher sur l’indépendance de la Moldavie, dont la population de 2 400 000 habitants est composée à peu près à 10 % de citoyens s’identifiant comme Russes. Soros a réussi à y installer Maïa Sandu, une young leader américaine, comme présidente. Celle-ci s’est déclarée favorable à l’intégration dans l’Union européenne, mais a failli perdre le référendum organisé pour l’approuver. Le non l’avait emporté, mais une fraude massive et grossière avec les votes des Moldaves de l’étranger permit de sauver l’imprudente.
Chat échaudé craint l’eau froide. L’Union européenne, Ursula von der Leyen et Emmanuel Macron en tête, ont alors décidé de tout faire pour truquer le scrutin législatif suivant. L’expérience cuisante de la Géorgie, pressentie pour intégrer à la fois l’UE et l’OTAN, avait créé un précédent douloureux avec l’échec de la tentative de coup d’État de Salomé Zourabichvili, la diplomate française installée à la présidence géorgienne. Plus question désormais de s’en remettre à la démocratie et à ces élections stupides, où les citoyens s’imaginent qu’ils ont leur mot à dire. En Roumanie, sans aucune des compétences pour le faire, la Cour suprême a interrompu un processus électoral qui aurait pu donner la victoire à un opposant à l’UE. Cette monstruosité institutionnelle a été bien évidemment acclamée chez nous, comme le nouveau scrutin organisé cette fois-ci sans les candidats qui pensaient mal, interdits d’élections ! En France, grâce à de grossières astuces judiciaires, on a interdit à la patronne du premier parti de France de se présenter à l’élection présidentielle. Et en Allemagne, les candidats des partis qui déplaisent sont également proscrits.
Pour la Moldavie, on a fait bien pire. Histoire de rassurer les opposants, Macron y a carrément envoyé des soldats. Pavel Durov, le patron de Telegram, a confirmé les chantages dont il a été l’objet pour mettre son réseau au service de la désinformation européenne. Ursula von der Leyen a multiplié les déplacements et les cadeaux financiers comptés en milliards de dollars (!). Une femme politique d’importance, rivale de Madame Sandu, a été condamnée à sept ans de prison. L’organisation des votes de la diaspora installée en Russie a été complètement sabotée et les urnes de la diaspora de l’Ouest soigneusement bourrées. Dans les régions susceptibles de voter contre le parti de la présidente, on a assisté à de véritables sabotages, y compris en fermant les voies d’accès aux bureaux de vote, et tout à l’avenant. L’avant-veille du scrutin, les deux principaux partis d’opposition ont simplement été interdits ! Comme ça, c’est plus simple ? Malgré tout cela, le parti de Madame Sandu a reculé, conservant la majorité de justesse.
Dans un pays normal, ces irrégularités effarantes auraient débouché sur une annulation du scrutin. Rien de tout cela : nous sommes en Europe, et l’UE, assistée de la « coalition des toxicos », est à la manœuvre. La stratégie est claire : si on laisse les peuples se prononcer, on ne va pas s’en sortir.
La farce est évidente, venant après celle de Roumanie, les scandales français et allemands : tout le monde le voit, tout le monde le sait. Malgré cette évidence, l’ensemble du système Macron – politiques, médias, presse écrite – a donné à voir son ravissement : « Victoire ! Victoire ! La démocratie a gagné ! Les Moldaves ont choisi l’Europe, et avec elle le progrès, les valeurs, le succès économique, en un mot l’avenir radieux ! » Sans ajouter : « et on va tous ensemble faire la guerre à la Russie », mais ça en a manifestement démangé certains. Et aux grincheux qui émettaient quelques réserves, du type de celles du vice-président américain récemment à Munich à propos de la Roumanie, la réponse habituelle fusait immédiatement : « Célérusses, célérusses, célérusses ! »
De Lecornu cherchant la porte de son bureau de Matignon à Nathalie Loiseau basculant dans l’hystérie, en passant par Jean-Noël Barrot halluciné, Yaël Braun-Pivet et ses pin’s, Olivier Faure abonné aux trahisons, les pitres de plateaux, etc. etc., il n’a manqué personne pour saluer la farce et la présenter comme une victoire de la démocratie. On se dit : « Mais ce n’est pas possible ! » et on pense à la citation attribuée à Soljenitsyne : « Ils savent qu’ils mentent, ils savent que nous savons qu’ils mentent, nous savons qu’ils savent que nous savons qu’ils mentent, et pourtant ils persistent à mentir. »
Malheureusement, le pire est arrivé. Nul cynisme chez ces gens-là : ils ne mentent pas. Ils croient à ce qu’ils disent, sont vraiment persuadés que le réel est celui qu’ils décrivent. Passant de l’inquiétude à l’anxiété et de l’anxiété à la panique, la réalité leur est devenue insupportable. Alors ils en construisent une autre. Ils ne cherchent pas à convaincre, ils veulent se rassurer.
Et, en mode Occident psychiatrique, ils nous emmènent à fond vers le mur. ■ o RÉGIS DE CASTELNAU
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