Cet été, la conversation économique américaine était obsédée par la « loi de Sahm ». Du nom de l’économiste Claudia Sahm, cette règle permet de conclure de l’observation de l’évolution du taux de chômage la quasi-certitude d’une récession prochaine. Et celle-ci semblait promise aux États-Unis début août, à la lecture du marc des chiffres. Deux mois plus tard, on n’y pense plus. En septembre, l’économie américaine a créé quelque 254.000 emplois. Le taux de chômage recule depuis deux mois maintenant. L’inflation s’assagit. La croissance est toujours là, sur un rythme annuel de 2,5 %.
L’économie américaine va bien. Pas assez, évidemment, pour l’opinion publique américaine, toujours traumatisée par l’épisode inflationniste post-Covid. L’économie est ainsi considérée comme le point faible de la candidature de la démocrate Kamala Harris, comptable du bilan de Joe Biden, face à Donald Trump.
« America first »
La société américaine va mal, du moins quand on la regarde au prisme d’un débat politique brutalisé. Dans un mois, les États-Unis auront élu leur nouveau président. « Et, quel que soit le résultat, Trump ou Harris, il y aura de la violence », prédit un dirigeant américain. Les finances publiques américaines sont dans un état déplorable, avec un déficit budgétaire qui a atteint 8 % du PIB en 2023. Son jumeau, le déficit commercial, est également énorme. La dette publique tutoie 100 % du PIB, et, selon les estimations du Bureau du budget du Congrès, elle atteindra 125 % d’ici 10 ans à politique inchangée, 133 % si Kamala Harris applique son programme, et 142 % si c’est Donald Trump.
Bref, l’Amérique n’est pas le paradis, mais, vue d’ailleurs, c’est quand même l’eldorado. Tout le monde veut en être. Que l’on échange avec un investisseur financier, un dirigeant de grand groupe industriel ou même d’entreprise de taille intermédiaire, ou encore avec un entrepreneur, qui plus est dans le secteur technologique, tous, absolument tous, ont des rêves d’Amérique. « Tout le monde veut acheter américain », constate un ponte de l’investissement mondial. « C’est la nouvelle Chine ! », s’exclame un grand industriel, en référence à la mode de l’investissement dans l’empire du Milieu qui avait saisi tous les groupes occidentaux avant qu’ils ne soient douchés par le Covid, le raidissement de la politique de Xi Jinping, la fermeture du marché et l’essoufflement de la croissance.
« L’attractivité des États-Unis est totalement dominante, constate un grand banquier. Ils ont un vrai marché intérieur, une énergie bon marché, une recherche et une capacité d’innovation incroyablement dynamique. » « Le dollar, l’open bar de l’accès aux marchés des capitaux, et une situation d’exportateur net d’énergie… Les États-Unis ont toutes les cartes en main, énumère un spécialiste des marchés de crédit. C’est “America First”, et sans contestation. » Entre 2008 et 2021, un tiers des licornes européennes ont traversé l’Atlantique pour s’y relocaliser et s’y financer. Le leadership du pays dans le domaine technologique est écrasant. Il s’appuie sur la vélocité sans pareille de l’allocation du capital : Wall Street peut avoir changé d’avis sur le potentiel d’une technologie pour en préférer une autre, quand l’Europe sera encore en train d’écrire une directive pour promouvoir la précédente. Le fameux Inflation Reduction Act (IRA), symbole d’un renouveau de la politique industrielle qui distribue subventions et crédits d’impôt aux investissements de production sur le sol américain, est la cerise sur le gâteau qui fait saliver toutes les entreprises
Le décrochage européen
La perspective de la présidentielle n’y change rien. L’élection de Donald Trump inquiète davantage pour ses éventuelles conséquences économiques à l’extérieur – avec la promesse d’une augmentation généralisée des droits de douane – qu’à l’intérieur. « Contrairement à son premier mandat, il n’y aurait cette fois plus aucun adulte autour de lui », analyse un financier. « Il dérégulera davantage la finance et l’énergie, c’est plutôt positif », affirme, un brin cynique, un banquier européen.
La course folle de la dette n’inquiète pas vraiment non plus. « Si le niveau de la dette et du déficit par rapport au PIB est du même ordre que, au hasard, en France, le poids des prélèvements fédéraux est de 30 points inférieur (17 % du PIB), de 20 points inférieur en tenant compte des états et des collectivités », explique un investisseur. Ce qui signifie que, si besoin était, Washington a une immense marge de manœuvre fiscale. Le statut particulier du dollar fait le reste. « On se demande pourquoi on met une note sur la dette souveraine américaine », blague un professionnel du « rating ».
Dans son rapport remis début septembre, l’ancien président de la Banque centrale européenne Mario Draghi a fait le diagnostic clinique, secteur par secteur, du décrochage européen. L’Europe vieillit et s’assoupit : le taux d’épargne continue d’y augmenter (15,7 % à fin juin), quand les Américains ont recommencé à dépenser. Le moteur allemand est en panne. Au rythme où vont les choses, selon les économistes de Bloomberg, le PIB de l’Union européenne sera de 40 % inférieur à celui des États-Unis dans vingt ans.
À Berlin la semaine dernière, Emmanuel Macron a tiré le signal d’alarme. L’industrie chimique européenne est en train de réallouer entièrement ses investissements outre-Atlantique. Le tour des secteurs de l’énergie propre et de l’intelligence artificielle arrive, prévient-il. « On refait les mêmes erreurs, a déploré le président français. On surréglemente et on sous-investit. » Cette lucidité sur la surrèglementation du Vieux Continent, explicite seulement depuis son appel à une « pause » réglementaire en mai 2023, est bien tardive. Entre-temps, la France a laissé faire, laissé écrire quantité de textes dont les échéances, les dates butoirs assorties d’interdictions et d’amendes, se précisent aujourd’hui. Le fossé qui s’est creusé entre les États-Unis et l’Europe va devenir un gouffre. ■ BERTILLE-BAYART
Tout cela est normal, les USA ont gardé une volonté de puissance fondée aussi sur le rôle du dollar l’Europe dont la France une volonté d’impuissance par des dogmes économiques et monétaires. Ils savent être protectionnistes pour défendre leurs intérêts économique.