Sans-doute n’a-t-on jamais tort de se méfier des émotions, des grands sentiments et des images trop belles, en toutes matières, mais spécialement lorsqu’il s’agit des rapports entre les nations, où, derrière les mots et les idéologies, qui ne datent d’ailleurs pas d’aujourd’hui, ce sont les réalités et la confrontation des intérêts qui finissent toujours par l’emporter.
L’Histoire regorge de lendemains joyeux qui ont vite et tragiquement déchanté. L’on se souvient que l’on avait dansé dans Paris au lendemain de SADOWA, parce que l’on aimait que cette bataille ait été gagnée par la Prusse moderne et éclairée sur l’Autriche conservatrice et catholique. C’était en 1866 et, quatre ans plus tard, la France perdait à Sedan la première des trois guerres franco-allemandes qui, aux XIXème et XXème siècles, allaient ruiner l’Europe pour longtemps et ouvrir la porte de l’hégémonie mondiale à d’autres que nous, France et Europe réunies.
Les deux journées consacrées au projet de fondation de l’UPM, l’Union pour la Méditerranée, que Paris vient de vivre, ne seront pas exemptes de risques et d’illusions si l’on oublie ce grand principe de toute politique extérieure et si l’on néglige de se souvenir que la diplomatie des uns et des autres n’a, en fait, d’autre objectif que de servir leurs intérêts respectifs. C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé, non sans quelque franchise et sagesse, celui des invités de ce sommet dont la présence a soulevé le plus de critiques, de la part du parti droits-de-l’hommiste, le président syrien Béchir El Assad. Ce n’est pas parce que quarante deux chefs d’état européens et du pourtour méditerranéen se sont réunis à la même table de conférence, qu’ils auront dîné, déjeuné ensemble et assisté au défilé de nos troupes sur la plus belle perspective du monde, que les rivalités d’intérêts, les rapports de force, les vielles haines entre eux se seront évanouis.
Ceci étant dit, la diplomatie étant prise pour ce qu’elle est, une manière pacifique de vouloir composer les intérêts rivaux et reculer autant qu’il est possible la perspective de les voir dégénérer en conflits armés, ce qui n’est déjà pas si mal, il est clair que ces journées peuvent aussi contenir des aspects positifs, dont, en l’occurrence, le mérite revient à la diplomatie française.
Comme à son ordinaire, Nicolas SARKOZY s’y montre double. Il manie le Bla Bla moraliste, démocratisant, droits-de-l’hommiste et donneur de leçon qui exaspère jusqu’à nos partenaires européens mais plus encore, comme il est naturel, les nations qui, vivant dans des mondes historiquement, culturellement, spirituellement tout autres et indifférents à nos valeurs à prétention universelle, se moquent bien pas mal de nos objurgations.
Mais parallèlement à ce discours, SARKOZY, en réalité, mène, simultanément, une politique réaliste, une Real Politique. SARKOZY l’américain, l’atlantiste, l’ami des néoconservateurs, n’hésite pas à profiter des quelques mois de quasi vacance de l’administration américaine et de ses six mois de présidence européenne, pour replacer la diplomatie française au cœur des problèmes méditerranéens et proche-orientaux. Et pour, comme une contre-image, tracer les contours, au Proche-Orient, d’une politique plus pragmatique, plus respectueuse des réalités des états de ces régions complexes où l’action des États-Unis a si manifestement échoué, après la désastreuse aventure irakienne.
SARKOZY l’européen, ne craint pas de tenter, par ce projet méditerranéen, un rééquilibrage de l’Europe en faveur des pays de notre continent qui bordent la Méditerranée, la France notamment. Après tout, L’Europe du Nord, de la Baltique, des plaines de la Mittel Europa a-t-elle vocation à dominer l’Europe toute entière ? Rééquilibrer le Continent vers cette Méditerranée idéale dont MAURRAS avait tracé les vastes contours dans le Soliloque du Prisonnier, est-ce que ce n’est pas conforme aux intérêts de la France et d’un équilibre européen mieux réparti ?
Enfin, SARKOZY, le pro israélien, réunit autour des mêmes tables, au grand dam des moralistes de la Démocratie et des Droits de l’Homme, les principaux dirigeants arabes, souvent « frères » ennemis, comme le Libanais et le Syrien, l’Algérien et le Marocain, l’Egyptien et le Premier Ministre d’Israël. Au fond, l’Europe et la Méditerranée, dont les nations se sont entre-déchirées impunément, pendant vingt siècles parce qu’elles étaient le centre du monde et, pour ainsi dire, pouvaient s’offrir un tel « luxe », ont aujourd’hui tout intérêt à la paix parce qu’elles se sont épuisées dans leurs guerres et qu’elles ont ainsi ouvert la voie à l’hyper puissance, aujourd’hui, pour quelques temps encore, de l’Amérique, demain de l’Asie.
Pour ce qui est de l’avenir, tout dépend de ce qui dominera : la Real Politik ou les nuées démocratiques d’un côté, le fanatisme ethnique et religieux de l’autre…..
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