
« La présence encore très visible des églises, des chapelles et des cathédrales ou l’ampleur de la mobilisation pour la reconstruction de Notre-Dame laissent penser que cet héritage peut être un point d’appui pour raccrocher une partie de la population. »
Propos recueillis par Humbert Angleys.

Cet entretien est paru le 11 juin dans le JDD. C’est un point objectif sur l’état de la société française en matière religieuse, et, naturellement, sur l’état du catholicisme français. C’est, en tout cas le fruit des travaux précieux de Jérôme Fourquet. Quant au retour du spirituel, dont on a pu observer, ces derniers mois, des signes de divers ordres, en France et dans le monde, à Rome, à Chartres, à Notre-Dame de Paris, il reste à confirmer. Prendra-t-il les formes et le fond d’un retour à l’Ordre et à la Tradition au sens vrai et vivant de ces mots ? Le nouveau pontificat devrait répondre à cette question, évidemment cruciale.
ENTRETIEN. Le déclin du catholicisme a laissé place à des spiritualités à la carte : c’est l’une des mutations majeures décrites par le sondeur et essayiste dans son saisissant tableau de la France. Mais l’Église a encore des ressources, du patrimoine aux pèlerinages.

Le JDNews. Vous consacrez le premier chapitre de vos Métamorphoses françaises à la grande « dislocation de la matrice catholique » et observez en parallèle l’essor de croyances comme le chamanisme ou la sorcellerie… La nature humaine a horreur du vide spirituel ?
Jérôme Fourquet. Si l’effondrement du catholicisme en France est avéré, les questions existentielles ne se sont pas évaporées. Un Français sur deux reste intéressé ou préoccupé par la vie après la mort, par la question du sens de la vie, et se tourne vers différentes approches. Certaines sont très englobantes, comme les églises évangéliques, qui offrent des réponses spirituelles, mais aussi la prise en charge dans une communauté, des offices religieux au soutien scolaire…
C’est une offre intégrée, un « menu », tandis que d’autres sont plus à la carte et peu exigeantes, appliquant le principe « venez comme vous êtes » de McDonald’s, plus souples, comme le yoga. Le succès des livres de développement personnel témoigne aussi de cette recherche spirituelle persistante d’une partie de la population qui ne se tourne plus vers la réponse historiquement fournie par l’Église.
Une église évangélique ouvre tous les dix jours en France, exposez-vous. Les nombreux courants évangéliques correspondent-ils à une pratique « archipelisée » ?
Il y a quand même un fond commun dans beaucoup d’entre elles. On peut aussi y voir un symptôme d’américanisation, au passage !
Y a-t-il des points communs avec des fidèles catholiques fragmentés entre rites et sensibilités, avec un clivage qui point entre générations, la dynamique chez les jeunes étant plutôt traditionaliste ou conservatrice ?
En effet, les rameaux de l’Église qui affichent une certaine vitalité présentent des similitudes avec les courants évangéliques : un catholicisme très engagé, militant, avec une vie de paroisse assez intense… Ces offres-là ne s’en sortent pas trop mal, alors que le tronc principal plutôt mainstream, lui, est en déclin.
L’Église catholique se félicite de la hausse des baptêmes d’adulte. Apparaît-elle dans vos radars ou bien est-ce un frémissement trop faible ?

Cette dynamique s’inscrit dans une transformation très profonde : nous sommes, en effet, passés d’un catholicisme d’héritage, appuyé sur une forme de conformisme social, à un catholicisme d’affirmation et de choix. Il se manifeste typiquement dans cet engagement des jeunes adultes, parfois born again, parfois issus de familles qui n’avaient jamais fréquenté d’église. Depuis quarante ou cinquante ans, l’Église catholique gérait en gros le déclin annoncé, se retirant sur « des positions préalablement définies », comme on dit dans les états-majors.
Pendant longtemps, on a appelé la France « la fille aînée de l’Église »
Jusqu’à atteindre un niveau préoccupant : parmi les nouveau-nés, on compte ainsi 30 % de baptisés aujourd’hui, contre 70 % en 1980. Pour intéressant que soit le développement des baptêmes tardifs, il est très loin de compenser en volume les pertes massives enregistrées au moment des naissances, alors que le baptême était historiquement quasi systématique. Rappelons qu’on ne le reçoit qu’une fois : si vous vous faites baptiser à l’âge adulte, c’est que tout le processus d’héritage n’a pas fonctionné !
Le déclin apparaît plus lent pour l’aspect culturel ou la pratique occasionnelle : 41 % des Français installent encore la crèche, un quart vont à la messe quelques fois dans l’année. En parallèle, vous constatez que 13 % seulement savent ce qu’est la fête de la Pentecôte…
Cette ambivalence ne vient pas de nulle part : pendant longtemps, on a appelé la France « la fille aînée de l’Église ». Par un « effet de stock », nous avons encore des gens qui vont à l’église pour les grandes occasions, mais avec cette pratique très relâchée et épisodique, la culture religieuse s’estompe de plus en plus.
La confection de la crèche de Noël est plus culturelle et traditionnelle que religieuse… Je cite Nicolas Mathieu, dans Leurs enfants après eux, et son personnage qui, dans une église, « regardait les vitraux, les sculptures, ces images de supplice et de gloire, sans rien comprendre […] Au moins, il faisait frais ».
Le fort attachement des Français à leur patrimoine peut-il enrayer ce déclin ?
La présence encore très visible des églises, des chapelles et des cathédrales ou l’ampleur de la mobilisation pour la reconstruction de Notre-Dame laissent penser que cet héritage peut être un point d’appui, comme disent les marketeurs, pour raccrocher une partie de la population.
Je suis également marqué par la fréquentation des chemins de Saint-Jaques-de-Compostelle : beaucoup s’y lancent sans démarche de pèlerinage, mais du fait d’un besoin de reconnexion avec la nature ou d’introspection, une forme de spiritualité se manifeste. Dans son « fonds de commerce », l’Église a quand même encore de grands actifs à valoriser !
Presque encombrée par son héritage, l’Église de France hésite à conserver un maillage du territoire de plus en plus exigeant, ou à miser sur des îlots communautaires dispersés mais plus dynamiques. Est-elle curieuse de vos indicateurs ?
On sent un questionnement sur la réduction de la voilure, des choix cornéliens à faire avant le point de rupture, tant la perte d’influence et d’assise dans la société a été spectaculaire. Je reste marqué par le nombre d’endroits entièrement désaffectés en France, des églises mais aussi d’anciens séminaires, des vieux presbytères… L’historien et sociologue Guillaume Cuchet raconte comment, jusque dans les années 1960, l’Église faisait son propre recensement. Il décrit cette puissance dans une superbe formule : « L’Église était à l’échelle de l’État » !
La France fournissait à elle seule deux tiers des missionnaires que Rome envoyait partout dans le monde
Dans chaque département, il y avait l’école normale d’instituteurs, mais aussi le petit et le grand séminaire… Il faut se rendre compte du glissement qui s’est opéré en deux générations ! D’une institution qui jouait dans la même division que l’État, excusez du peu, à un maillage qui présente désormais des trous partout, des effectifs qui sont en chute libre… Quand la presse catholique titre « On dépasse les cent ordinations de prêtres cette année », cela ne représente guère qu’un prêtre par diocèse.
Alors qu’au début du XXe siècle, la France fournissait à elle seule deux tiers des missionnaires que Rome envoyait partout dans le monde, nous faisons désormais appel à des prêtres étrangers. En un siècle, on est passé du statut d’« exportateur net » de prêtres à celui d’importateur… Difficile d’accabler la hiérarchie d’une Église qui se retrouve un peu comme une entreprise qui aurait perdu d’un coup ses salariés et clients et devrait choisir les sites sur lesquels elle se concentre : un choc aussi frontal est vertigineux ■
Métamorphoses françaises, Jérôme Fourquet, Le Seuil, 208 pages, 29,90 euros.
Il y aurait bien d’autres aspects à considérer, à côté de ces chiffres chers aux spécialistes comme Fourquet. Par exemple le succès des écoles catholiques et l’intérêt pour l’élection du pape. Quel contraste offre cette dernière avec les pitoyables comédies médiatico-politiques qui constituent notre quotidien : Trump, Biden, Macron, de Leyen… on pourrait tous les citer. Beau sujet de réflexion pour les lecteurs de JSF: la monarchie élective, sur une base prioritairement spirituelle et traditionnelle. Plus généralement le monde commence, confusément, difficilement, à se révolter contre la vénalité qui, par scientisme « économique » (le moins justifié de tous) et les mensonges de tous ordres, ont pourri la vie.
Marc VERGIER a bien raison de compléter ou rectifier Fourquet.
Le succès des écoles catholiques est incontestable. Même s’il faut peut-être le relativiser en raison de son trop constant alignement sur le formatage de l’école publique.
Parmi les succès catholiques, le plus important de tous me paraît être l’élection de Léon XIV.
D’abord, elle a suscité un immense intérêt dans le monde entier, y compris en France.
Ensuite elle s’est effectuée selon la tradition liturgique de toujours. Selon un rituel, très solennel, très spiritualisé, immuable ou presque depuis des temps immémoriaux, et donc très impressionnant.
Si on veut, il s’agit là d’une monarchie élective puisque le pape est bien élu.
Cependant, il n’y a pas une once de démocratie dans cette élection.
Le pape est élu par le collège des cardinaux qui eux-mêmes ne sont élus par personne, mais « créés » par le Souverain Pontife.
Il s’agit donc à mon avis d’une monarchie élective, adémocratique, fondée sur la cooptation.
Selon la spiritualité catholique, la pyramide ecclésiale tout entière vient d’en haut, elle procède le Dieu lui-même.
Ces institutions, au sens, le plus noble du terme, me paraissent assurer à l’église, le maximum de chances de durer fort longtemps encore à travers les siècles
Bel espoir pour la foi catholique, très bien. Il faudrait aussi veiller que certains Maires ne détruisent pas les édifices religieux sauf pour les mosquées ou synagogues. Pour que la France retrouve sa place de fille aînée de l’église, pourquoi ne pas décréter le catholicisme comme religion d’Etat, avec la liberté de croyance pour les autres communautés.