DÉNI DU RÉEL, ILLUSIONISME ! DÉCRYPTAGE.
Entretien avec Christophe Boutin, Philippe Moreau-Chevrolet.
Cet entretien qui est surtout une analyse descriptive ou si l’on veut un décryptage de l’entretien d’Emmanuel Macron de mercredi dernier sur France 5, est paru sur Atlantico hier 21 décembre.
Au lendemain du vote de la loi immigration, Emmanuel Macron a été interrogé pendant plus de deux heures sur le plateau de « C à vous », l’émission de France 5.
« Si 43 % des Français considèrent que le texte est « équilibré », ils sont 37 %, plus du tiers, à estimer qu’il « ne va pas assez loin », et 19 % seulement à le considérer « trop dur ». »
Atlantico : Première prise de parole d’Emmanuel Macron après la crise politique enclenchée par le vote de la loi immigration portée par Gérald Darmanin. Le Président a jugé cette loi utile tout en reconnaissant que ce n’est pas le texte qu’il souhaitait et que « certaines choses dedans » ne sont pas formidables. Le chef de l’État a-t-il démontré l’utilité de ce texte adopté dans la douleur et qui va sans doute être réécrit par le Conseil constitutionnel ?
Philippe Moreau-Chevrolet : Non, il a usé sa posture habituelle qui est de dire « j’assume ». Il ne renie rien de ce qu’il fait et il renvoie au Conseil constitutionnel la réalité de la décision politique. Il transfère au Conseil constitutionnel la charge de la décision politique. C’est lui qui va prendre sur ses épaules la popularité ou l’impopularité de la décision, ce qui en fait une cible pour l’extrême droite et ce qui dégage Emmanuel Macron de devoir assumer des choix un peu radicaux. C’est vraiment un transfert de responsabilité politique. C’est assez inédit sous la Ve République de se défausser de sa responsabilité politique sur un corps juridictionnel.
Hier soir, il a fait une opération de service après- vente auprès des seniors qui sont le cœur de son électorat et qui sont le cœur de l’audience de l’émission. Cette émission était prévue de longue date. Elle a été détournée pour faire de la gestion de crise avec une reprise des éléments de langage du Président qu’on connaît depuis hier soir. La loi aurait pu être votée sans les voix du RN, ce qui est factuellement faux. C’est inexact.
Christophe Boutin : Emmanuel Macron n’est jamais aussi bon que dans la défense, et plus encore lorsqu’il est confronté à des adversaires dont la déconnexion d’avec les réalités vécues par les Français lui facilite la tâche. C’était le cas en grande partie hier, lors de cette émission de télévision à laquelle il a choisi de participer pour couper court à un certain nombre de polémiques qui se développaient après le vote de la loi immigration. Clair, cohérent, pédagogue, ne cédant rien, le président de la République est revenu sur l’utilité du texte et a insisté à la fois sur sa cohérence et sur son absolue nécessité. Sa cohérence résulterait du « en même temps », une méthode qu’il a défendu plusieurs fois hier soir, et qui ici permet selon lui de réaliser les deux objectifs fondamentaux du texte proposé par le gouvernement, celui d’abord de se battre contre les flux de migrants irréguliers, celui ensuite de mieux intégrer ceux de ces migrants irréguliers qui, par le travail, auraient déjà acquis une place dans notre société. Sa nécessité viendrait elle de l’importance d’une pression migratoire dont les Français demandent instamment qu’elle cesse.
Le Président a ensuite détaillé la procédure d’adoption du texte et ses aléas, considérant que se sont ajoutés dans la discussion d’autres dispositions, avec lesquelles il estime être moins en accord, voire en désaccord, mais qui, selon lui, ne modifiaient pas l’économie du texte au point que l’on se refuse à trouver un accord au Parlement. Il a insisté sur le fait qu’il s’agit d’un texte de compromis, et qu’en politique il importe de savoir faire des choix et de déterminer des priorités, et a conclu sur ce point en évoquant cette saisine du Conseil constitutionnel qui pourrait permettre d’écarter certaines de ces dispositions mineures si elles étaient contraires à nos principes constitutionnels.
Alors que la loi immigration, votée par la droite et l’extrême droite, a été qualifiée de « victoire idéologique » par le Rassemblement National, Emmanuel Macron a estimé que ce n’était pas vrai. Ce texte est-il une défaite pour le RN comme le suggère le Président ? Est-ce qu’il balaye le réel avec des formules ?
Philippe Moreau-Chevrolet : Emmanuel Macron a dit que c’était une défaite pour le RN. Elisabeth Borne a fait la même chose hier matin sur France Inter. Aujourd’hui, on appelle ça de la communication « trumpienne », on affirme d’une façon catégorique l’opposé de ce dont on est accusé. C’est vraiment très particulier. Emmanuel Macron peut dire ce qu’il veut du RN, c’est une victoire
Emmanuel Macron essaie de créer une vérité alternative. Il fait ça pour sa base. C’est une opération de « Damage Control », Il a allumé un contre-feu, une polémique dans la polémique. C’est la bonne vieille méthode Pasqua qui consiste à faire une polémique absolument non nécessaire pour pouvoir faire en sorte qu’on parle d’autre chose. C’est le premier talent d’Emmanuel Macron.
Christophe Boutin : C’était effectivement le point central des critiques faites hier soir à Emmanuel Macron que d’avoir cédé devant la pression politique et/ou idéologique du Rassemblement national, si ce n’est d’avoir trahi ses engagements de campagne de faire barrage à ce dernier. Il a été attaqué à la fois sur le contenu de cette loi immigration, mais aussi sur l’utilisation qu’il a pu faire auparavant de certains termes, dont celui de « décivilisation », qui serait emprunté à l’extrême droite via l’écrivain Renaud Camus, ce qui aurait traduit, selon ses interlocuteurs, une première dérive de sa part.
Pour y répondre, il s’est employé d’abord à montrer combien les éléments du texte sont éloignés des revendications du Rassemblement national, et ajouté que cette réforme, contrairement à celles que souhaite porter la formation de Marine Le Pen, n’implique pas de révision constitutionnelle. Mais le Président a aussi repoussé dans les cordes ses interlocuteurs avec beaucoup de flegme en les renvoyant à ce qu’il estime être la réalité, le fait que les questions de la décivilisation, des incivilités à l’insécurité, ou de la lutte contre les flux irréguliers de migrants, sont au cœur des inquiétudes des Français. Mais il s’est plu ensuite à distinguer sur ce point les Français des « classes populaires » et des « quartiers difficiles », confrontés au quotidien avec ces réalités, et ceux qui, dans une situation privilégiée et des « quartiers préservés », ne connaissent pas ces problèmes. Or pour le Président, les mêmes « bonnes âmes » qui font aujourd’hui étalage de leurs principes sont aussi ceux qui, au pouvoir « pendant quarante ans », n’ont rien fait pour lutter contre les vrais problèmes – chômage, immigration, insécurité – et ont ainsi contribué à faire prospérer un Rassemblement national auquel on abandonnait ces domaines et jusqu’à certains termes. Pour lui, en traitant ces attentes, loin de céder aux sirènes idéologiques de l’extrême droite, il mène contre le Rassemblement national la seule lutte possible.
La crise politique engendrée par le vote de ce texte est profonde. Après la démission du ministre de la santé, Aurélien Rousseau, l’ensemble des 32 départements de gauche refusent d’appliquer la loi. Emmanuel Macron peut-il encore garantir le fonctionnement régulier des institutions ?
Philippe Moreau-Chevrolet : Dans les faits, oui, il reste le président de la République et il a tout à fait les moyens de faire appliquer la loi. Après, le problème, c’est que ça passera par des tribunaux. Au lieu d’avoir une loi qui fait le consensus dans le pays, qui est applicable et qui permet de progresser, on va avoir une loi qui, dès le départ, divise et qui va continuer à produire du clivage pendant des semaines et des semaines. Le seul gagnant là- dedans, c’est Emmanuel Macron. Le Président n’est pas le maître des horloges mais le maître des clivages. C’est lui qui les crée d’une manière totalement artificielle. Il crée un clivage au sein même de sa propre majorité.
Au fond, le Président vise à rester constamment au- dessus du jeu, d’organiser un petit peu les choses comme il l’entend. Je pense que là, par exemple, il espère pouvoir engranger des gains ou limiter les pertes aux européennes. Je pense qu’il donne un coup de barre à droite pour essayer de convaincre une fraction des seniors de ne pas voter RN. Je pense qu’il est perdant et que ça ne marchera pas.
Christophe Boutin : Il faut ici distinguer les choses. La démission du ministre de la Santé pour raison morale est un épiphénomène : comme l’avait dit en son temps Jean-Pierre Chevènement, un ministre, « ça ferme sa gueule ou ça démissionne », et il a été remplacé dans la foulée. Autre est la question des départements de gauche qui prétendent « refuser d’appliquer la loi », se plaçant dans le sillage d’une Anne Hidalgo appelant « les villes », supposées progressistes, à s’opposer « au populisme » en n’appliquant pas le texte. Rappelons d’abord que des sanctions sont prévues par les textes contre ceux qui, en ne l’appliquant pas, violeraient une loi, mais ce n’est en fait pas ce que proposent ces collectivités. Elles appliqueraient en effet la loi, ne pouvant simplement plus distribuer des aides dont elles ne sont que le guichet, mais en compenseraient les effets en créant une aide spécifique. Rien ne l’empêche apriori, à la réserve toutefois que la création de cette aide relève bien de leur domaine de compétence, ce que le juge administratif peut avoir à apprécier. Il appartiendra ensuite aux électeurs de se poser la question de savoir si ce choix a été judicieux, tout choix politique devant être assumé par un élu au moment du renouvellement de son mandat.
Ces révoltes symboliques traduisent surtout le décalage profond existant entre ces élus et la population, si l’on en croit le sondage Elabe qui vient d’être publié et porte sur la perception qu’ont les Français de cette loi immigration. Rappelons-en quelques éléments : 70 % des Français sont satisfaits de son vote (51 % si l’on prend les électeurs de gauche – La France, insoumise, Europe, écologie les verts et Parti socialiste), et leur satisfaction va bien au-delà pour certains éléments, comme pour la déchéance de nationalité pour les binationaux condamnés, la suppression du droit du sol ou le durcissement des conditions du regroupement familial, où l’on est au-delà des 80 % d’opinions favorables. Si 43 % des Français considèrent que le texte est « équilibré », ils sont 37 %, plus du tiers, à estimer qu’il « ne va pas assez loin », et 19 % seulement à le considérer « trop dur ». De la même manière enfin, seul un quart des Français estime que le gouvernement a fait « trop de concessions » aux Républicains, la moitié considérant qu’il a fait « les concessions nécessaires », et un quart qu’il n’y a eu « pas assez de concessions ».
Enfin ses déclarations sur Gérard Depardieu. Le Président de la République a désavoué sa ministre de la culture affirmant que la Légion d’honneur est un ordre qui n’est pas là pour faire la morale. Emmanuel Macron a également dénoncé une chasse à l’homme contre l’acteur et dit craindre que la France sombre dans l’ère du soupçon. Le Président a-t-il eu raison de rappeler la présomption d’innocence de l’acteur mis en examen après deux plaintes pour viol et agression sexuelle ? C’était le bon moment ?
Christophe Boutin : Si l’ordre de la Légion d’honneur n’est pas un ordre qui décerne un brevet de moralité, comme l’a rappelé le Président, le diplôme ne peut être décerné qu’à une personne ayant des qualités morales, et peut être retiré en cas de condamnation pénale. Face au cas Depardieu, Emmanuel Macron a rappelé cet élément classique qu’est la présomption d’innocence, dont doit bénéficier l’acteur comme n’importe quel citoyen, y compris après la diffusion d’images et de propos choquants.
Était-ce « le bon moment » ? Il s’inscrivait en tout cas dans la logique du reste de son intervention, notamment face aux accusations de collusion avec l’extrême droite. Sur ce plan comme sur l’autre, le Président a en effet choisi de ne rien céder face à ceux qui, avec une étonnante suffisance, et sans que rien ne puisse justifier qu’ils aient une quelconque légitimité à le faire, entendaient se poser en arbitres des élégances morales. Et que de « belles âmes », pour reprendre le mot présidentiel, déconnectées des réalités, comme il l’a aussi évoqué, puissent définir selon leurs propres critères qui a le droit de parler, de quoi, ou qui doit être exclu, voire effacé dans notre société, et sans autre jugement que médiatique, n’est pas en effet sans poser de nombreuses questions.
Philippe Moreau-Chevrolet : C’est le bon timing pour Macron parce qu’il veut créer une polémique pour faire oublier la précédente. C’est purement un contre-feu et c’est délibéré. Ça correspond tout à fait à ce que pense l’électorat conservateur, qui est un électorat pour qui le wokisme est une horreur et pour qui Depardieu reste unique. Emmanuel Macron crée une polémique dans la polémique pour faire oublier la précédente. Il espère que les gens, en particulier à gauche parce que c’est sa cible, vont oublier cette loi Immigration et se mettre à parler de Depardieu à fond les ballons. Ainsi, on sera passé à autre chose. C’est vraiment sa tactique depuis le début. On crée quelque chose de suffisamment fort pour faire oublier. Souvenez-vous du grand débat pendant les Gilets Jaunes. ■
Christophe Boutin
Un président de la république ne peux pas être le président de tous les français, comme Charles III est le roi de tous les britanniques
Je suis d’accord avec Claude Armand DUBOIS: la « présidence de la République » est une institution qui ne peut, en aucun cas, unifier les Français. Seule la royauté rétablie au sein de la dynastie historique française, dont le chef est le Prince Jean, Comte de Paris, peut tenter de le faire, dans une conception certes contemporaine démocratique et européenne de la royauté: une « République couronnée » dans laquelle le Roi est le premier serviteur de tous les citoyens, le premier représentant de la France à l’intérieur comme à l’extérieur, le gardien suprême de la Constitution: le Roi exerce l’autorité morale la plus haute de l’Etat. Le Comte de Paris est prêt.
République couronnée? Le terme est bien mal choisi. Il repose sur une équivoque lourde de conséquences ; car enfin, si la république est couronnée, c’est qu’elle est antérieure à la couronne, ce qui est évidemment faux et nuisible. En effet, n’importe quel rhéteur peut alors dire qu’il faut rendre la république à sa nature en la débarrassant de cet ornement désuet. Une fois de plus, je ne suis pas d’accord avec vous.
Il y a beau temps que Noël, grand démocrate devant l’éternel nous expose ses vues institutionnelles comme les seules fondées en morale et en droit donc comme devant s’imposer à tous avec cette autorité totalitaire qui leur vient de si puissants fondements. Il faudrait donc autoritairement que chacun courbe l’échine devant le sacré républicain soustrait à tout esprit critique. Ce dernier nous donne à penser que si le mot république pouvait être prononcé sans trembler dans l’Ancienne France, pris au sens romain, s’il peut être utilisé sans grand risque dans d’autres États que le nôtre, en France, depuis 1789. Depuis la Terreur, les massacres de Vendée, les désordres répandus en Europe, par les guerres et les révolutions, le mot « république » s’est chargé d’un sens mortifère et déconstructeur qui devrait en interdire l’usage. Sauf esprit de confusion, naïveté, de soumission vu à une pensée unique qui défait le pays.
Pas plus que de savants, la République n’a besoin de couronne. Noël aimerait bien que nous soyons assez naïfs pour l’ignorer. Et le Prince aussi. Selon moi, dans les deux cas, Noël peut attendre !
Tout repose sur l’ambigüité du terme « république », qui peut désigner tout et n’importe quoi, comme le professeur Rouvillois l’a fort bien montré.