
Par Alexandre Devecchio, pour Le Figaro Magazine.
C’est un article du Figaro paru hier 18.12. Le sujet mériterait plus qu’un bref article de la grande presse. Alexandre Devecchio y pose néanmoins les bonnes questions et ses commentaires vont dans le bon sens. JSF

LA BATAILLE DES IDÉES – La crise agricole liée à l’épidémie de dermatose nodulaire rappelle à la fois la pandémie et la révolte des «gilets jaunes».
C’est l’autre face-à-face qui divise la société française. Non pas la fracture culturelle que décrivait Gérard Collomb avant de quitter le ministère de l’Intérieur et qui oppose une partie de la jeunesse issue de l’immigration au reste de la France. Mais celle qui sépare les « élites » et le peuple. Celle-ci est décrite depuis de longues années dans les essais de Christophe Guilluy, Jérôme Fourquet ou Pierre Vermeren, ainsi que dans les romans de Houellebecq. La crise que traverse l’agriculture en offre une nouvelle illustration et l’image des blindés, des CRS et des gaz lacrymogènes face à des paysans munis de bâtons chantant La Marseillaise restera longtemps comme un symbole.
Le protocole prévoyant l’euthanasie de cheptels entiers dès lors qu’une vache est touchée par la dermatose s’explique peut-être par d’excellentes raisons sanitaires. Certains vétérinaires estiment que l’abattage de masse est l’unique moyen d’enrayer une épidémie qui pourrait s’avérer fulgurante. Mais le rôle du politique est de mettre en balance cette réalité scientifique avec ce qui représente parfois le travail d’une vie. Car il faut des décennies pour bâtir un cheptel solide susceptible de traverser les générations. Sans compter l’impact psychologique de telles mesures : contrairement à ce que pensent les écologistes, les paysans sont souvent proches de leurs bêtes et élèvent ces dernières avec amour. Aucun système d’indemnisation ne peut compenser une telle perte.Passer la publicité
Fallait-il traiter nos agriculteurs comme des casseurs ?
En cela, cette nouvelle crise sanitaire rappelle celle du Covid. Les décisions semblent dictées par le principe de précaution et prises par un pouvoir technocratique lointain et hautain. En quarante ans, le nombre d’agriculteurs a baissé de 66 % passant de 1.200.000 en 1980 à 400.000 en 2024. Durant la même période, le nombre de fonctionnaires au ministère de l’Agriculture a été multiplié par deux, passant de 18.000 en 1980 à 36.000 en 2024. Il y a désormais un fonctionnaire pour dix agriculteurs. Une suradministration qui n’est pas sans lien avec la multiplication des réglementations qui pèsent sur nos paysans et fait, là encore, écho à l’excès de bureaucratie hospitalière pointé durant la pandémie.
Et, surtout, fallait-il traiter nos agriculteurs comme des casseurs ? C’était ne rien comprendre aux raisons de la colère. Ajouter au déclassement économique et social des paysans un déclassement culturel et moral encore plus insupportable à vivre que les difficultés matérielles.
Au-delà des conséquences de l’abattage de masse, les agriculteurs souffrent de l’effondrement de leurs revenus, d’une politique environnementale déconnectée des réalités du terrain et de la concurrence déloyale générée par l’ouverture des frontières conjuguée à la multiplication des normes. Le traité de libre-échange du Mercosur qui devrait être signé en fin de semaine pourrait les fragiliser encore davantage. Enfin, les agriculteurs se sentent exclus d’un monde économique, politique et culturel qui ne les comprend plus et ne reconnaît plus leur travail.
En France, un suicide d’agriculteur a lieu tous les deux jours. Un paysan a sept fois plus de risques de mettre fin à ses jours que n’importe quel autre Français. Outre la pandémie, cette crise de l’agriculture rappelle la révolte des « gilets jaunes ». Comme cette dernière, c’est une crise existentielle qui doit s’entendre comme un cri de survie. o ■ o ALEXANDRE DEVECCHIO













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