
« Dans les établissements supérieurs new-yorkais, le wokisme est en recul, et les étudiants conservateurs s’engagent de plus en plus pour défendre la liberté d’expression. » Il s’agit là d’un intéressant récit – ou enquête – paru dans Le Figaro de ce 26.11. Nous ne le commentons pas. Chacun le fera, en pensant probablement aux conséquences pour nous Français à terme plus ou moins long. JSF
Par Paul-Henri Wallett
l est 19 heures, et la nuit est déjà tombée sur le Bronx. Une cinquantaine d’étudiants, des hommes pour l’écrasante majorité d’entre eux, sont rassemblés dans un bar de quartier à proximité de l’université Fordham. À l’avant de la pièce, un jeune en costume-cravate s’empare d’un micro branché sur une enceinte grésillante. « Si nous sommes ici, c’est parce que l’administration a une fois de plus refusé de nous donner une salle », s’exclame Lorenzo, le président du club républicain de la quatrième plus grande université de la ville. « Mais nous sommes là avant tout pour écouter un homme : Curtis Sliwa ! » Sous les applaudissements, le candidat aux municipales de New York – battu le 4 novembre par le démocrate Zohran Mamdani – s’élance. Insécurité, baisse des impôts, propreté… les thèmes favoris du républicain sont passés en revue. Après une prise de parole d’une heure environ, le candidat à la mairie serre chaleureusement les mains qu’on lui tend, puis laisse les étudiants à leur soirée.
En ce milieu du mois d’octobre, on retrouve dans l’assemblée quelques jeunes en costume, militants engagés et aspirant à prendre des responsabilités dans le parti de Donald Trump. Mais beaucoup sont aussi des nouveaux venus qui découvrent les activités de l’organisation étudiante. James*, les cheveux roux et bouclés, est de ceux-là. « J’ai toujours été du côté des républicains, mais jusqu’à cette année je le gardais pour moi », raconte le jeune homme. Sa présence ce soir-là est due à un événement particulier : « J’ai été bouleversé par la mort de Charlie Kirk, confie-t-il gravement. Après ça, je me suis dit qu’il fallait agir d’une manière ou d’une autre. »
Comme l’élève en finance, beaucoup de jeunes conservateurs new-yorkais ont décidé de s’engager dans le combat politique après l’assassinat de l’influenceur politique, survenu alors qu’il débattait sur un campus en septembre dernier. « Les gens se sont sentis attaqués personnellement, ils ont compris qu’ils se devaient de faire, et surtout de dire, ce qu’ils pensent être juste. Nous avons vu émerger beaucoup de bénévoles. Des jeunes viennent nous voir, participent à nos événements. Ils veulent voir ce qu’ils peuvent faire. Il y a l’idée que, si on n’agit pas, Charlie Kirk sera mort pour rien », rapporte Steven Margolis, le président des étudiants républicains pour l’État de New York.
Ce regain d’engagement se constate dans les chiffres. À Fordham, le club républicain a recensé 67 nouveaux membres cette année contre 37 l’an dernier. L’organisation Turning Point USA, fondée par Charlie Kirk, revendique quant à elle un bond spectaculaire d’adhésions. Cette association, qui se distingue des clubs républicains plus institutionnels par ses événements militants grand public et sa forte présence sur les réseaux sociaux, indique avoir reçu plus de 27 800 demandes d’information émanant d’étudiants depuis la mort de son chef.
Mais cette organisation peine encore à s’installer dans les établissements très libéraux de New York City, comme Fordham, Columbia ou NYU (New York University). Selon l’institut Fire, qui publie chaque année un classement sur l’évolution de la liberté d’expression dans les campus américains, ces trois établissements font partie de ceux où le débat s’exerce le plus difficilement. Ils se classent respectivement 191e, 250e et 256e sur 257 au palmarès des universités où la parole est la plus libre. Turning Point tente cependant d’émerger et, depuis le début de l’année, des sections « TPUSA » ont été créées à Fordham et à Columbia.
Si les jeunes conservateurs new-yorkais décident de s’engager davantage, rares sont ceux qui osent le faire publiquement. À l’université Columbia, nous rencontrons les membres du club républicain, lors d’une soirée-débat organisée discrètement dans le sous-sol d’une résidence étudiante. Ces derniers acceptent de témoigner auprès du Figaro, mais insistent pour que leur véritable identité ne soit pas révélée. « Ici, le groupe des conservateurs est très actif, et on voit régulièrement de nouvelles personnes nous rejoindre, mais nous restons ultra-minoritaires », expose Kevin*, qui évite de révéler ses opinions à ses camarades. Selon l’étudiant en physique, se déclarer conservateur à Columbia, c’est prendre le risque d’être harcelé par les militants d’extrême gauche. « Une fois qu’ils vous ont repérés, ils s’en prennent à vous sur les réseaux sociaux et vous insultent », rapporte le jeune homme en chemise blanche.
Certains élèves, comme Eliana*, ont perdu des amis en confessant leurs opinions. « Ils ont refusé de m’adresser la parole du jour au lendemain. Les gens sont vraiment extrêmes sur ce campus », soupire la jeune femme aux longs cheveux noirs. Si l’étudiante en troisième année a décidé de se tourner vers les conservateurs, c’est aussi parce que, en tant qu’étudiante de confession juive, elle était déjà harcelée par les militants propalestiniens de Columbia. « Lorsque la guerre avec le Hamas s’est déclarée, plusieurs filles de ma sororité (les sororités et les fraternités sont des associations non mixtes destinées à créer du lien social sur les campus américains, NDLR) m’ont accusée d’être complice de ce qui se passait à Gaza, et elles m’ont mise à l’écart. Cela m’a blessée et c’est aussi ce qui m’a poussée à venir ici pour me faire de nouveaux amis », raconte-t-elle.
Les étudiants qui prennent des responsabilités au sein des associations conservatrices sur les campus new-yorkais dénoncent régulièrement le harcèlement qu’ils subissent. Ainsi de Ryan Leonard, le président du Club républicain de NYU, la plus grande université de New York City, avec plus de 57 000 étudiants. « Je suis l’un des seuls à être ouvertement conservateur sur ce campus, et je dois en subir les conséquences. Je reçois très régulièrement des menaces de mort, soit dans la vraie vie, soit en ligne », nous explique-t-il par téléphone.
Les réseaux sociaux jouent un rôle très important dans le climat d’inquiétude qui règne pour les étudiants de droite sur les campus. « Il suffit de regarder nos pages, qui ont très peu d’abonnés sur Instagram. Nos militants n’osent même pas les suivre de peur d’être identifiés par les autres étudiants », affirme Christina, la présidente du tout jeune chapitre Turning Point Columbia. Dans les campus américains, l’utilisation des plateformes de publication de messages anonymes, comme Fizz ou Sidechat, renforce le climat d’anxiété des jeunes conservateurs. Sur ces réseaux très populaires, les étudiants interagissent, partagent des rumeurs, des blagues ou des informations liées à la vie du campus, mais ils font aussi état de leurs opinions politiques.
« Lorsque Charlie Kirk est mort, on a vu des gens publier sur Sidechat des messages pour tourner ce drame en dérision ou pour dire qu’il avait eu ce qu’il méritait, rapporte Eliana de Columbia. En les lisant, je n’ai pas été étonnée de voir ce genre de provocations en ligne. Cela correspond à la mentalité des plus militants, mais j’ai été choquée de voir que certains de ces messages comportaient souvent des milliers de mentions “j’aime”. Cela m’effraie de me dire que je les croise tous les jours dans les couloirs. »
L’institut Fire confirme la radicalisation croissante des étudiants. Dans les sondages que cette société envoie aux élèves, l’évolution la plus inquiétante concerne l’acceptation de la violence en politique. « Celle-ci est passée de 20 % en 2020 à près de 34 % en 2025 », précise Robert Shibley, l’un des conseillers spéciaux de Fire. « Cela montre l’extrême frustration politique des étudiants. Ils ont le sentiment de ne pas pouvoir s’exprimer librement et ils voient par conséquent la violence comme seul recours possible », poursuit le sondeur, qui plaide pour une liberté d’expression quasi absolue sur les campus.
À New York, nombre d’étudiants conservateurs interrogés par Le Figaro dénoncent aussi la discrimination exercée par les administrations universitaires à leur endroit. « On nous empêche encore régulièrement d’avoir accès à des salles pour organiser nos événements, souvent au motif qu’il serait difficile d’en assurer la sécurité, mais cela bride notre présence sur les campus », dénonce Steven Margolis, le président du club républicain pour l’État de New York. L’institut Fire confirme que, ces dernières années, les étudiants conservateurs ont bel et bien fait les frais de censure de la part d’universités new-yorkaises. « Ces administrations étant très marquées à gauche, elles avaient assez logiquement tendance à ne pas favoriser le camp adverse », souligne Robert Shibley.
La censure des conservateurs s’explique aussi par le poids de la « cancel culture », qui a longtemps prévalu dans certaines universités américaines. « Ces dernières années, il suffisait de traiter de raciste ou de sexiste un intervenant, un membre de l’administration ou un professeur pour le condamner à la mort sociale. Pour s’éviter les critiques des activistes, les administrations préféraient ainsi souvent restreindre l’accès des universités aux intervenants extérieurs conservateurs », affirme Nicole Bacharan, politologue et spécialiste de la politique et de la société américaines (dernière publication Requiem pour le monde libre, avec Dominique Simonnet).
Le vent commence cependant à tourner sur les campus. La nouvelle Administration fédérale, en campagne contre le wokisme dans les universités, n’a pas hésité à couper les financements d’un certain nombre d’établissements qui refusaient de suivre ses directives. Elle s’est également fortement intéressée aux questions de liberté d’expression. « Donald Trump a insisté pour que les universités censurent les manifestations propalestiniennes, poursuit Nicole Bacharan. Et c’est une bonne chose, car les pires propos antisémites ont été proférés sur les campus ces dernières années, où on a pu voir des célébrations répétées des massacres du 7 Octobre ou des banderoles “Harvard hait les juifs” dans la meilleure université du monde. »
Depuis l’arrivée de Trump, les universités sont tenues de ne pas franchir une ligne rouge : les droits civiques des étudiants juifs. « Les mobilisations propalestiniennes peuvent avoir lieu, mais elles ne doivent pas se faire menaçantes à l’égard de certains élèves, comme cela a pu être le cas par le passé », rappelle Nicole Bacharan. Dans le même temps, l’Administration Trump manifeste son soutien aux étudiants conservateurs et incite les universités à les laisser s’exprimer comme bon leur semble. Une exigence saluée par Steven Margolis, qui reconnaît que, « depuis quelques mois, les universités accèdent plus facilement à leurs demandes que par le passé ». o ■ o PAUL-HENRI WALLETT
*Les prénoms ont été changés. P-H. W.











