(Voici la chronique économique de François Reloujac, parue dans le numéro 103, de janvier, de Politique magazine)
Il a fallu moins de temps au dernier en date des sommets de « la dernière chance » pour sauver l’euro que pour tous les précédents avant de se révéler pour ce qu’il est : un trompe-l’œil.
Les Chefs d’État et de gouvernement qui ne savent pas comment sortir de l’impasse remplacent les décisions courageuses nécessaires par des déclarations solennelles qui ne débouchent sur rien. Personne ne veut en fait prendre la responsabilité d’être le premier à reconnaître que l’on fait fausse route. Chacun cherche à gagner du temps, au moins jusqu’aux prochaines élections. Du coup, au lieu de prendre les dispositions qui permettraient, au bout d’un certain temps, de sortir de la crise, ces tergiversations ne conduisent qu’à son aggravation. L’euro est mort, mais nul ne veut l’enterrer. On attendra pour cela qu’il soit en pleine décomposition.
La récession qui guette désormais l’ensemble des pays européens, ne fera que rendre plus précaires les populations fragiles. Mais comme nul ne veut accepter de dire que le système européen de la monnaie unique n’est pas viable dans une union de pays qui gardent chacun un certain pouvoir économique, l’on va chercher à promouvoir un peu plus de fédéralisme. Derrière ce mot fétiche, chacun met ce qu’il veut. Et aucun homme politique n’ose dire de quoi il s’agit. Il ne peut pas y avoir de monnaie unique viable entre des populations qui ne sont pas solidaires entre elles ; il faut que les plus favorisés acceptent de subventionner les plus pauvres sans exiger un « retour sur investissement », ni immédiat ni futur. La solidarité n’est pas une question d’équilibre financier mais d’équilibre social. Il faut que le régime social soit le même partout et non que certains travaillent 35 heures par semaine pendant que d’autres passent plus de 40 heures en activité, que certains prennent leur retraite à 60 ans tandis que d’autres attendent plus de 67 ans avant d’y arriver, que certains bénéficient d’un salaire minimum de plus de 1 500 euros alors que d’autres n’en ont un que de 123 euros, etc. Est-il réaliste de penser que l’on pourra rapidement niveler ces divers seuils ? Tant que l’on n’y sera pas arrivé, les transferts des plus riches vers les plus pauvres seront extrêmement importants. Même lorsque les régimes sont identiques au sein d’une même zone, des transferts existent, car toutes les régions ne bénéficient pas des mêmes climats et des mêmes ressources naturelles, car toutes les activités humaines, pour utiles qu’elles soient, ne rapportent pas les mêmes revenus. Lorsque, de plus, les régimes sociaux diffèrent, l’équilibre requiert encore plus d’efforts. Est-ce vraiment cela qu’a imaginé le « couple Merkozy » ?
les états ne remboursent plus leurs dettes
On nous dit que les pays les plus endettés ne peuvent plus trouver sur les marchés financiers des taux d’intérêt qui leur permette de supporter les remboursements nécessaires. À l’inverse, l’Allemagne – qui, quoique très endettée, bénéficie d’excédents de trésorerie provenant de ses exportations – supporte des taux artificiellement bas qui ne dureront plus très longtemps puisque ses principaux clients (ses partenaires européens et les Chinois) sont menacés de s’enfoncer dans la récession ; ils achèteront donc moins. Cette différence de taux à laquelle on assiste, est la négation même de ce pourquoi l’euro a été créé. Mais il y a plus, les États européens ne remboursent plus leurs dettes ; ils les renouvellent à l’échéance. Compte tenu de la situation actuelle, ces renouvellements se font à des taux toujours plus élevés. Les États entrent en concurrence les uns avec les autres pour essayer d’obtenir les ressources qui leur permettront de « ne pas faire défaut », comme on dit aujourd’hui, c’est-à-dire de ne pas faire faillite. Et comme cette concurrence entre États impécunieux ne peut que pousser à une augmentation encore plus importante des taux, le président activiste a proposé la création d’« eurobonds » (sic). Une seule émission à un taux unique dont on répartit ensuite le résultat entre ceux qui en ont besoin. Puisque les financiers ne veulent plus prêter à des surendettés, il suffit de les regrouper tous en une seule association. Celle-ci n’a encore jamais emprunté quoi que ce soit.
Comme si deux surendettés devenaient solvables par la seule magie de leur regroupement.
que deviendront les cds ?
Aucun chef d’État n’est aujourd’hui prêt à accepter l’éclatement de l’euro, ni même la sortie d’un seul pays. En effet, si la Grèce sortait, on risquerait de voir l’euro s’apprécier aussitôt sur les marchés rendant encore plus difficile le traitement de la récession qui commence. De plus, la Grèce serait, selon toute vraisemblance gagnée par l’inflation. À l’inverse, si l’Allemagne sortait, celle-ci sombrerait dans la déflation alors que, l’euro baissant, les autres États pourraient avoir une production dont les prix deviendraient plus attractifs.
Mais cela signifie-t-il pour autant que ces produits trouveraient preneurs ? Plus grave, que deviendraient les fameux CDS ? Ces produits censés servir d’assurance aux créanciers mais qui ont été vendus en très grande quantité à des personnes qui n’avaient rien prêté aux États menacés. Qui les ont souscrits, à l’origine ? Pour quel montant ? Et ces souscripteurs ne les ont- ils pas revendus à d’autres qui les détiennent aujourd’hui ?
Quel serait dès lors l’impact d’un « défaut » d’un État de la zone euro ?
Même lorsque les économistes ont des analyses qui convergent vers une même solution, on n’est pas à l’abri d’une nouvelle crise venant tout bouleverser. C’est que toutes leurs analyses ne portent que sur les « grandeurs » économiques et ne prennent pas en compte les relations entre les agents économiques. En évacuant ainsi toute subjectivité de l’analyse, on s’expose à être toujours démenti par les faits. C’est bien ce qui explique le constat fait par le prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz, dans Les Échos du 19 décembre 2011 : « le secteur financier a échoué à évaluer la solvabilité et les risques » ; l’euro est donc menacé. La cause de cet échec est simple : la solvabilité et les risques relèvent d’abord des comportements humains, donc subjectifs ; on ne peut donc pas les maîtriser sur la base de seuls rapports de grandeurs « objectifs ». Aucune politique ne peut être conduite sur le seul fondement d’un seul calcul économique.
quelle règle d’or ?
Les chefs d’État et de gouvernement font fausse route lorsqu’ils veulent imposer des mesures rigoureuses prises à partir du seul calcul économique, fût-il juste. L’exemple le plus frappant donné par le dernier en date des sommets de la dernière chance est l’imposition de la fameuse « règle d’or ». Au-delà des mots, cette « règle d’or » n’a pas le même contenu d’un État à l’autre, étant plus ou moins rigide mais toujours difficilement applicable dans le temps. Le modèle auquel se rattachent les dirigeants européens avait été inventé en Suisse, par le seul canton de Saint Gall juste après la crise de 1929. Aucun autre gouvernement ne l’avait imité avant la chute de Lehman Brothers.
Mais si certains États, comme l’Allemagne, s’y sont ralliés, aucun n’a décidé de le mettre en œuvre avant 2017 au plus tôt.
On se raccroche donc à une règle qui n’a pas fait ses preuves et qu’aucun pays, pas même l’Allemagne, n’est en état de respecter. À quoi rime une législation que seuls les successeurs seront tenus de suivre, dans plusieurs années, alors que personne ne sait comment l’économie évoluera d’ici là ? « Merkozy » l’a voulue et, pour résoudre la crise qui sévit aujourd’hui, décide d’imposer aux successeurs de demain un carcan « renforcé et sévère » en demandant aux dirigeants d’aujourd’hui de l’inscrire dans la constitution de leur pays ! Et, pour en arriver là, on prétend qu’il s’agit d’une modification de pure technique, figurant dans une simple annexe du Traité de l’Union européenne, pour laquelle les peuples n’ont pas besoin d’être consultés.
Enfin, le dernier en date des sommets de la dernière chance a aussi montré l’opposition farouche du Premier ministre britannique au projet proposé, ce qui a valu l’échange de propos aigres-doux avec les représentants de la France. Et, depuis, « le gamin buté » que serait, aux dires de Nicolas Sarkozy, David Cameron, a commencé à chercher des alliés pour s’opposer au projet. Or, son objectif est limité : que la place financière de Londres ne soit pas soumise à la dictature administrative de Bruxelles. Le Premier ministre britannique a donc la prétention de vouloir conserver sa souveraineté financière. Force est de constater que le seul point d’accord de tous les gouvernements européens actuels – britanniques compris – est que si la politique ne se fait plus à la corbeille, elle se fait désormais pour la corbeille. ■
C.L.C. sur Funeste abandon…
“« Sans le latin la messe nous emmer.. » Brassens On n’est pas obligé d’aller tous les dimanches…”