
La « chronique médias » de Didier Desrimais, c’est la chronique toujours substantielle du Système dans son entier. Car les médias, avec les juges, sont l’un des Pouvoirs bien réels constitutifs de ce qu’on a appelé le Pays légal, le Régime, ou encore le Système selon l’expression gaullienne à juste titre globalisante. Tel est le dernier avatar de la République d’autrefois.
Par Didier Desrimais*.

Cet article en plein dans l’actualité est paru dans Causeur le 27 de ce mois. Didier Desrimais, selon sa méthode, décortique avec grande précision la collusion des grands médias et d’une caste de milliardaires décidés à agir sur les sociétés politiques dans le sens que l’on sait. Sur l’étroite superposition démocratie – oligarchies, tout a déjà été dit. Didier Desrimais en détaille ici quelques exemples et les examine au scalpel. JSF
L’homme d’affaires Matthieu Pigasse était récemment invité sur France 2 à une heure de grande écoute pour commenter la crise budgétaire et l’instabilité politique. Il affirme défendre des idées politiques à l’opposé de ses intérêts financiers.

Le jeudi 11 septembre, sur France 2, la journaliste Caroline Roux a reçu dans son émission « L’Événement » l’homme d’affaires Matthieu Pigasse, qu’elle présente ainsi : « Vous êtes président du groupe de médias Combat, vous êtes aussi banquier d’affaires et à ce titre vous avez conseillé certains gouvernements pendant la crise financière, notamment en Grèce. Vous êtes assez rare à la télé, vous prenez rarement la parole. Je vous remercie d’être là[1]. » Sans doute contrainte par le temps, Mme Roux a omis d’évoquer le parcours politique de son invité, de préciser ce qu’est son groupe de médias Combat et d’indiquer le nom des organes de presse et des agences culturelles qu’il « contrôle » afin de combattre « la droite radicale », selon son propre aveu[2]. Réparons cette erreur.
Viva la revolución !
Énarque influencé à l’époque par Jacques Attali, M. Pigasse est nommé, en 1998, conseiller technique du ministre de l’Économie et des Finances de l’époque, Dominique Strauss-Kahn, puis directeur adjoint du cabinet de son successeur, Laurent Fabius. Il se lance ensuite dans une carrière dans le privé de haut vol. Il est recruté en 2003 par la banque Lazard où il gravit les échelons jusqu’à devenir le responsable mondial des activités de fusions et acquisitions. Il démissionne après 16 ans de bons et lucratifs services. Co-directeur d’une banque d’investissement, membre des conseils d’administration de différentes entreprises, M. Pigasse consacre une partie de son énergie et de ses finances à la construction de ce qu’il espère être un jour un empire médiatique au service de ses opinions. Dans un entretien donné au magazine GQ en 2015, il brosse de lui-même le portrait d’un révolutionnaire qui « vomit l’aristocratie », d’un ancien punk prêt à « renverser la table » et à « mettre le feu », rien de moins. Rappelons quand même que ce révolutionnaire exalté a fait partie des « Young leaders » repérés et formés par la French-American Foundation, qu’il a organisé la vente de Libération à Édouard de Rothschild en 2005, a participé aux travaux de Terra Nova dès sa création en 2008, a ensuite échafaudé avec la Banque Lazard de très juteuses opérations de conseils auprès de gouvernements sud-américains et de nombreuses entreprises françaises et étrangères. De quoi fomenter une révolution aux petits oignons, et à l’abri du besoin.
M. Pigasse fonde le groupe de médias Combat en 2009. Il rachète Radio Nova, une radio essentiellement musicale qui, en 2024, récupèrera les comiques gauchistes Guillaume Meurice et Aymeric Lompret, anciennes gloires de France Inter. Il reprend Les Inrockuptibles, magazine culturel qui n’intéresse personne hormis Virginie Despentes, les étudiants hébétés de Paris 8 et les militants « déconstructivistes » de Sciences Po, puis Cheek, un média féministe qui se targue de cibler les jeunes femmes « actives et urbaines ». Pour achever de décerveler une jeunesse crétinisée par le wokisme et l’islamo-gauchisme, Matthieu Pigasse fait l’acquisition de « Rock en Seine », un festival musical qui, lors de sa dernière édition, a accueilli Kneecap, un groupe irlandais introduisant et concluant ses concerts aux cris de « Free, free Palestine » et dont l’un des membres est poursuivi par la justice britannique pour s’être couvert d’un drapeau du Hezbollah, organisation classée terroriste au Royaume-Uni, lors d’un concert à Londres en 2024 – rien qui puisse gêner un public habitué à arborer keffiehs et drapeaux palestiniens en toute occasion. L’écologisme faisant partie des idéologies qui ont sa faveur, M. Pigasse s’est approprié « We Love Green », un festival censé allier événement musical et respect de l’environnement, et qui a de surcroît, selon son propriétaire, « le métissage comme horizon » (tweet du 25 juillet). Après avoir écouté les daubes musicales les plus affligeantes du moment, les festivaliers sont invités à participer à des tables rondes sur la transition écologique, à écouter des conférences organisées par Le Monde, à applaudir « des humoristes engagés, qui ont trouvé par le rire une nouvelle manière d’éveiller les consciences » et à se restaurer « sans bouffer la planète, en mode végé ». Enfin, histoire de parachever son œuvre d’abrutissement de la jeunesse, le golden boy a créé Golden Coast, le premier festival de rap en France.
Le système a aussi du bon…
Sur le site de Combat, on peut lire : « Combat s’engage pour une société ouverte et mixte, pour un avenir responsable et humaniste, en opposant l’exemple à la puissance, avec la volonté d’interroger en permanence par l’expression libre et le débat d’idées l’action des un.e.s et des autres. » Certains lecteurs ne maîtrisant pas la novlangue gauchiste, il nous faut traduire ce texte : « Combat s’engage pour une société multiculturelle, pour un avenir écologiste et totalitaire, en s’appuyant sur la puissance d’une caste ayant la volonté d’empêcher l’expression et les idées de ceuzetceusses qui contredisent son projet progressiste. » C’est plus clair comme ça, non ?
M. Pigasse est également actionnaire du Groupe Le Monde qui comprend, entre autres, Le Monde, Le Nouvel Obs et un magazine télévisuel devenu la quintessence d’une certaine presse atteinte de gauchisme chronique et de wokisme aigu, j’ai nommé Télérama. Tous ces journaux reçoivent de somptueuses subventions publiques. [En 2024 : Le Monde, 7,8 millions d’euros ; Le Nouvel Obs, 1,6 million ; Télérama, 5 millions[3].] L’esprit révolutionnaire semble s’accommoder d’un système récompensant la presse aux ordres d’une caste qui ne rêve que de détruire la France.
En 2015, Pierre-Antoine Capton, Xavier Niel et Matthieu Pigasse fondent Mediawan, groupe créant et produisant des contenus audiovisuels. Mediawan produit de nombreuses émissions du service public, entre autres « C à vous », « C L’hebdo » et… « C dans l’air », l’émission qu’anime… Caroline Roux. Le jeudi 11 septembre, c’est donc en quelque sorte son patron qu’a complaisamment interviewé la journaliste. Cette subordination est confirmée sur le site de Mediawan, la rubrique Production/Flux étant illustrée par une photo de groupe réunissant des journalistes de la télévision publique (Caroline Roux, Anne-Élisabeth Lemoine, Aurélie Casse et Faustine Bollaert). Il eût été normal d’en avertir les téléspectateurs, vu que c’est avec leur argent que France TV rétribue Mediawan, entreprise médiatico-culturelle au service de la gauche et des ambitions politiques de M. Pigasse. « Un jour je ferai de la politique et je serai président de la république » aurait-il avoué à Alain Minc qui ajoute : « Cinq ans plus tard, un certain Emmanuel Macron me fera exactement la même confidence[4]. »
Bien que montrant des signes de détestation les uns envers les autres au fur et à mesure que le temps passe et que de vieilles rancunes refont surface, MM. Pigasse, Attali ou Macron font partie du même monde, celui des élites déconnectées de la réalité, éloignées des préoccupations de leurs concitoyens, avides de pouvoir et prêtes à tout pour parvenir à leurs fins financières, idéologiques ou politiques. Il faut entendre, lors d’une émission sur France Inter[5], Matthieu Pigasse – directeur de la branche française de Centerview Partners, une banque d’investissement spécialisée dans des activités de conseil aux gouvernements, surtout africains, aux entreprises et aux fonds d’investissement – dénoncer « le capitalisme libéral » et l’accuser d’être « la plus grande machine à créer des inégalités jamais inventées », pour concevoir le degré de cynisme et d’hypocrisie dont sont capables les éminents représentants d’un système financier ne reculant devant rien pour s’engraisser et grâce auquel ils se sont enrichis.
Macron et Bolloré, ses ennemis préférés
Il y a dix ans, sont parus, à quelques mois d’intervalle, deux livres intitulés Révolutions et Révolution. Le premier était signé Matthieu Pigasse, le second, Emmanuel Macron. Lorsque des banquiers d’affaires se mettent à utiliser le mot « révolution », à porter en bandoulière leur présumé humanisme et à louanger le peuple avec des trémolos dans la voix, il y a anguille sous roche ou, comme l’écrit Jean-Claude Michéa, loup dans la bergerie[6]. Les socialistes ont sorti de sa tanière argentée Emmanuel Macron, lequel, après avoir trahi François Hollande, a récompensé les plus méritants, donc les plus intrigants et les plus arrivistes d’entre eux, en leur octroyant d’éminentes fonctions dans nos institutions étatiques et plusieurs de ces postes inutiles mais lucratifs qui encombrent notre dispendieuse administration publique. M. Pigasse, après avoir été un socialiste strauss-kahnien, penche aujourd’hui vers la gauche de la gauche. Le parcours fut sinueux. Le banquier libéral s’est métamorphosé en chantre de l’étatisme. Les réceptions guindées de la haute bourgeoisie financière ont laissé place aux cocktails bobos de la gauche médiatique et aux événements branchés de la gauche culturelle. Le riche bourgeois a encouragé la presse à brosser de lui le portrait d’un homme foncièrement de gauche, un peu punk sur les bords, déterminé à remettre en cause ses privilèges et ceux des bénéficiaires de ses conseils, à renverser la table des riches pour redresser la France des pauvres. Soutien du NFP côté Insoumis, le gauchiste doré sur tranche dénonce sur X « l’islamophobie d’État [qui] tue » et soutient la taxe Zucman. Il s’enflamme au micro de France Inter : « Il faut commencer à préparer à tout péter[7]. » M. Pigasse ne s’est visiblement pas aperçu que les Français qui subissent l’insécurité, les émeutes, l’immigration massive, le narco-trafic, les défaillances de leurs services publics et sociaux, l’islamisation rampante ou la pauvreté généralisée, ne supportent plus ces discours pseudo-révolutionnaires qui ne résolvent rien et ne semblent destinés qu’à ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont participé à la mise à sac du pays.
En 2023, M. Pigasse affirmait à la radio être l’anti-modèle de Vincent Bolloré : « Je considère qu’un actionnaire d’un groupe de médias n’a pas à faire passer des messages à travers ses médias. » Deux ans plus tard, changement de ton dans Libération : « Je veux mettre les médias que je contrôle dans le combat contre la droite radicale. » L’homme d’affaires se targue de ne jamais travailler avec « Vincent Bolloré ou avec des proches de sa sphère d’influence » et se félicite d’avoir appelé à voter pour le NFP. « Ouvert » et « progressiste », il exècre Elon Musk, Donald Trump et… la droite nationale, auxquels il reproche, entre autres, de ne pas être assez écologistes et de faire obstacle à la liberté sexuelle et la liberté de genre. M. Pigasse est en vérité un pur produit des élites décrites par Christopher Lasch[8]. L’idéologie du progrès est devenue le vecteur principal du libéralisme moderne, la « philosophie politique » des élites qui voyagent (M. Pigasse se vante de prendre l’avion plusieurs fois par semaine pour se rendre à l’étranger), persiflent les us et coutumes de leurs compatriotes, s’accommodent d’une langue internationalement massacrée, se défient de plus en plus des liens d’appartenance à la famille, au voisinage, au village, à la nation… Celles qui sont attirées par les plus hautes fonctions de l’État ne le sont plus que pour assouvir des ambitions carriéristes et nullement pour défendre des notions qu’elles jugent dépassées, comme la souveraineté d’un pays ou l’intérêt national. « Peuple » est un mot qu’elles utilisent peu, qui ne leur sert que de slogan au moment des élections. Leur adhésion aux idéologies progressistes actuelles, du wokisme à l’ouverture des frontières en passant par l’écologisme, est totale. M. Pigasse a mis sa fortune au service de ces doctrines mortifères. La jeunesse abrutie par le rap et Aya Nakamura est la même que celle qui se teint les cheveux en bleu, se déclare non-binaire et crie « Free Palestine » tout en ignorant où se trouve le Jourdain – le banquier gauchiste a créé des « événements culturels » à la hauteur de sa bêtise hargneuse. Actionnaire d’une presse à sa main, il a discrètement infiltré des médias publics qui partagent avec lui la même idéologie progressiste et la même haine d’une extrême droite fantasmée.
Les dirigeants de Radio France et de France TV ont beau actuellement le nier, l’audiovisuel public est à la solde d’une caste médiatico-politique revendiquant un bouleversement total de notre société, l’effacement progressif des mœurs, la déconstruction de l’histoire ou de la langue d’un peuple lui-même remplacé par un inquiétant conglomérat multiethnique. Tous les Français paient pour la propagande de cette caste qui ne leur veut aucun bien. Il serait peut-être temps que cela cesse. ■ DIDIER DESRIMAIS
[1] https://www.france.tv/france-2/l-evenement/7519802-instabilite-politique-crise-budgetaire-la-republique-va-craquer.html
[2] https://www.liberation.fr/economie/medias/matthieu-pigasse-il-y-a-une-connivence-entre-les-dirigeants-de-grandes-entreprises-et-lextreme-droite-20250111_S7KPYZ6JX5FRHCSHA3ZYQTYZCQ/
[3] Site du ministère de la Culture. Tableau des titres aidés en 2024.
[4] https://www.vanityfair.fr/pouvoir/politique/articles/article-mag-matthieu-pigasse-dr-money-mr-cool/55517
[5] Bistroscopie, 23 décembre 2023.
[6] Jean-Claude Michéa, Le Loup dans la bergerie, 2018, Éditons Climats.
[7] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/bistroscopie/matthieu-pigasse-en-2024-on-commence-a-tout-faire-peter-5730243
[8] Christopher Lasch, La Révolte des élites, 1996, Éditions Climats.

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