
« MAGA » plutôt que « MEGA » : Trump, depuis son investiture, a de toutes les manières manifesté envers les États désunis d’Europe un cordial mépris.
Par Dominique Jamet.

COMMENTAIRE – Cet article, paru le 13.12, n’apporte ni révélations ni analyses de détail des bouleversements géopolitiques profonds qui remodèlent, au fil des dernières années, les rapports de force et leur agencement à travers les cinq continents. C’est là la dimension vraie de l’épiphénomène guerrier russo-ukrainien, qui n’est qu’un point de fixation d’un ensemble beaucoup plus vaste, mis en mouvement par Vladimir Poutine il y a trois ans. Reste donc le tableau de rappel que nous donne ici Dominique Jamet, et qui n’est pas tendre pour les Européens, du moins pour leurs dirigeants, en rupture avec leurs peuples respectifs, reflets des nations historiques, en définitive subsistantes malgré les tyrannies coalisées, aujourd’hui percées à jour, des divers mondialismes et autres utopies. o JSF

Donald Trump avait pourtant assez clairement annoncé la couleur. « America First ». L’Amérique en premier. L’Amérique avant tout, et peut-être même par-dessus tout. Über alles, comme disait jadis l’hymne national allemand. On n’avait pas mesuré, de ce côté de l’Atlantique, la portée et les conséquences de cette déclaration de principe.
La vigilance endormie à l’abri du parapluie américain
L’histoire et la politique semblaient avoir tissé entre les États-Unis et les démocraties du Vieux Continent des liens et des obligations réciproques que rien ne pouvait remettre en cause. Les deux précédents de 1916 et 1941 nous avaient permis d’échapper au désastre où nous avaient entraînés nos folles querelles. Certes, de mauvais esprits rappelaient volontiers que par deux fois, notre grand allié s’était fait longuement tirer l’oreille avant de voler à notre secours, qu’il avait fallu notamment le torpillage maladroit et provocateur du Lusitania par un sous-marin allemand pour amener le président Wilson à sortir de la neutralité, et que vingt-cinq ans plus tard, c’était l’agression japonaise qui avait conduit le président Roosevelt à prendre la tête de la grande alliance des démocraties (et de l’URSS) contre l’Axe germano-nippon. D’autres esprits critiques, de droite, de gauche ou d’ailleurs, faisaient remarquer qu’à la faveur de la guerre et de la victoire, les États-Unis, devenus l’une des grandes puissances, puis la première puissance du monde, avaient imposé leur leadership politique et économique à leurs propres alliés. Tour à tour, on dénonçait leur ingérence et la vassalisation de leurs protégés ou l’on redoutait leur retrait et leur indifférence.
Les traités, la fondation de l’OTAN à l’initiative de Washington et surtout le rôle de gendarme du monde qu’avaient endossé et assumé, chacun à sa manière, tous les présidents nord-américains depuis 1945 semblaient néanmoins préserver la vieille Europe de toute agression. De Londres à Varsovie et d’Oslo à Rome, la vigilance des uns et des autres s’était endormie à l’abri du parapluie américain. Le contrat d’assurance conclu avec notre protecteur valant promesse de paix perpétuelle nous dispensait de tout effort et de toute adaptation à des menaces que le bouclier américain rendait vaines.
Trump n’a pour guide que l’intérêt national
L’élection de Donald Trump puis la mise en pratique de ses conceptions en matière de politique étrangère sont venues brutalement balayer nos certitudes et dissiper nos illusions. Le milliardaire redevenu chef d’État ne cesse d’affirmer sa volonté de rendre sa grandeur à l’Amérique, « Make America Great Again » (MAGA). Cette volonté de puissance ne s’étend pas à l’Europe. Aucune déclaration, aucune décision émanant de la Maison-Blanche depuis un an n’ont affiché une volonté parallèle de rendre sa grandeur à l’Europe, « Make Europe Great Again » (MEGA). Président des États-Unis d’Amérique, le président Trump, depuis son investiture, a de toutes les manières, par les mots, par les gestes et par les actes, manifesté envers les États désunis d’Europe un cordial mépris que justifient selon lui leur affaiblissement, leurs divisions et leurs orientations.
Donald Trump n’a pour guide et pour ligne, outre ses intérêts privés, que l’intérêt national. Il le proclame et le prouve notamment dans le dossier ukrainien où il considère, à juste raison, que ni la sécurité ni la prospérité des États-Unis ne sont en cause.
S’il a choisi la voie du rapprochement avec la Russie, c’est pour trois raisons. La première est que la souveraineté de l’Ukraine, le sort de son gouvernement, son aspiration à l’indépendance lui sont indifférents et qu’il considère, non sans quelques arguments, que ce pays appartient fondamentalement, du fait de son histoire, de sa géographie, de la génétique et de la culture, à la mouvance russe. La deuxième est que Trump déteste sincèrement la guerre, et pas seulement dans la perspective d’un prix Nobel. Je parle ici de la vraie guerre, celle qui détruit et qui tue, au contraire des guerres commerciales, financières et économiques dont il raffole et où il cherche, souvent avec succès, à trouver un avantage personnel et national. La troisième est qu’il vise, en se rapprochant de Moscou, deux objectifs : ouvrir aux entreprises américaines un nouveau terrain, un nouveau marché, et arracher grâce à une gigantesque joint venture la Russie de Poutine à son tropisme asiatique et à l’entente avec la Chine et la Corée du Nord, qui constitue à l’heure actuelle le risque le plus vraisemblable d’une troisième – et dernière ? – guerre mondiale.
Fanfaronnades européennes
Vus de Washington, les efforts de divers pays européens – dont les trois ex-grandes puissances que sont la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, pour, à la tête de la « coalition des volontaires », remplacer l’aide américaine et prolonger la guerre meurtrière qui va bientôt, si la négociation échoue, entamer sa cinquième année – sont à la fois inopportuns et dérisoires.
De fait, le trio qu’ont formé et que conduisent un Premier ministre britannique qui a réussi en dix-huit mois l’invraisemblable tour de force de battre le record d’impopularité de son prédécesseur, un chancelier débutant et déjà chancelant, et un Président dont le mandat agonisant expire officiellement dans moins de dix-huit mois, après que la volonté et les votes de son peuple le lui ont effectivement retiré, a beau multiplier les provocations, les fanfaronnades, les rodomontades et les tirades lyriques, il apparaît singulièrement et fâcheusement désarmé dans l’hypothèse d’une guerre conventionnelle, vu l’état matériel dans lequel sont tombées leurs forces armées et l’état moral de la population des trois pays concernés… Sauf à envisager, bien sûr, le recours au nucléaire, seule base réelle du reste de puissance que nous devons au général de Gaulle et qui nous assure encore, avec la maîtrise de l’arme absolue, les moyens de notre indépendance et la possibilité du plus glorieux des suicides collectifs.o ■ o DOMINIQUE JAMET












