
« En réalité, c’est la combinaison de trois choses qui a scellé ces privilèges : l’accord de 1968, la convention franco-algérienne de sécurité sociale de 1980 et la folle jurisprudence du Conseil d’État.«
Par Xavier Driencourt.

Cet article est paru le 4 novembre dans Le JDD.
La double défaite algérienne ne saurait, en vérité, être tenue pour une victoire française. Elle ne corrige en rien l’affaiblissement d’un pays dont le régime politique se délite sous nos yeux. Le retour du gouvernement des partis et des assemblées consacre la dissolution d’un exécutif qui ne gouverne plus qu’à la marge. Emmanuel Macron tente, à sa façon toute d’agitation narcissique, de conserver la main sur la politique étrangère, dernier domaine où il croit encore pouvoir agir. Mais le pouvoir, désormais dispersé, vacille. La France, faute d’un État fort et d’une vision, n’est plus en mesure de transformer les défaites des autres en victoires pour elle-même. JSF
CHRONIQUE. Double camouflet pour Alger : en deux jours, la France a remis en cause l’accord migratoire de 1968 et l’ONU a validé le plan marocain sur le Sahara occidental. Entre revers diplomatique et isolement politique, l’Algérie voit vaciller ses positions historiques.

On a beaucoup parlé de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 qui, en contrepartie de l’abandon implicite de la libre circulation voulue à Évian par les négociateurs, donnait des avantages exorbitants aux ressortissants algériens. Le rapport parlementaire des députés Charles Rodwell et Mathieu Lefèvre décrit dans le détail ces multiples avantages tout au long du processus migratoire. En réalité, c’est la combinaison de trois choses qui a scellé ces privilèges : l’accord de 1968, la convention franco-algérienne de sécurité sociale de 1980 et la folle jurisprudence du Conseil d’État.
C’est sur le premier texte, l’accord de 1968, que les critiques de la quasi-totalité de la classe politique se sont concentrées. Du RN au « bloc central », les hommes et femmes politiques étaient d’accord pour mettre fin à ces privilèges. La force du RN a été de réussir à « fédérer » ces critiques dans sa résolution demandant l’abrogation de l’accord de 1968. Sur le plan interne, ce « coup de tonnerre » a valeur d’avertissement pour le gouvernement. Pour ma part, j’y vois trois choses : d’abord, une victoire symbolique pour Marine Le Pen et son groupe politique ; on l’a assez dit, c’est la première fois que ce parti réussit à faire voter un texte et qu’il obtient une majorité. Ensuite, le RN a réussi à faire « l’union des droites » sur un sujet explosif, l’Algérie et l’immigration : le sujet algérien fait de plus en plus consensus. Enfin, même si la résolution votée n’a pas de valeur contraignante, il n’empêche que l’idée fait son chemin et que ni le président, ni le Premier ministre, ni le ministre des Affaires étrangères ne peuvent écarter d’un revers de main cette résolution. Sébastien Lecornu ne s’y est d’ailleurs pas trompé.
Ce vote ne changera curieusement pas grand-chose. il ajoute une crise à la crise
S’agissant des relations bilatérales avec Alger, quelles peuvent être les conséquences ? Les relations avec l’Algérie étant au plus bas depuis l’été 2024, je dirais à première vue que ce vote, curieusement, ne changera pas grand-chose. Il ajoute une crise à la crise, il met un peu plus de sel sur la plaie, mais évidemment, le gouvernement ne manquera pas d’expliquer qu’il n’y est pour rien, que tout cela est la faute des députés, de l’extrême droite et des « nostalgiques de l’Algérie française », et que lui n’est pas sur cette ligne. En outre, l’attitude de l’Algérie est parfaitement contradictoire : en décembre 2022, le chef de l’État algérien indiquait au Figaro que cet accord était absolument essentiel car il se situait dans la lignée des accords d’Évian, et qu’en raison de cette force symbolique, l’Algérie avait droit à « des visas de 132 ans » ! 132 années, c’est-à-dire la durée équivalente à celle de la colonisation française en Algérie ! Sans être à une contradiction près, le même président Tebboune expliquait deux mois plus tard dans L’Opinion que cet accord de 1968 n’avait plus aucun intérêt, que Paris l’avait dénaturé et que, tout compte fait, la France pouvait le dénoncer. On ne saurait mieux dire…
Pour achever la semaine, le 31 octobre, le Conseil de sécurité de l’ONU a décidé de soutenir le plan marocain sur le Sahara occidental. L’Algérie, pourtant membre du Conseil de sécurité et représentée à New York par son ancien ambassadeur à Paris, le très compétent et coriace Amar Bendjama, n’a pas réussi à empêcher le vote d’une résolution adoptée par onze voix pour et trois abstentions, résolution qui valide le plan d’autonomie marocain sur le territoire comme « référence centrale ». Moscou et Pékin ont laissé tomber leur ami algérien. La donne avait notablement changé, avec l’adoption d’abord des accords d’Abraham, puis le ralliement aux thèses marocaines de l’Espagne, de la France, du Royaume-Uni et de l’Allemagne. C’est donc pour le Maroc une victoire incontestable, même si les obstacles restent nombreux. Mais c’est surtout une défaite majeure pour Alger. Tout ceci survenant la veille du 1er novembre, fête nationale algérienne, début de la guerre d’indépendance, ce 1er novembre 2025 prend des allures de fin d’une époque. ■ XAVIER DRIENCOURT
Xavier Driencourt est diplomate, ambassadeur de France en Algérie jusqu’en 2020.
De son côté, dans le JDD, le 1er novembre…
Patrick Stefanini : « Emmanuel Macron n’a aucunement l’intention de dénoncer l’accord de 1968 »
RESPONSABILITÉ. L’ancien secrétaire général du ministère de l’Immigration* estime que seule une décision d’Emmanuel Macron pourrait mettre fin à l’accord franco-algérien de 1968, qui accorde un statut privilégié aux ressortissants algériens. Une décision que le chef de l’État ne prendra pas, assure-t-il.
Propos recueillis par Victor Lefebvre

Le JDD. L’adoption de la proposition de résolution du Rassemblement national appelant à dénoncer l’accord franco-algérien de 1968 est-elle purement symbolique ?
Patrick Stefanini. Oui, car l’article 5 de la Constitution dispose que le président de la République est le garant du respect des traités. L’article 52 précise que le chef de l’État négocie et ratifie les traités. Par conséquent, il est aussi le seul à pouvoir les dénoncer. L’accord franco-algérien de 1968 n’a d’ailleurs pas fait l’objet d’une ratification parlementaire, il a été pris par décret présidentiel. Ce qui complique une dénonciation unilatérale, c’est que la France et l’Algérie respectent toutes deux l’application de l’accord de 1968 – même si ce dernier est largement favorable à l’Algérie. Or pour qu’il y ait dénonciation, il faut un motif sérieux. On pourrait toutefois soutenir que près de soixante ans après cet accord, il y a eu ce que les juristes appellent un « changement de circonstances » de nature à justifier sa dénonciation.
En cas de dénonciation, ne reviendrait-on pas au statu quo ante, c’est-à-dire aux accords d’Évian ?
C’est en effet un risque soulevé par un certain nombre de juristes. Les accords d’Évian de 1962 permettaient à chaque ressortissant algérien titulaire d’une simple carte d’identité de bénéficier de la libre circulation vers la France. Pour ma part, je considère que si l’accord de 1968 était dénoncé, les ressortissants algériens reviendraient dans le droit commun des étrangers en France, autrement dit la législation française applicable à tous les étrangers. Ceux qui pensent ou font penser que la dénonciation de l’accord de 1968 signifierait la fin de l’immigration algérienne en France se trompent lourdement ou manipulent l’opinion. Le droit commun des étrangers a été largement façonné par Nicolas Sarkozy entre 2005 et 2009, dans une logique d’immigration choisie. Il s’agissait alors de favoriser l’immigration des étudiants et des travailleurs et de contenir l’immigration familiale et humanitaire. En l’espace de vingt ans, la délivrance des titres de séjour étudiant a ainsi doublé : nous sommes passés d’environ 50 000 à plus de 100 000 aujourd’hui. Les travailleurs étrangers sont quant à eux passés de 13 000 à près de 50 000. Si l’accord de 1968 était dénoncé, les Algériens accéderaient de facto au dispositif dit « des métiers en tension ». Un étudiant algérien ayant obtenu son master en France pourrait rester sur le territoire français pour sa première expérience professionnelle dans un secteur correspondant à ses études. Ces dispositions de la législation de droit commun ne s’appliquent pas, pour le moment, aux ressortissants algériens. Autrement dit, si l’on veut que la dénonciation de l’accord de 1968 s’accompagne d’une réduction substantielle de l’immigration algérienne, il faut réformer le droit commun des étrangers en France.
« La dénonciation ne dépend que d’une volonté politique, en l’occurrence celle du chef de l’État »
À défaut de réduire drastiquement l’immigration algérienne, la dénonciation unilatérale de l’accord de 1968 ne permettrait-elle pas d’adresser un signal fort à Alger, comme le plaide l’ancien ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt ?
Oui, Xavier Driencourt a très certainement raison sur ce point. La dénonciation ne dépend que d’une volonté politique, en l’occurrence celle du chef de l’État. Mais personne ne se fait d’illusion à ce sujet : le président de la République n’a aucunement l’intention de dénoncer l’accord franco-algérien de 1968. Il ne se passera rien d’ici la fin de son mandat.
La proposition de loi du RN pour rétablir le délit de séjour irrégulier a quant à elle été rejetée à l’Assemblée nationale ce jeudi. Son rétablissement serait-il vraiment opérant en matière de lutte contre l’immigration illégale ?
En 2012, une décision de la Cour de justice de l’Union européenne a conduit à ce que le séjour irrégulier ne puisse plus être sanctionné par une peine de prison. Le droit communautaire censurerait donc le rétablissement d’une sanction pénale qui serait une peine d’emprisonnement. Il serait techniquement possible de rétablir une amende, mais ce serait plus une mesure symbolique qu’autre chose. Si l’on veut lutter contre l’immigration irrégulière, il faut entreprendre une réforme en profondeur de la directive « retour », appliquée dans tous les pays européens depuis 2008. Lorsqu’un étranger est interpellé en situation irrégulière, la directive prévoit que ce dernier se voie attribuer un délai de départ volontaire fixé entre huit et trente jours. Cette disposition s’est révélée à l’expérience une aberration qui paralyse les services de police et de gendarmerie. Il faut commencer par faire sauter ce verrou.
*Auteur de Immigration. Ces réalités qu’on nous cache, Robert Laffont, 2020, 317 pages, 20 euros.













Je réagis à l’affirmation de M.Stéphanini relative à l’article 52.
1) Le citer sans le compléter par l’article 53 est profondément malhonnête, comme on peut s’en convaincre en les lisant .
« ARTICLE 52.
Le Président de la République négocie et ratifie les traités.
Il est informé de toute négociation tendant à la conclusion d’un accord international non soumis à ratification.
ARTICLE 53.
Les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l’organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l’État, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l’état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi.
Ils ne prennent effet qu’après avoir été ratifiés ou approuvés.
Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le consentement des populations intéressées. »
2) Sans en connaitre la genèse et l’auteur, je me crois fondé à déclarer l’article 52 indigne de figurer dans la constitution sauf à penser que la constitution a établi le règne du « en même temps ».
3) Chacun propose la seule fleur qui fait son miel. M. Stéfanini justifie ainsi l’inaction -pour l’essentiel- qui a caractérisé la présidence Sarkozy. Inaction qu’il a exposée dans son livre. M. Driencourt, après avoir évoqué trois textes régissant la questions n’en cite qu’un, sans même une phrase résumant la portée des deux autres. On perd son temps avec ces articles désinvoltes. Nos spécialistes nous enfoncent un peu plus dans la confusion et la résignation. Le font-ils à dessein ? Sont-ils eux-mêmes dépassés par les complexités du système qui les rémunère ?
Triste 11 novembre.