
Une chronique qui se veut ironique – et qui l’est vraiment, fourmillant d’idées saugrenues et drôles. Parfois désopilantes. Moment de détente rafraîchissant dans le contexte politique sous tension. Une ironie parfois fondée sur des poncifs ou des options politiques sous-jacentes qui ne sont pas les nôtres, ou même y sont contraires. Même en un tel cas, Samuel Fitoussi rend compte de la situation avec esprit et intelligence des circonstances. Le lecteur de JSF en fera la critique si bon lui semble.
Par Samuel Fitoussi.
À propos de cette chronique parue dans Le Figaro du 17.11, Christophe Boutin a écrit : « Fitoussi est toujours aussi bon. Mais là, c’est un vrai régal… Et le pire est qu’il n’est sans doute pas loin de la réalité. Avis partagé. JSF

CHRONIQUE – Une semaine sur deux, notre chroniqueur pose son regard ironique sur l’actualité. Aujourd’hui, il pastiche l’éditorial qu’aurait pu publier un journal orienté à gauche au lendemain de la mise en liberté de l’écrivain franco-algérien.
Il y avait quelque chose de drôle, ce mercredi, à voir la droite – vent debout contre le laxisme judiciaire en France – se féliciter du laxisme de la justice algérienne. Car Boualem Sansal, condamné il y a à peine un an, sort bien avant d’avoir purgé l’intégralité de sa peine. Il bénéficie d’une grâce accordée par Abdelmadjid Tebboune, chef d’État déterminé, qui a su tenir tête à la diplomatie Française pendant des mois, mais qui, harcelé et calomnié de toutes parts, a fini par céder. Dominatrice et intimidante, la France ne peut s’empêcher de s’ingérer dans les affaires de l’Algérie souveraine. L’impensé colonial, encore et toujours. À l’heure où Sansal retrouve sa liberté (de tenir des propos islamophobes), ayons une pensée pour tous les détenus Algériens dans nos prisons qui eux, ne bénéficieront pas de remise de peine. Selon que vous serez puissant ou misérable… Mais passons. L’extrême droite n’est pas à une incohérence près.
Notre réaction rappelle évidemment son attachement à la liberté d’expression ; il n’est bien sûr pas question d’appeler à emprisonner plus d’un an ou deux les écrivains problématiques. Rappelons toutefois que Sansal n’est pas un enfant de chœur. Auteur de déclarations ayant blessé le sentiment national algérien (que nous ne reproduirons pas ici, par respect pour nos frères algériens), critique de l’islamisme (alors que la France est riche de son islamisme), ami du sulfureux Kamel Daoud… Sansal donne au passage une mauvaise réputation à tous les Franco-Algériens victimes d’amalgames par sa faute. Il est de notre devoir – et du vôtre, cher lecteur, partout où vous le pourrez – de rappeler que les généralisations sont infondées : la grande majorité des Algériens en France n’a jamais blasphémé ni fréquenté un plateau de CNews.
En creux, le cas Boualem Sansal interroge le dysfonctionnement de notre politique migratoire. Qui a validé la décision de naturaliser Sansal malgré les signaux de radicalisation (entretien donné au journal Le Point ; publication de « 2084 », au titre clin d’œil à l’anticommuniste primaire George Orwell ; déclarations d’amour à la France teintées de nationalisme nauséabond…) ? L’austérité néo-libérale ayant réduit à peau de chagrin le budget de nos services publics, la DGSI n’a plus les moyens de passer chaque profil au crible. Mais la France ne peut pas accueillir tous les écrivains islamophobes du monde. (S’il s’avère que les islamophobes sont surreprésentés dans les flux migratoires, il faudra d’ailleurs songer à fermer nos frontières pour protéger les Français)
.Espérons en tout cas que la France apprendra de l’Algérie. Une patrie capable de gestes humanitaires même lorsque cela lui coûte.
Le rapport de force
Reste qu’on pourrait choisir – naïvement – de se féliciter de la désescalade entre la France et l’Algérie. Cette désescalade, malheureusement, n’est que temporaire : le signal de faiblesse envoyé par l’Algérie risque d’inviter la France à davantage d’hostilité, risque de conforter nos dirigeants dans leurs velléités agressives. Alger semble croire – et c’est humain – que la paix peut s’acheter à coups de renoncements successifs, de concessions unilatérales accordées à l’ancien colonisateur. Elle ferait mieux de méditer la leçon de Julien Freund : « C’est l’ennemi qui vous désigne. Vous pouvez lui faire les plus belles protestations d’amitié, s’il veut que vous soyez son ennemi, vous l’êtes. »
La France a désigné l’Algérie comme ennemie ; cette réalité difficile, Tebboune ne peut plus l’éluder. Fût-ce contraire à sa culture et au tempérament de son peuple, l’Algérie doit désormais assumer la confrontation. Le rapport de force lui est largement favorable. Elle pourrait par exemple menacer de mettre fin à tous les flux d’immigration vers la France, flux dont nous dépendons cruellement pour dynamiser notre économie, financer nos retraites, insuffler de la vie à notre culture ankylosée et raviver notre sens du civisme. Par humanisme, l’Algérie s’en abstient ; il serait temps pour elle qu’elle privilégie enfin la défense de ses intérêts nationaux.
Espérons en tout cas que la France apprendra de l’Algérie. Une patrie capable de gestes humanitaires même lorsque cela lui coûte (beaucoup d’Algériens sont blessés que Sansal ne purge pas sa peine en entier – et comment ne pas les comprendre ?), portée à l’auto-critique, disposée à porter un regard lucide et apaisé sur la mémoire. Puisse cela inspirer notre prochain président. On peut toujours rêver. ■ o SAMUEL FITOUSSI

Samuel Fitoussi, « Pourquoi les intellectuels se trompent » aux Éditions de l’Observatoire.












