La métamorphose de Noël : de la célébration de la Nativité des deux glaives, le verbe et l’esprit, à la bouffée délirante consumériste (2)


PAR RÉMI HUGUES.     

L’auteur des Fleurs du Mal exagérait sans doute lorsqu’il avançait, dans Mon cœur mis à nu, que le commerce est par son essence satanique – il est le lien, l’intermédiaire, nécessaire entre les sphères de production et de consommation –, en revanche il exprima l’une des plus lumineuses sentences théologiques en affirmant que la plus grande séduction du diable est de faire croire qu’il n’existe pas. C’est justement l’un des points les plus cruciaux de la mission de cet Homme qui naquit un 25 décembre, jour de la Noëlle, selon la formulation méridionale : annoncer à l’humanité la réparation de la faute d’Adam, au détriment de qui le trône suprême – le gouvernement de la terre – échut à un ange déchu, tout premier être de la création auquel Carl Gustav Jung affubla le syntagme archôn tou aîsnos toutou[1].

Le Messie, une dyade

La messianité est le truchement par lequel s’opère cette réparation. Elle est semblable à la création, elle est duale : aux couples ange/homme, lumière/ténèbres, espace/temps, humide/sec, nuit/jour, mâle/femelle[2] s’ajoute le diptyque – ou « dyade »[3] chez Pierre Boutang – machiah ben Yosef / machiah ben David[4], lesquelles entités existent depuis le commencement.

Le premier est le verbe, cette voix qui résulte de cet acte impératif du Très-Haut : « Qu’il y ait de la lumière ! » (Genèse 1 : 3).

D’où le prologue de l’évangile de saint Jean : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. Par lui tout a existé, et sans lui rien n’a existé. Ce qui existe était vie en lui, et la vie était la lumière des hommes ; et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point arrêtée.

Parut un homme envoyé de Dieu ; son nom était Jean. Il vint pour témoigner, pour rendre témoignage, à la lumière, afin que tous crussent par lui. Il n’était pas la lumière ; il devait rendre témoignage à la lumière.

La vraie lumière, qui éclaire tout l’homme, faisait son entrée dans le monde. » (Évangile selon saint Jean, 1 : 1-10).

Le verbe est ainsi lumière, à rapprocher de logos, ce vocable grec qui vient de la racine indo-européenne log-lig, signifiant précisément « lumière », qui a donné lux, lucis en latin et son nom au dieu solaire des Celtes Lug.

D’où également cette parole hardie jetée à la face des élites sacerdotales judéennes : « Avant qu’Abraham fût, je suis » (Évangile selon saint Jean, 8 : 57) à l’intérieur du Temple de Jérusalem.

Quant au second, il est « l’Esprit de Dieu [qui] planait au-dessus des eaux. » (Genèse 1 : 2) Lui qui apparaît après Jésus, que ce soit dans le temps historique ou dans la dénomination de la Trinité – « Saint-Esprit » est prononcé après « Fils » – son occurrence est dans le livre de la Genèse antérieure à celle du Logos rédempteur.  ■  (À suivre)


[1]Soit, en français, « seigneur du siècle présent », Carl G. Jung, Psychologie et alchimie, Paris-Buchet-Chastel, 2014, p. 274.

[2]Dieu « a établi les deux sexes dans tous les êtres produits », est-il écrit dans le troisième verset de la sourate « Le Tonnerre » (Coran de La Mecque, sourate XVIII).

[3]Métaphoriquement ces dyades sont pour Boutang des îles jumelles. Il les définit de la manière suivante : « des couples de séries […] qui se croisent sans avoir de terme commun univoque », Ontologie du secret, Paris, PUF, 2016, p. 43.

[4]Une telle dichotomie messianique est présente au moins depuis la cabale lourianique (d’Isaac de Louria, qui, au XVIème siècle, fit de Safed, ville du Proche-Orient, le nouveau centre spirituel du peuple juif) mais pas nécessairement dans le Talmud. Par exemple, dans le traité Sanhédrin (97-98 ; 98b) nulle mention n’est faite d’un Messie de la maison de Joseph. On retrouve cette dichotomie dans un texte du XVIIème siècle associé au mouvement sabbataïste Guey Hizayon (La vallée de la vision) qui, bien plus tard, a été inséré dans le recueil intitulé Qobets ’al Yad, publié  en 1949. Rabbin vivant dans la province grecque de l’Empire ottoman au XVIème siècle, Hayin Ha-Kohen, disciple de  David Vital, estime dans Torat Hakham que le Messie de David est un « héros victorieux » et le Messie de Joseph « celui qui tombera dans la bataille », cité par Gershom Scholem, Sabbataï Tsevi. Le messie mystique, Paris, Verdier, 1983, p. 69. Ce qui est identique à la thèse d’Albert Schweitzer, un Allemand, luthérien de confession, prix Nobel de la paix en 1952 et auteur de La Quête du Jésus historique telle que l’historien israélien Scholem la résume : « « Si lors de son premier avènement Jésus avait été le serviteur souffrant, jusque dans la mort, dans le Second Avènement […], il apparaît en vainqueur et juge du monde. », ibid., p. 106. La commentant, Scholem souligne qu’elle « présente des affinités évidentes avec la conception juive de l’âge messianique. », ibdi., p.  108.


À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)

 

 

 

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