
Par Laurent Làmi.
Cette publication n’est pas un article. Mais la transcription d’une conférence donnée dans le cadre d’un pôle formation de la jeune génération d’Action française. Ce sont donc des pistes de réflexion, des vues d’avenir, qui y sont ouvertes et mises en discussion. Ce texte en 5 parties paraîtra « en feuilleton » au fil de la semaine. [13-17.10]. JSF

III. Quelle opinion avoir ? Quelle perspective politique ?
Je précise avant toute chose que je ne vais donner que mon opinion, et de la manière la plus succincte possible.
Les décroissantistes semblent tous avoir comme péché capital la déconsidération pour la souveraineté au bénéfice de problèmes écologiques et géologiques mondiaux.
Ils ne comprennent pas en réalité à quoi sert le cadre national. Ce sont des idéalistes sur ce point. La course à la puissance existera toujours quels que soient les moyens techniques des nations. Car « l’humanité » est un bien grand mot lorsqu’il est prononcé avec une connotation politique, vide en ce qu’aucun organe décisionnel ou culturel ne les rassemble. L’humanité, c’est une chose qui revient au christianisme.
Les nations sont condamnées, qu’on le veuille ou non, à la survie dans un monde où chacun défend ses intérêts.
La nation c’est la proximité (géographique, ethnique, spirituelle, culturelle et mémorielle).
Et cela est comme cela, parce que la nature humaine fonde les nations, et les appelle.
La mort des nations devrait nous interroger sur la déchéance de l’homme.
En fait, la notion de grandeur, de beauté les laisse indifférents. Ils sont aussi modernes que les autres ; ils détestent l’irrationnel, le spirituel, le beau.
Ce qui compte c’est l’efficacité mais dans l’autre sens. L’efficacité de la sobriété, l’efficacité de la contraction contre l’efficacité de l’expansion.
Ils teintent tout cela de justice sociale et de convivialité (Ivan Illich) montrant une certaine idéalisation stupide de l’avant-industrie, sans comprendre que le paradis perdu du marxiste, celui du chasseur-cueilleur égalitaire, n’existe que dans leurs rêves.
[D’ailleurs, sur ce point, leur universalisme de lutte les empêche de voir les inerties anthropologiques et biologiques (notamment la mémoire épigénétique) qui régissent les peuples.]
Ils pensent en effet que c’est la société industrielle qui a créé les inégalités et que tout le monde était plus juste avant. Oui, le monde était sans doute plus juste dans un certain sens, si on considère les aléas de la nature comme justes, mais pas plus égal. Voire moins égal encore.
Tout d’abord : le retour à la nature, c’est le retour à l’inégalité la plus pure entre des hommes désormais privés d’esclaves mécaniques.
Les lois de la thermodynamique témoignent bien de la nécessité de l’inégalité pour la survie d’une structure dissipative (une société comme un être vivant).
L’égalisation des états de la matière ne conduit en fait qu’à la mort définitive du système, qui perd tout mouvement et information.
Sans inégalités, il n’y a ni vie, ni civilisation, mais Maurras l’avait déjà montré. Je tenais simplement à ajouter cette comparaison avec les lois physiques.
Ensuite : la décroissance que l’Europe devrait amorcer pour la simple cause qu’elle n’a plus de ressources est un aveu résigné ou, pire, un souhait que celle-ci disparaisse purement du jeu mondial et abandonne toute tentation de souveraineté, maintenant qu’elle est la perdante de la mondialisation.
Comme si son temps était, de manière admise, fini, et qu’il fallait laisser la place aux autres pays qui n’ont pas eu le malheur d’entamer leur révolution industrielle plus tôt et qui disposent de ressources encore en abondance.
La France et l’UE ne sont plus souveraines. Nous, nous en concluons qu’il faut se donner les moyens de la retrouver, car c’est le gage de la survie de notre nation. Les décroissantistes la prennent comme acquise, voire avec cette indicible joie du déclin général sauvant l’homme qui échoue de la perspective de se retrouver relégué. Ils considèrent que la France n’étant plus souveraine sur le plan des ressources fossiles, alors elle n’a plus de raison d’exister, et que sa souveraineté technologique est un souvenir.
Ils ne comprennent pas que la technique est inhérente aux États, et que la sauvegarde des peuples passe par elle, ne serait-ce que pour exister sur la scène internationale, ou n’être pas vus comme « l’homme malade » du monde, prêt à être conquis.
Enfin, toute espèce de patriotisme, de grandeur leur échappe, et c’est bien logique au vu de l’inversion des valeurs dont procède leur fond marxiste.
Ils ne prônent pas la juste mesure, qui intègre une certaine croissance dans la qualité. Ils prônent un déclin de la société humaine globale, en ce que la culture constitue elle-même une aliénation (d’où le fait qu’ils ne passent pas par la case tradition anté-industrie à laquelle un conservateur arrive logiquement en souhaitant se débarrasser de la technique moderne), de l’homme et de la nature.
L’homme devrait en fait se dissoudre.
Mais la survie nous poussera d’instinct vers la croissance et la culture.
Et le christianisme donne à cette croissance, à ce progrès, les dimensions du grand, du beau et de la transcendance.
Concernant les technocritiques pures :
Pour ce qui concerne les activités de substitution de Kaczynski, n’existent-il pas des activités, n’ayant rien à voir avec la chasse ou la cueillette, qui méritent d’être exercées et qui trouvent tout leur sens pour celui qui les exerce ? Une société traditionnelle comporte elle aussi ses « improductifs », mais des improductifs apportant un bénéfice moral et politique.
Ainsi en est-il des prêtres, des politiques, administrateurs, fonctionnaires, juristes, …
D’autre part, la recherche scientifique reste vitale pour la souveraineté du groupe, nécessitant bien des personnes pour s’y dédier.
En essentialisant, nous sommes certes éclairés sur les ampleurs de la dépossession que nous fait subir le système technologique. Mais la radicalité de la réponse à ce problème — révolution primitiviste — oublie du même coup que la culture est une continuité de la nature humaine (Maurras). Et quelle réponse apporter alors à cette pente de la nature humaine ?
« Tout est poison, rien n’est poison : c’est la dose qui fait le poison. » (Paracelse).
N’existe-t-il pas une juste mesure nécessaire à toute chose ? Un moment d’équilibre où ces « activités de substitution », nécessaires, sont en juste proportion pour assurer le fonctionnement de l’État, de l’économie, et la prospérité générale ?
Et en même temps, ces activités de substitution ne seraient à la fois pas assez spécialisées pour perdre l’homme dans sa quête de sens, et son environnement de vie, pas assez artificialisé pour l’aliéner.
En fait, la société doit être sensée.
Quel meilleur sens que celui, primaire, qu’apporte la nature à nos stimuli, conçus pour y survivre de par notre ADN.
Mais, le sens ne vient pas seulement de notre biologie, sinon nous ne serions que des animaux. Il vient aussi de notre âme, et de la réponse collective apportée à cette quête intérieure.
Nous ne pouvons réduire l’homme à une seule de ses composantes, biologique, culturelle ou religieuse, mais il s’agit de prendre conscience que le politique doit viser un certain équilibre, qui, bien que foncièrement inatteignable et insatisfaisant, contribuera néanmoins à la santé et au salut individuels, autant qu’à la souveraineté et à la prospérité générales.
CONCLUSION
Le système thermo-industriel est donc la source, le support du système technicien ellulien et de la dépossession moderne, à la fois culturelle et biologique. L’homme, devenu rouage d’un système allant en se complexifiant, devient une pâle copie de lui-même, dépourvu de but concret, des moyens de disposer librement du cours de sa vie.
La contraction physique d’un monde qui a perdu pied est le signe d’un renversement, d’un changement de cycle, ou du moins d’un point de rupture pouvant être synonyme d’opportunité. Le retour des limites ne doit pas être la simple agonie d’une version du système actuel fonctionnant avec moins de moyens. Ces limites engagent ainsi, à la fois, l’enjeu d’une adaptation énergétique et économique de nos sociétés et de nos modes de vie, mais plus encore : cette conjoncture est l’occasion de redonner du sens à la vie de l’homme. Redonner du sens, à la fois en le dépouillant des contraintes pesant sur sa nature, mais aussi en créant un narratif, qui ne peut être que religieux et fondé sur un éveil de l’âme. Éveil d’autant plus nécessaire que les artifices qui permettent de s’en détourner deviendront plus rares.
En somme, le retour des limites est un moyen de faire en sorte que chacun puisse se dire à soi-même : « ma vie en vaut la peine ». (FIN) oo■oLAURENT LÀMI
📚 Bibliographie indicative
Pour accéder aux sources citées :
Association Internationale Jacques Ellul. (s. d.). La technique. [En ligne]
👉 https://www.jacques-ellul.org/les-grands-themes/la-technique
Bernanos, G. (1946). La France contre les robots. Éditions France libre.
Berman, M. G., Kross, E., Krpan, K. M., Askren, M. K., Burson, A., Deldin, P. J., Kaplan, S., Sherdell, L., Gotlib, I. H., & Jonides, J. (2012). Interacting with nature improves cognition and affect for individuals with depression. Journal of Affective Disorders, 140(3), 300–305.
👉 https://doi.org/10.1016/j.jad.2012.03.012
Charlez, P. (2022). Les 10 commandements de la transition énergétique. VA éditions.
Cornuel-Merveille, S. (2023, 6 avril). Theodore Kaczynski : le bluff technicien – PHILITT. PHILITT.
👉 https://philitt.fr/2023/04/06/theodore-kaczynski-le-bluff-technicien/
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👉 https://www.youtube.com/watch?v=H5NAhJoQjQ8
Fleming, S. (2024, 30 juin). Les sources du radicalisme anti-tech de Theodore Kaczynski. ATR.
👉 https://www.antitechresistance.org/blog/sources-analyse-anti-tech-kaczynski
France Inter. (2025, 19 mai). JM Jancovici : « Trouver une voie compatible avec des limites ne nous empêchera pas d’être heureux » [Vidéo]. YouTube.
👉 https://www.youtube.com/watch?v=fjrtj4F0ziI
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👉 https://portage.ca/fr/mieux-comprendre-laddiction/
Schloesser, R. J., Lehmann, M., Martinowich, K., Manji, H. K., & Herkenham, M. (2010). Environmental enrichment requires adult neurogenesis to facilitate the recovery from psychosocial stress. Molecular Psychiatry, 15(12), 1152–1163.
👉 https://doi.org/10.1038/mp.2010.34
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👉 https://theshiftproject.org/la-double-contrainte-carbone/
Thinkerview. (2018). Jean-Marc Jancovici : anticiper l’effondrement énergétique ? [Vidéo]. YouTube.
👉 https://www.youtube.com/live/Fp6aJZQldFs?si=rne59G8Nrl0JwKBm