
Par Laurent Làmi.
Cette publication n’est pas un article. Mais la transcription d’une conférence donnée dans le cadre d’un pôle formation de la jeune génération d’Action française. Ce sont donc des pistes de réflexion, des vues d’avenir, qui y sont ouvertes et mises en discussion. Ce texte en 5 parties paraîtra « en feuilleton » au fil de la semaine. [13-17.10]. JSF

Les conceptions systémiques de la technique, et l’aliénation de l’homme qu’elle engendre, élaborées il y a plus de 70 ans n’ont jamais été aussi vraies qu’aujourd’hui.
En plus de son expansion visible et tangible — par l’étalement urbain, la mondialisation des flux humains et matériels, le progrès des sciences, la rapidité d’obsolescence des nouvelles technologies — le système technologique s’appuie désormais sur les flux immatériels de données, permettant de recevoir non seulement les infos de l’utilisateur mais de l’influencer en conséquence pour le façonner selon la logique d’optimisation. L’homme moderne, qu’on appelle le consommateur, n’est en fait pas simplement une variable du marché, il est un produit anthropologique précis, servant de rouage à cette même quête de l’efficacité. Ainsi, la rationalisation de toute chose passe-t-elle par l’atomisation sociale, et les individus résultant sont désormais liés et soutenus dans chaque aspect de leur vie par le système technicien. La destruction de l’autonomie et notamment des savoirs et métiers de l’homme est une nécessité pour le système, les machines n’étant soumises à aucun saut d’humeur, ou besoin physiologique ou psychologique.
Ainsi la dépendance de l’homme est-elle nécessaire.
Car si le développement de la culture nécessite l’émancipation de l’homme de la nature, et le contrôle de ses aléas, son optimisation passe donc nécessairement par le contrôle de la nature humaine. L’imprédictibilité et l’irrationalité de l’homme sont un frein à toute optimisation absolue de la société (bientôt l’optimisation de ses gènes ?)
C’est ainsi que chaque digue naturelle a été enfoncée pour que l’homme puisse s’adapter à la croissance fulgurante de ses outils. Ces digues sont les structures tangibles — comme la famille, le métier, la classe sociale, le sexe, le terroir, la paroisse — et intangibles — la religion, les valeurs familiales, l’héritage, l’honneur, la fidélité.
Plus encore que la destruction des prolongements culturels de l’homme, ce dernier se retrouve également réduit et aliéné biologiquement. Pourquoi ?
L’homme a certes la capacité de s’extraire de son milieu, au moins par la pensée et la réflexion, mais il n’en reste pas moins conditionné biologiquement comme tout être vivant.
Or parmi ses besoins se retrouve celui d’évoluer dans un environnement naturel sauvage, stimulant positivement ses sens, son corps et son humeur. Des études sur le sujet concluent à une réduction conséquente du stress et des symptômes de la dépression après une marche dans la nature, mais également à une meilleure circulation artérielle, par exemple.
Quant aux relations sociales, aujourd’hui confinées par l’impersonnalisation et les réseaux sociaux, chaque individu risquant de se noyer dans la masse de ses congénères, elles conditionnent entièrement la santé de l’individu.
Une expérience connue sous le nom de Rat Park, réalisée en 1978, a ainsi montré qu’un rat enfermé dans un lieu clos, avec à disposition un distributeur de morphine, devenait quasi systématiquement addict. À l’inverse, dans un milieu dit « enrichi », bien plus vaste, avec diverses activités et surtout nombre de congénères, les rats consommaient 19 x moins de morphine et préféraient largement boire de l’eau, même après la fin de l’expérience.
Je vous laisse imaginer la vie et la santé des personnes asociales vivant en ville, sans vie de famille, sans copines, sans amies…
Mais plus encore que la sociabilité, le contact avec la nature et de petites balades, l’homme a besoin de satisfaire ce que Ted Kaczynski appelle le « processus de pouvoir ». Celui-ci se compose de quatre étapes : un but, l’effort pour y accéder, le succès, puis l’autonomie. Or le système technologique, en satisfaisant immédiatement les besoins de l’homme en toute chose, en lui assurant confort et même gaspillage, dépossède l’homme de but sensé.
Kaczynski définit en effet le contrôle des ressorts de son destin, par la pleine autonomie dans les choix de vie, comme cruciaux pour le plein épanouissement de l’homme. À l’inverse, la société technologique dépossède l’homme de chance de succès et d’autonomie dans sa propre vie, le conduisant à l’auto-dépréciation, à la dépression et à la fuite dans diverses activités de substitution permettant la distraction. Cette impuissance est la plus aboutie chez ce qu’il appelle le « gauchiste », qui est un type d’homme, non pas dans une définition anthropologique, mais plutôt psychologique. Ceux-ci sont tout à la fois les mieux intégrés au système et les plus malheureux et violents intérieurement, conditionnés par une détestation d’eux-mêmes pathologique issue de leur impuissance dans leur processus de pouvoir.
Pour finir, le vecteur d’aliénation biologique le plus patent réside dans la pollution de nos corps et de nos sens, qui dénature nos réactions, notre psyché et altère sensiblement notre santé. Et ce, au point que nous ne nous rendons plus compte souvent des causes d’un mal-être devenu habituel, comme un ronronnement continu qui semble avoir toujours été là, si bien qu’on ne le perçoit plus. Ainsi en est-il de la mauvaise qualité de nourriture de la majorité des aliments consommés, surtout en période d’inflation. La consommation excessive de sucre, présent dans nombre de denrées industrielles, les perturbateurs endocriniens présents dans l’air, la nourriture ou l’eau, la pollution lumineuse qui perturbe notre horloge circadienne et confine au stress, la lumière artificielle de bureau, le bruit permanent des villes ou des centres commerciaux, la qualité de l’air ; et puis la propension à la consommation dès l’enfance, formant des générations d’abrutis addicts aux bouffées de dopamine, et incapables de réaliser le début « d’un processus de puissance ».
Pour conclure cette partie, la société thermo-industrielle, de par les dimensions inégalées qu’elle donne au processus de progrès technique, lui confère les capacités de s’autonomiser dans une course à l’optimisation de la société humaine, au rendement et au chiffre. La nature, humaine et sauvage, improductives et non optimisées, sont confinées, altérées et niées, conduisant aux maux modernes touchant la santé mentale humaine. L’autonomisation de la technique (mais aussi le fait que les bons côtés soient inséparables des bons), ses conséquences sociales, anthropologiques et biologiques, constituent la première limite. (À suivre) oo■oLAURENT LÀMI