
Nous n’exhumons pas ce lointain article de Jacques Bainville pour débattre des circonstances de l’abandon du Canada par Louis XV et Choiseul au XVIIIᵉ siècle, mais pour mettre en lumière la distinction nette que l’Ancien Régime établissait entre la France du pré carré dont les frontières sont européennes et ses lointaines possessions d’au delà des mers, considérées comme des territoires ou places de souveraineté française, de nature et statut très différents* ; l’abolition de cette distinction a, selon nous, pour origine l’idéologie dominante « colonialiste » et universaliste des IIIᵉ et IVᵉ Républiques.o■oJE SUIS FRANÇAIS


Comme l’a montré l’excellente et savante étude du « Britannicus » que L’Action française a reproduite hier, elle n’est pas si simple que cela, l’affaire du Canada.
Il ne suffit pas de dire que Louis XV a abandonné les Canadiens à leur sort, que Voltaire a négligemment parlé des « arpents de neige », ni même que l’opinion publique a partagé cette indifférence et ce dédain.
Il y a plus. Le ministre qui a contresigné ce traité de Paris, réputé humiliant et désastreux, était un des plus grands que nous ayons eus. Saluez : c’était Choiseul. Choiseul n’a-t-il pas su ce qu’il faisait ?
Je crois tout de même que si. Dès qu’on va au fond des choses, on s’aperçoit qu’à sa place on n’eût pas été médiocrement embarrassé par la difficulté du problème qu’il avait à résoudre.
Je m’en rapporte à un historien qui au lieu d’être, selon la formule consacrée, peu suspect, doit être fortement suspecté, au contraire, de dreyfusisme et de républicanisme aigu. C’est M. Émile Bourgeois, professeur d’histoire diplomatique, dont le zèle dreyfusard et républicain a été bizarrement récompensé par la direction de je ne sais plus quelle manufacture d’Etat (celle de Sèvres, si je ne m’abuse). M. Émile Bourgeois est l’auteur d’un célèbre Manuel historique de politique étrangère qui sert à la préparation des examens de tous nos futurs diplomates et consuls. Eh bien ! quand M. Émile Bourgeois parle de 1763, de notre politique au dix-huitième siècle, des évènements qui aboutirent à la perte du Canada, je vous assure que c’est un homme qui entrevoit que la question a des facettes multiples. S’il avait pu dire tout bonnement qu’il s’était alors passé des choses abominables, une trahison du pays, croyez bien qu’il l’eût dit avec plaisir et sans se gêner.
M. Émile Bourgeois ne dit pas cela, il s’en garde même avec un soin visible. Car un peu de science conduit aux solutions simplistes et sommaires. Beaucoup de science en détourne. Comme M. Emile Bourgeois, c’est une justice à lui rendre, connaît bien le détail de nos affaires, il n’a pas pu, décemment, s’en tenir tout à fait aux conclusions du brevet élémentaire.
« En gros, Louis XV et Choiseul ont sacrifié les colonies, sans doute, mais c’était pour ne rien sacrifier en Europe.«
En gros, Louis XV et Choiseul ont sacrifié les colonies, sans doute, mais c’était pour ne rien sacrifier en Europe. Il est bien difficile de dire ce qui serait arrivé s’ils avaient agi différemment. Par exemple, Louis XV ne consentit pas à acquérir l’alliance de la Russie moyennant le droit accordé à cette puissance de prendre une province à la Pologne. Selon M. Émile Bourgeois, c’est ce refus qui perdit tout. Mais ce refus, précisément, permet de comprendre que le roi ne voulait rien changer à l’état de l’Europe en considération de l’Asie et de l’Amérique. Le traité de Paris, en cela, ne contrariait pas ses vues : car il laissait intacte notre situation européenne.
Ce fut même au point que de nombreux Anglais estimèrent que leur pays avait été dupé par ce fameux traité de Paris, réputé si désastreux pour la France. Le célèbre publiciste Wilkes mena une ardente campagne contre le Parlement qui avait ratifié le traité. Les opposants prétendaient que l’Angleterre avait cédé l’essentiel, à savoir ses intérêts en Europe, pour l’accessoire et le précaire, c’est-à-dire de lointains empires. Le fait est, que l’Angleterre, désormais occupée aux Indes et aux Amériques ne se mêla pour ainsi dire plus (jusqu’à la Révolution) de nos affaires sur l’ancien continent.
N’était-ce pas un résultat ?
Et puis, comme la suite l’a prouvé, si regrettable que fut la perte de notre empire colonial, il y a beaucoup d’Amériques, d’Afriques et d’Asies de par le monde et il est aussi aisé de s’y tailler des domaines que de les perdre : nous en avons même plus, pour le moment, que nous n’en pouvons digérer et garder (témoin le Congo). Tandis que des Lorraines, ça ne s’échange pas, ça ne se remplace pas, ça ne se retrouve pas : il n’y en a pas deux.
Et, la Lorraine, c’est précisément Louis XV qui nous l’a donnée. Que ceux qui le blâment à cause du Canada nous en donnent donc l’équivalent.oo■oJACQUES BAINVILLE
L’Action française, 1er Août 1912.
* L’historien Olivier Dard a montré, différents textes à l’appui. que cette distinction d’Ancien Régime, traditionnelle, correspondait à la pensée de Charles Maurras. (cf. l’ouvrage d’Olivier Dard dont photo ci-contre). Nous ajouterons, nous référant aux ouvrages d’Alain Peyrefitte, que le général De Gaulle ne pensait pas autrement. JSF
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Brefs rappels
En 1552 Henri II réunissait « les trois Evêchés », soit Metz, Toul et Verdun, prémisses, promesses et, surtout, possibilité, de « réunir », à l’avenir, la Lorraine, l’ancienne Lotharingie de… Ce qui sera fait par Louis XV, en 1766.
Entre temps, Louis XIV, « roi de l’est », « roi du Rhin » avait réuni l’Alsace.
La récupération par la France de la rive gauche du Rhin, limite naturelle des Gaules, est inachevée. Mais il est clair que la frontière du Nord-Est aurait été encore plus insatisfaisante si Louis XV n’avait réussi à combler l’énorme échancrure que représentait la partie de la Lorraine non encore réunie, de son temps, à la Couronne…
Ces explications , certes, très historiques et donc très convaincantes, pour tous les Français de France, ne permettront pas aux descendants français du Canada de se consoler d’avoir été abandonnés aux mains des Anglais, qui les ont traités comme des moins que rien et pire, ont rabaissé leur langue, notre belle langue française au rang de vulgaire patois !
Jusqu’à aujourd’hui certains de leurs descendants préfèrent, encore de ce fait parler anglais !!! Ils se consolent à peine en apprenant que la langue anglaise , ce patois, des paysans de la Terre des Angles, n’était devenu la langue anglaise qu’avec l’apport de plus de dix mille mots français depuis Guillaume le Conquérant.
Lorsqu’après la défaite anglaise à la bataille de Castillon, le 17 juillet 1453, Henri VI jura alors de partir en Angleterre, de ne plus jamais retraverser la Manche et de parler Anglais !
Cette grande victoire de Charles VII mettait fin à la guerre de Cent ans, la France ayant retrouvé l’Aquitaine d’Aliénor, seule région que la France tardait à récupérer.
La France ne s’est pas faite sans douleur. L’histoire non plus. Quand la France doit se sauver des plus grands périls , elle doit choisir et décider ; et en tous les cas sauver son cœur historique dont nous devrions savoir où il se trouve.