
Par Gérard POL.

Je me souviens – ça ne s’oublie pas – de Jean Raspail au milieu de nous, les royalistes de Montmajour et des Baux de Provence dans les années 1980, déjà célèbre, orateur redoutable, ironique, grinçant, visionnaire des déchéances à venir et n’espérant guère que dans les énergies venues d’en haut, seules capables de soulever, par-delà les foules auxquelles il s’adressait, la multitude des Français des profondeurs.

Je le revois aussi à Senlis et Chantilly, au jour du mariage du Prince, en 2009, dans son uniforme de peintre de Marine.
Avait-il l’âme d’un courtisan, au sens où l’entendent aujourd’hui certains qui ne savent pas se comporter avec les princes ? Certainement pas, mais à la façon des hommes d’Ancien Régime, il savait d’instinct, de chic, la délicatesse qui leur est due. On sert les Princes à proportion de ce qu’ils incarnent. On n’est pas là — ce serait seulement suprêmement dérisoire — pour se servir d’eux, se mettre en avant, en valeur soi-même, ou tel ou tel ensemble de royalistes se prenant eux-mêmes pour but. Servir le Prince, à travers lui, c’est servir la France. Servir la Tradition.
C’est là le vrai but suprême, et Raspail, qui ne se fût jamais embarrassé d’aucun scrupule pour dire leur fait sans ambages aux puissants de ce temps, infidèles à la France, savait de toute éternité s’incliner devant le Prince, parce qu’il était celui que Chateaubriand nommait « l’héritier des siècles ».
Si Raspail avait été un « courtisan », c’est devant eux, tous ces siècles français, qu’il se fût incliné.

C’est ce que Raspail nous disait dans nos rassemblements royalistes des Baux de Provence, où il est venu et où, plus tard, le Prince est venu lui aussi. Accueilli par Marcel Jullian, l’auteur des Rois maudits, l’éditeur de Charles de Gaulle et du Comte de Paris ; Gérard Leclerc, l’ami de Clavel et Boutang ; Jean-Marc Varaut, grand avocat parmi les grands et docteur en philosophie, auteur d’un magistral Descartes ; son confrère Jacques Trémolet de Villers ; Jean Sévillia, dont on connaît aujourd’hui partout l’œuvre d’historien. Pas un seul qui eût l’âme d’un courtisan, parmi ceux-là, aux Baux, autour des Princes.
Tout cela avait trait à la fidélité. ■ GÉRARD POL
Bel hommage révérant à notre ami et grand écrivain qui a séduit et continue à séduire bien des générations de lecteurs !
Qu’il me soit permis, en complément, de faire part de trois souvenirs personnels sui montrer, s’il en était besoin, qu’il détenait aussi les flammes de la gentillesse, de la courtoisie et de l’amitié.
– Début 1978, après Jean Dutourd, il est le deuxième des écrivains qui acceptent de recevoir les jeunes gens de « Je suis Français » papier. L’entretien qu’il nous donne, avec chaleur et sympathie, paraît dans le n° 7, en février 1978. Il nous a reçu chez lui avec simplicité et sympathie pour les jeunes hommes que nous sommes encore.
– Le lundi 21 novembre 1988 : c’est « La Paulée de Meursault » la troisième des « Trois glorieuses de Bourgogne », après un grand chapitre du Tastevin l’avant-veille et la Vente des Hospices de Beaune, la veille. Raspail s’est vu décerner le « Prix de la Paulée » – plusieurs centaines de grandes bouteilles offertes chaque année par un vigneron différent – et préside un grand déjeuner (6 à 700 personnes) qui dure des heures et où l’on déguste des dizaines de grands crus, chaque participant étant tenu d’apporter une ou plusieurs des meilleures bouteilles de sa cave.
Alors sous-préfet de Beaune, je suis naturellement placé à la droite de l’écrivain. Naturellement, je me fais reconnaître et nous copinons durant tout le déjeuner. Et comme autour de lui s’est instituée une sorte d’Amicale des Patagons, dotée d’un drapeau, d’emblèmes (y compris les autocollants automobiles que nous continuons à arborer fièrement à l’arrière de nos voitures), d’un journal à parution irrégulière et même d’une représentation diplomatique, voilà que ma femme est nommée vice-consul de Patagonie à Beaune (je ne pouvais décemment pas représenter à la fois la République française et le Royaume mythique et rêvé de Patagonie).
– 20 janvier 1993 : La célébration expiatoire de l’assassinat de Louis XVI il y a 200 ans commence par une impressionnante messe à la basilique de Saint Denis. Y arrivant, je croise Jean Raspail, qui co-préside le comité du bicentenaire. Il me reconnaît, et, comme nous sommes en avance, m’entraîne au bistro. Quel plaisir…
Avec de si belles rencontres, je me dis que je n’ai pas tout à fait perdu ma vie d’homme…