
Par Eric de Mascureau.
Cet article est paru le 30 novembre dans Boulevard Voltaire. Il rappelle en effet ce que fut la politique royale en Amérique, si différente de celle qui y sera menée plus tard par les Britanniques. De nature très différente aussi de ce que sera l’esprit colonisateur, idéologique, des régimes postrévolutionnaires, notamment sous la IIIᵉ République. JSF

Versailles fait revivre la rencontre de Louis XV avec des chefs amérindiens
Sous les ors de Versailles et de Fontainebleau, cette alliance inédite unit deux mondes que tout semblait séparer.
Depuis ce 25 novembre 2025, le château de Versailles, en collaboration avec le musée du Quai Branly-Jacques Chirac, convie les Français, à travers l’exposition « 1725. Des alliés amérindiens à la cour de Louis XV », à célébrer le tricentenaire d’un épisode historique aussi singulier que marquant. En effet, en novembre 1725, quatre chefs venus des nations de la vallée du Mississippi, accompagnés d’une jeune princesse, franchirent les océans afin de rencontrer le Bien-Aimé Louis XV et de formaliser avec lui une alliance entre leurs peuples et la monarchie française. Sous les lambris dorés de Versailles et de Fontainebleau, cette rencontre inédite fit ainsi se rejoindre deux mondes que tout semblait pourtant opposer, révélant la profondeur des liens tissés entre le Vieux Continent et le Nouveau Monde.
Une alliance transatlantique
Au début du XVIIIe siècle, la vallée du Mississippi abrite de puissantes sociétés amérindiennes.
Ces nations avaient alors déjà croisé le chemin des Français bien avant 1725. Le traité historique de la Grande Paix de Montréal, en 1701, avait ainsi scellé une première alliance diplomatique entre plusieurs nations amérindiennes et la couronne de France. Dans ce contexte, la création de la colonie de la Louisiane incite la France à renforcer ces liens, notamment pour des raisons stratégiques. En effet, ce nouveau territoire peine alors à attirer les colons : en 1718, à peine 400 colons y sont installés, face aux quelque 60.000 Amérindiens présents. Un conflit avec ces derniers pourrait alors ruiner tous les espoirs et les efforts déjà engagés.
Pour éviter une telle situation, la Compagnie des Indes, responsable de la colonie, entreprend alors des discussions avec des chefs autochtones afin de les inviter à la cour de France pour forger une nouvelle alliance. Cependant, cette initiative demeure délicate, car les Français prennent la responsabilité de faire voyager des personnes de haut rang dans un univers totalement nouveau pour elles : la moindre maladresse diplomatique ou incident pourrait entraîner une guerre.
Malgré ces risques, les peuples Missouria, Otoe, Osage et Illinois de la nation Michigamea acceptent d’envoyer dix représentants. Cependant, la moitié d’entre eux renoncent après le naufrage, sur la côte du golfe du Mexique, du navire La Bellone, censé les conduire en France. Seuls cinq ambassadeurs courageux maintiennent alors leur volonté de rejoindre la France en embarquant à bord d’un second navire en juin 1725 : Maspéré, Aguiguida, Ouastan, Chicagou et Ignon Ouaconetan, la fille du grand chef missouria, considérée comme une princesse. Après douze semaines de mer et après avoir affronté les tempêtes de l’Atlantique, ils atteignent enfin Lorient le 20 août 1725, découvrant ainsi un royaume dont ils ignorent encore tout.
Des Amérindiens dans la ville
L’arrivée des Amérindiens en France suscite alors une immense curiosité, chacun veut voir ces ambassadeurs venus « du bout du monde », comme les décrit la presse. Après quelques semaines, ils atteignent Paris, qu’ils décrivent comme « un grand village où il y a autant de gens que de moustiques dans les bois », tandis que la couronne veille à leur faire découvrir les plus belles richesses de la capitale. Ils visitent ainsi l’hôtel des Invalides, qu’ils surnomment « la cabane des vieux guerriers », l’Opéra, les Tuileries, et montent même sur la scène de la Comédie-Italienne où, devant un public fasciné, ils interprètent leurs danses rituelles de paix, de guerre et de victoire, vêtus d’habits de plumes. Impressionné, le compositeur Jean-Philippe Rameau s’en inspirera pour sa célèbre Danse des sauvages de son opéra Les Indes galantes.
Le 17 octobre, ils sont enfin conviés à Versailles, « la cabane du Grand Chef des Français », où ils sont reçus dignement selon leur rang. On leur présente alors la galerie des Glaces, les fontaines du parc et les merveilles de la résidence royale. Les échanges diplomatiques se mêlent alors à ces démonstrations de magnificence, les ambassadeurs présentant leurs hommages et exprimant leurs demandes, tandis que des habits somptueux leur sont offerts. Cela fait, il ne manque plus qu’un personnage à rencontrer pour conclure ce voyage : le roi de France.
L’accueil des ambassadeurs à Fontainebleau
Le 25 novembre 1725, Louis XV, âgé de quinze ans et récemment marié, accueille au château de Fontainebleau ses visiteurs avec les honneurs réservés aux représentants des grandes monarchies. Grâce à l’interprète Nicolas-Ignace de Beaubois, supérieur des missions de Louisiane, les échanges se déroulent dans un profond respect. Les chefs déposent aux pieds du roi leurs calumets, leurs coiffes de plumes et leurs armes : un geste de confiance et de fraternité, conforme aux usages autochtones, et non un acte de soumission.
En retour, Louis XV leur offre des médailles à son effigie, des chaînes d’or, des fusils et des épées, scellant ainsi l’amitié entre la France et les nations du Mississippi. Le séjour à Fontainebleau se conclut par une invitation royale à la chasse, honneur suprême témoignant de l’estime royale porté à ces nouveaux alliés.
Ce voyage exceptionnel rappelle ainsi que la France du XVIIIe siècle ne se situe pas dans un rapport de domination raciale envers les nations amérindiennes mais qu’elle les considère comme de véritables partenaires diplomatiques. En mobilisant ses plus belles créations, que cela soit à Versailles, à Paris ou à Fontainebleau, la France cherche à impressionner, à convaincre et à honorer ces alliés venus de loin, offrant ainsi l’image d’un royaume respectueux et puissant. Cette vision nuancée et méconnue de l’Histoire s’incarne pleinement dans l’exposition « 1725. Des alliés amérindiens à la cour de Louis XV », présentée au château de Versailles jusqu’au 3 mai 2026, dans les appartements de la Dauphine, et accessible à tous les visiteurs désireux de redécouvrir, à travers de nombreux récits et objets, ce chapitre singulier où la diplomatie française sut briller avec éclat. o ■ o ÉRIC DE MASCUREAU

Merci à Pascal Cauchy de sa transmission.












