
Par Philippe Bernard.
Editorialiste au « Monde »
Nous ne commenterons pas cet article qui fait ici leçon – de la gauche à la gauche, sans moraline – sur « immigration et classes populaires. » Simple réalisme qui pourrait être conseillé aussi aux organisations dites de droite ou même d’extrême-droite qui ont voulu mettre la question sous le tapis, l’interdire de parole, ou la reléguer au Xe rang des préoccupations des Français et qui pleurent ensuite sur leurs électeurs – ou sur leurs militants – perdus. JSF
Alors que l’extrême droite continue de s’enraciner auprès de l’opinion, la gauche paraît davantage préoccupée par le débat budgétaire et la question des primaires que par la nécessité de répondre aux questions qui taraudent les Français, la délinquance et l’immigration, analyse Philippe Bernard, éditorialiste au « Monde », dans sa chronique.
Publié le 23 novembre 2025.

Jamais, depuis que l’extrême droite s’est enracinée dans une partie de l’opinion, la France n’a paru plus proche de la falaise. Non celle de l’endettement, dénoncé en août par le déjà oublié François Bayrou, mais celle, historique, que constituerait un basculement du pays dans un régime fondé sur la xénophobie et la répression.
Pendant que la vie politique poursuit son interminable apnée dans un débat budgétaire lunaire, une série d’événements, depuis la commémoration des attentats de 2015 jusqu’à l’assassinat de Mehdi Kessaci, alimente la machine à peurs qui produit des votes pour le Rassemblement national. Le premier a ravivé la mémoire d’une décennie sanglante d’attentats islamistes qui, s’ils n’ont pas fait flancher la France, l’ont marquée ; quant au « crime d’intimidation » de Marseille, il signe l’incapacité de l’Etat à protéger les citoyens de la dérive mafieuse des narcotrafiquants et l’irruption de ces derniers dans la sphère de la menace politique.
Dans ce lourd contexte où la droite et une partie du patronat lorgnent de plus en plus ostensiblement Marine Le Pen et Jordan Bardella, la gauche socialiste se félicite des réelles concessions obtenues sur le budget. Mais que pèseront-elles, lors des débats qui, d’ici à dix-huit mois, détermineront l’issue de l’élection présidentielle ? La gauche paraît globalement davantage préoccupée par les sondages et par la question des primaires que par la nécessité de répondre aux questions qui, outre le pouvoir d’achat, tout premier souci des Français, taraudent ces derniers: la délinquance et l’immigration, deux sujets qui arrivent en deuxième place au classement des préoccupations de l’enquête du Monde « Fractures françaises », devançant cette année l’environnement.

Que ces sujets soient exploités et manipulés par des responsables politiques et des commentateurs qui déversent leur bile et leurs analyses biaisées en flot continu dans plusieurs médias relève de l’évidence. Mais que l’immigration, l’islam et l’insécurité – l’amalgame qui constitue leur fonds de commerce – pèsent lourdement dans les avancées de l’extrême droite, il faudrait être aveugle à ce qui se passe dans tous les pays développés, des Etats-Unis à l’Allemagne et du Royaume-Uni au Japon, pour ne pas le voir. Or la gauche française peine à regarder cette réalité en face, au point de nier certains faits.
Une autre forme de déni
Témoin, la gêne manifestée par François Ruffin, pourtant plutôt connu pour ses positions sans tabou sur ces sujets, mercredi 19 novembre sur France Inter devant une question à propos d’un sondage IFOP reflétant l’évolution rigoriste des musulmans de France. Plutôt que de commenter cette étude selon laquelle, par exemple, 57 % des musulmans âgés de 15 à 24 ans interrogés jugent que les lois de la République passent après les règles de l’islam, le député (Debout !) de la Somme a préféré adresser « un message de fraternité à l’égard de nos compatriotes musulmans » sans cesse stigmatisés. Et d’opposer « deux séparatismes »,celui de l’extrême droite « qui ne veut pas que les musulmans fassent partie de la République »,et celui de l’islam radical « qui veut se mettre en marge de la République ». Deux remarques absolument fondées, mais qui évacuent la réalité du raidissement des jeunes musulmans et la montée de l’intégrisme.
La difficulté de la gauche à regarder en face les statistiques de l’immigration traduit une autre forme de déni. Nombre de ses responsables politiques tendent à considérer comme négligeable le fait que la part des immigrés dans la population française, restée stable dans les années 1970 à 1990, est passée de 7,3 % en 1999 à 11,3 % en 2024, que le nombre de premiers titres de séjour délivrés a doublé entre 2007 et 2024, et refusent d’admettre que cette évolution moyenne, bien plus marquée à certains endroits du pays, n’est pas sans conséquence sociale.
Plutôt que de tirer parti de ces augmentations, qui reflètent les tensions du monde, le respect – imparfait – des droits humains et le besoin de main-d’œuvre dans certains métiers, pour appuyer la revendication de puissantes politiques d’intégration aujourd’hui au point mort, ils cherchent à les relativiser. D’où le malaise, voire le silence, face au pilonnage de la droite et de l’extrême droite qui multiplient les présentations biaisées et les campagnes mensongères.
Une question sociale
Débatteur courageux face à Eric Zemmour, mardi 18 novembre sur LCI, Raphaël Glucksmann peinait à répondre aux statistiques erronées du militant de la « submersion migratoire », préférant alerter sur la « question de vie ou de mort pour la démocratie française » que pose la possible arrivée au pouvoir de l’extrême droite. Ni Jean-Luc Mélenchon – qui cherche à flatter un « électorat musulman » – ni Olivier Faure, dont les idées sur l’immigration restent à élaborer, ne font exception à ce quasi-déni.
Certes, la gauche a raison de dénoncer les obsessions xénophobes et anti-musulmans de l’extrême droite. Mais si elle veut regagner les classes populaires, elle ne peut plus faire l’impasse sur l’immigration, une question sur laquelle elle a toujours oscillé entre internationalisme et défense des travailleurs nationaux et dont elle s’est longtemps emparée. Jean Jaurès n’écrivait-il pas, à la une de L’Humanité du 28 juin 1914, « il n’y a pas de plus grave problème que celui de la main-d’œuvre étrangère » ?
La question ne saurait se limiter à du « racisme », elle mérite d’être prise au sérieux comme une question sociale et non identitaire. Encore faudrait-il opposer aux rugissements de l’extrême droite autre chose que des silences et des explications gênées qui ne font que la conforter. Aux Etats-Unis, l’étouffoir mis par l’administration Biden sur la question de l’immigration n’a-t-il pas contribué à nourrir l’obsession de l’opinion et à préparer le retour de flamme ultra-répressif de Donald Trump, qui vise à la fois les étrangers et la gauche ? o ■












Il redécouvre l’eau tiède, déride ou déraidit l’image de son journal. Mais la perfidie du Monde es toujours à l’œuvre:
La ‘droite, fondamentalement extrême, exploite un « fonds de commerce » électoral….
La gauche, angélique et pure, pèche seulement par déni.
Sachez, grandes plumes du « journal de référence » qu’en politique, le déni, l’aveuglement volontaire, la persécution des Cassandre est une faute bien plus grave que de voir ce qu’on voit, et, principe de précaution ou simple inquiétude, de sonner le tocsin, d’alerter.