
Par Aristide Ankou.
Nous avons pris acte de la relative mue orthographique du nom du rédacteur de cet article dont par ailleurs, le fond, le style et la qualité sont inchangés, appréciés ici à leur juste et rare valeur. Ce que cet article contient de subtile perspicacité et de hauteur de vue, nous laissons à nos lecteurs le soin de le découvrir et d’en débattre, s’il y a lieu.
Ce que je vais avancer n’est qu’une intuition – an educated guess, disent les anglo-saxons – et je ne prétends nullement être en mesure de le démontrer, mais il me semble que, dans le débat sur la réforme des retraites, l’argument du « retard sur nos voisins européens » est à peu près totalement démonétisé. J’ai bien entendu le gouvernement et ses soutiens essayer de l’employer, mais assez mollement et il me semble qu’aucun de leurs contradicteurs ne s’est donné la peine d’essayer d’y répondre.
Je soupçonne que c’est désormais pour toutes les réformes économiques et sociales que cet argument est de la roupie de sansonnet (peut-être conserve-t-il une certaine force rhétorique concernant les questions de mœurs).
Ce qui n’est pas vraiment surprenant tant on a usé et abusé de cet argument paresseux mais un temps persuasif. Depuis une bonne quarantaine d’années, nos élites politiques, intellectuelles, médiatiques, bref la classe jacassante, n’ont cessé de nous presser de nous « adapter au monde » et plus particulièrement de « combler nos retards » supposés sur nos partenaires européens.
Depuis une bonne quarantaine d’années, ceux qui nous gouvernent et ceux qui prétendent diriger nos consciences nous ont constamment comparés à d’autres, toujours supposés meilleurs que nous, et nous ont enjoint de les imiter.
Bref, ceux qui président aux destinées de la France ont fait de leur mieux pour donner aux Français le regret de n’être qu’eux-mêmes. Honteux de se découvrir si « en retard », si peu « modernes » dans le miroir qu’on leur tendait, les Français ont bravement entrepris de se réformer comme on le leur demandait, parfois en grognant et en trainant les pieds il est vrai, mais dans l’ensemble avec de la bonne volonté.
Seulement, le « retard » ne se comblait jamais, ou bien alors n’était rattrapé que pour en découvrir un nouveau, tout aussi mortifiant. Et puis s’adapter aux changements du monde ne constitue pas un projet de vie pour une nation. Bien évidemment, nous devons tenir compte de ce qui se passe chez nos voisins et nos concurrents, notamment en matière de défense et de commerce. Comme le disait le général de Gaulle, il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités. Seulement, de moyen indispensable à la survie, l’adaptation s’est transformée en fin en soi.
Or, pas plus que l’homme ne peut se contenter de vivre mais aspire aussi toujours à vivre une vie qu’il juge bonne, honorable, juste, et peut-être sainte, les nations ne peuvent se contenter de subsister. Les nations, non plus que les hommes, ne vivent pas que de pain. Si elles veulent persévérer dans leur être, c’est en tant que cet être là, particulier, porteur d’une forme de vie singulière, ou qui se croit singulière ; bref les nations, comme les individus, aspirent à perpétuer leur « identité » ou leur « personnalité » et pas juste leur vie. Leur demander d’imiter sans cesse ce qui se fait ailleurs revient à leur demander de travailler à leur propre disparition. Un tel programme ne peut, sur le long terme, provoquer que deux réactions : soit un mépris pour notre patrie et pour nos concitoyens, soit un attachement buté à ce qu’on nous presse d’abandonner. Ce genre d’éducation politique perverse produit soit des soi-disant « citoyens du monde », qui sont réellement des contempteurs de leur patrie, soit des gaulois réfractaires, qui mettent leur honneur à défendre ce qu’on prétend leur faire abandonner.
Ainsi, il me semble percevoir dans l’opposition farouche à la « réforme des retraites », quelque chose qui dépasse la simple défense des intérêts catégoriels, la jalousie ou la paresse – qui certainement sont bien présentes aussi – quelque chose comme une fierté blessée et un refus de se conformer au monde tel qu’on nous dit qu’il va.
Il est évidemment plus que regrettable que les Français mettent l’orgueil national qui leur reste à défendre un Etat-providence obèse, dispendieux, inefficace et, au sens strict, démoralisant, mais il faut reconnaitre que ce refus de « s’adapter », tout borné qu’il soit, n’est pas sans noblesse ni sans valeur.
Il pourrait même, entre les mains d’un homme d’Etat digne de ce nom, former le noyau d’une authentique renaissance politique, qui mettrait un terme au pourrissement et au délitement de notre corps politique. Mais où trouver ce trésor plus rare et précieux que n’importe quelle mine de diamant ?
Peut-être cet être rare fera-t-il, à la onzième heure, son apparition sur le devant de la scène. Peut-être la France, au contraire, a-t-elle dit son dernier mot. Mais en ce cas je dois dire que je préférerais encore, et de loin, qu’il s’agisse du mot de Cambronne adressé à tous ceux pressent de « changer » et de nous « adapter ». ■
Précédemment paru sur la riche page Facebook de l’auteur (31 janvier).
Aristide Renou