
Par Laurent Làmi.
Cette publication n’est pas un article. Mais la transcription d’une conférence donnée dans le cadre d’un pôle formation de la jeune génération d’Action française. Ce sont donc des pistes de réflexion, des vues d’avenir, qui y sont ouvertes et mises en discussion. Ce texte en 5 parties paraîtra « en feuilleton » au fil de la semaine. [13-17.10]. JSF

I. La société thermo-industrielle produit un système technologique total qui aliène l’homme.
Nous avons donc défini la société thermo-industrielle comme un système d’organisation humaine appuyant son économie et ses besoins propres sur des machines fonctionnant à l’aide d’énergies fossiles.
Plus encore, ces énergies doivent être disponibles, abondantes et posséder un bon taux de retour énergétique.
Néanmoins, la grande spécificité de ce système, en rupture totale avec les démocraties et oligarchies esclavagistes, est sa tendance à la croissance de sa base. En effet, l’esclavage humain ne peut augmenter sa productivité qu’en augmentant le nombre de son « matériel humain », impliquant rapidement des limites démographiques évidentes, en plus de souffrir d’un rendement discutable au vu des efforts fournis dans le « traitement » des esclaves.
Ces problèmes ne se rencontrent pas avec les machines. Mieux, en tant qu’outils « animés », elles peuvent être optimisées, notamment en améliorant le taux d’énergie « utile » à son fonctionnement, le reste étant perdu en déperdition de chaleur.
Le progrès des techniques fonctionnant aux énergies fossiles leur permet ainsi de croître en « qualité », devenant meilleures qu’hier, plus performantes, plus efficaces, générant de meilleurs rendements.
Nous retrouvons donc, dans les causes directes du développement des techniques, les vices du capitalisme, la force d’argent, qui recherchent avant tout le profit, et se retrouvent fort bien avantagées par l’optimisation productive des nouvelles techniques, dont elles sont les premières soutiens. « L’esprit capitaliste », comme l’appelle Sombart, se retrouve en effet comme le stimulant le plus logique au progrès des techniques.
Si l’argent n’a ni odeur ni morale ni patrie, on ne peut que comprendre son mariage avec le progrès technologique, produisant des machines impersonnelles qui, fondées sur la manne énergétique, mutent en une force en expansion, rationalisant et optimisant tous les aspects de la société pour la rendre plus performante.
Mais ce que ne voyaient pas les marxistes, et notamment les décroissantistes marxisants comme Serge Latouche, c’est que le système technologique est devenu une force autonome précédant désormais la force marchande par sa vitesse d’accroissement.
En effet, le courtier, le banquier ou le directeur général d’une entreprise ne sont pas en dehors d’un système qu’ils piloteraient de l’extérieur, et dans lequel ne se situeraient que consommateurs et travailleurs, seuls à subir les conséquences d’une expérience économique in vitro.
Il y a des hommes derrière cette force d’argent, et ceux-ci sont également dans l’équation, évoluant in situ, et sont donc eux-mêmes modelés par l’artificialisation de l’environnement, la rationalisation du monde et de nos mœurs.
Pour illustrer ce propos il suffit d’avoir à l’esprit un fait et un exemple : l’innovation technologique, même si elle est stimulée par des recherches qui ont besoin d’être financées, est antérieure aux rôles économiques de ses machines, attribués a posteriori. L’antériorité actuelle de la technique sur les forces d’argent s’illustre bien aujourd’hui par l’IA qui constitue une opportunité économique, mais s’émancipe de tout contrôle par la rapidité de sa progression qualitative. Plus encore, elle façonne le monde et les habitudes des financiers et actionnaires. La technique rationalise, jusqu’à l’économie. Et si, demain, ce processus nécessitait une disparition de toute direction d’entreprise voire de banque, il ne fait aucun doute que l’entrepreneur ou le banquier disparaîtront.
Sans essentialiser la technique à un objet anhistorique, qui de tout temps aurait aliéné les hommes, je vous propose de l’historiciser, considérant qu’à un moment donné dans l’histoire, sa mutation en système autonome et aliénant a atteint un stade tel qu’il devint perceptible par les hommes eux-mêmes, qui furent ainsi capables de le conceptualiser.
Ainsi, je considère une fenêtre historique, située entre 1940 et 1960, période durant laquelle sont publiés La France contre les robots de Bernanos (1946 puis 1947) et La Technique ou l’enjeu du siècle de Jacques Ellul (1954). On peut également mentionner entre les deux la conférence de Martin Heidegger sur La Question de la technique (1953). Je ne traiterai néanmoins que les vues des deux premiers, ne connaissant pas assez l’œuvre et la pensée du troisième pour l’intégrer à ma réflexion.
Bernanos a ainsi très bien montré le premier que la machine était un outil de contrôle de l’homme sous prétexte de « simplification », de rapidité d’exécution, pour in fine aliéner sa liberté. Il perçoit déjà, au vu de la « multiplication prodigieuse » des machines, l’indifférenciation des hommes qui en résulte, et la mort de leur vie intérieure et de toute spiritualité. Néanmoins, il considère encore la technique comme l’objet de l’État et du régime, qui s’en sert pour lui-même dans des considérations mauvaises, et plus encore, comme une force étrangère (anglo-saxonne). Enfin, elle reste pour lui le valet de l’argent, pour qui elle façonne le consommateur en plus d’automatiser la production.
Mais s’il pense beaucoup en franco-français, il écrit déjà l’inadaptation de l’Homme en général à ce monde en changement perpétuel : « car les machines ne s’arrêtent pas de tourner, elles tournent de plus en plus vite et l’homme moderne, même au prix de grimaces et de contorsions effroyables, ne réussit plus à garder l’équilibre » (La France contre les robots, chapitre 6).
Ellul est le premier à réellement conceptualiser la technique en un système propre, global et apatride, qu’il appelle le « système technicien ». Il voit en effet la technique comme une puissance ayant son autonomie vis-à-vis du capital, et surtout la capacité de s’auto-accroître avec pour seul objectif l’efficacité. L’homme et la société y sont remodelés par le système technicien dans tous les aspects quels qu’ils soient, du droit à la production industrielle, en passant par l’économie ou la sphère intellectuelle. Ainsi, loin d’être une émanation issue d’un domaine propre (l’économie par exemple), le système technicien est connecté à tous les pans de la vie humaine et sociale. L’économie est rationalisée, comme toutes les autres institutions ou composantes de la société. Plus encore, le système serait nourri par une sacralisation générale inconsciente de la technique, résignée ou positive. (À suivre) oo■oLAURENT LÀMI