
« Qu’on ne vienne pas nous dire que la France est à l’arrêt. »
Par Richard de Seze.
J’aurais aimé commencer cet éditorial par une statistique d’élite, un de ces chiffres sérieux qui posent un homme et assoient la discussion sur des bases solides : nombres d’immigrés de troisième génération au chômage ou montant exact des intérêts de la dette, par exemple.

Mais ces chiffres changent tout le temps, rien n’est plus fluide et fugace que la statistique politique, il faut traquer ce gibier au fin fond des pages des rapports parlementaires – qui précisent tous à quel point les chiffres sont sujets à caution puisque les administrations ne les ont donnés qu’à contre-cœur, après des mois de silences revêches et de rappels à l’ordre étonnés et douloureux de la part des représentants de la nation, très étonnés que les fonctionnaires ne leur obéissent pas et se comportent avec eux comme envers leurs concitoyens. Enfin, bref, en guise de solide et de certain, je ne vois pour bien commencer cet éditorial que les toilettes embarquées sur les embarcations d’ostréiculteurs de moins de douze mètres.
Il était certain qu’elles étaient devenues obligatoires par décret, par arrêté gouvernemental, par un de ces textes officiels garantissant au peuple qu’il est gouverné par des gens qui connaissent ses désirs secrets et les voies sûres du bien commun. Il était certain que les ostréiculteurs devaient embarquer des chiottes (le texte officiel précise « water-closet » mais c’est laid) sur leurs barcasses, et bien distinguer celles réservées aux hommes – ou en tout cas s’identifiant tels – et celles réservées aux femmes, pourvu qu’elles assument leur genre. Prudent, le législateur ne disait rien des chiottes neutres car, comme moi, il avait vainement cherché un chiffre certain lui indiquant quelle part exacte de la population des ostréiculteurs ne s’identifiait ni homme, ni femme. Prenant le double parti d’invisibiliser les ostréiculteurs transgenres et non-binaires et de virtualiser leurs latrines, le législateur pouvait à bon droit réclamer la reconnaissance des pêcheurs d’huîtres enfin pourvus de sanitaires règlementaires, ressort secret du bonheur républicain. Ne boudons pas notre plaisir et citons l’annexe II, division 215 : habitabilité, chapitres 1er, article 215.1, point 4 qui autorise des dérogations à l’installation de ces doubles cagoinces non mixtes « dans le cas des navires où il y a lieu de tenir compte […] des intérêts des gens de la mer ayant des pratiques religieuses ou sociales différentes et distinctes » : m’est avis qu’on parle des mahométans, nombreux chez les ostréiculteurs d’Arcachon (là aussi, les statistiques officielles font défaut). Ce souci des « pratiques religieuses ou sociales différentes et distinctes » aurait dû animer le législateur européen qui s’étonnait naguère que les Martiniquais ne fumassent pas leur poisson au bois de hêtre, contrairement à la législation en vigueur. Le fait qu’il faille importer du hêtre en Martinique est un point que les experts examinent.
Quand on part en mer, on fait pipi avant
Il est non moins certain que l’arrêté de la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, gravé dans le marbre du Journal officiel électronique authentifié n° 0192, a été assoupli, en attendant d’être modifié. Les dérogations vont devenir la règle (un peu comme pour les prestations sociales à destination des étrangers). Reste une vraie question : a-t-on besoin de toilettes pour faire pipi ? L’ADEME ne s’est pas prononcé définitivement sur la question, ni le Conseil économique, social et environnemental, mais Jana Rose, ostréicultrice sur l’île de Ré, affirme que « Quand on part en mer, c’est pour quelques heures. On fait pipi avant. Et si on a besoin, nous aussi, on peut faire pipi dans la mer, on fait ça à l’ancienne » (20 minutes). Oui, un journaliste a posé cette question, pour aller au fond des choses et les établir avec certitude.
Voilà donc l’état des choses certaines en France, fin octobre 2025 : on peut faire pipi dans la mer depuis une barge ostréicole sans être hors-la-loi. Pour le reste, le budget, la dette, l’immigration, la sécurité, la guerre contre la Russie, on verra plus tard, l’important n’est pas là. L’important est que la ministre de la transition écologique, de la biodiversité et des négociations internationales sur le climat et la nature, le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, la ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, le ministre des transports et le ministre de la ville et du logement, se soient mis d’accord, par arrêté en date du 16 octobre 2025, pour qu’il y ait désormais un référent laïcité commun pour l’Établissement public du Marais poitevin (EPMP), le Grand port maritime de Nantes Saint-Nazaire (GPM Nantes) et l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), entre autres établissements. Qu’on ne vienne pas nous dire que la France est à l’arrêt.o ■ oRICHARD DE SEZE
Article précédemment paru dans Politique magazine.













