(Voici la suite – et fin – de notre réflexion entamée dimanche dernier, en réponse aux récents propos scandaleux de François Hollande, qui, finalement, ne font que rejoindre l’obsession de BHL, qui ne cesse de critiquer le « maurrassisme » et de dénigrer une France, selon lui, aigrie et haineuse… Une bonne façon, ces pages redécouvertes au hasard des lectures et relectures d’été, de rester dans l’actualité immédiate, et de mettre une fois de plus « les points sur les i »…)
Des fleurs en enfer (2/2)
Dans L’Express du 27.02.2008, François Dufay présente un dossier assez complet et bien documenté sur Ces Français qui ont protégé les Juifs. Nous en extrayons cet article, qui vient reprendre et confirmer le précédent, de dimanche dernier, 29 juillet. Bien entendu, nous ne l’approuvons pas en totalité. Par exemple, qualifier Vichy, en bloc, d’ « entreprise criminelle » n’est évidemment pas soutenable. Nos lecteurs jugeront.
« Loin des récentes polémiques sur la mémoire de la Shoah, les historiens jettent un nouveau regard sur les années noires de l’Occupation. Face à la machine criminelle de Vichy, ils réévaluent le rôle joué par la chaîne de solidarité qui a permis de sauver des dizaines de milliers d’adultes et d’enfants. Et les survivants témoignent à leur tour sur cette résistance civile, à rebours de l’image d’une France «collabo».
Résister, c’était aussi rejeter, désobéir, être solidaire
Cette archive, révélée par les docu-fictions sur la Résistance diffusés les 18 et 19 mars sur France 2, est l’une des nouvelles pièces à verser au dossier d’une période trop souvent ramenée à des clichés en noir et blanc. Presque quarante ans après l’électrochoc causé par le film Le Chagrin et la pitié, et alors que l’initiative présidentielle de faire «parrainer» un enfant juif déporté par chaque élève de CM2 suscite une vive controverse, tout semble indiquer que l’année 2008 marque l’un de ces tournants qui scandent notre mémoire collective. Prenant à revers l’image d’une France veule et «collabo», les travaux des historiens font en effet émerger une nouvelle vision, moins manichéenne. Regarder en face les criminelles responsabilités de Vichy n’empêche plus, désormais, de rendre justice à une société civile qui certes fut loin d’être exemplaire, mais fit souvent ce qu’elle put contre la monstruosité hitlérienne. Notamment en protégeant les plus menacés: les Juifs.
Si, entre 1942 et 1944, 76 000 juifs de France furent déportés vers les camps de la mort, 250 000 autres échappèrent en effet aux rafles; si 16 000 enfants juifs furent engloutis par l’horreur, 60 000 furent soustraits aux griffes des nazis. Tous, loin de là, ne furent pas sauvés par ceux qu’on appelle désormais des «Justes». Mais, assurément, si près des trois quarts des Juifs de France ont pu survivre tant bien que mal, c’est grâce à la complicité active ou passive de la population. «Il s’agit là d’un phénomène social massif et non pas marginal, soutient Denis Peschanski, directeur de recherche au CNRS. Il y eut tous ceux qui accueillirent des Juifs, mais aussi tous ceux qui surent garder le secret.»
Cette prise en compte plus «fine» du tissu social, jusque-là laissé dans l’ombre par une historiographie polarisée sur la machine génocidaire, va de pair avec une nouvelle appréhension de la Résistance, théorisée par les historiens. Résister, en effet, pour une population opprimée et désarmée, ce n’était pas forcément faire sauter des pylônes ou dérailler des trains: c’était aussi rejeter, désobéir, se montrer solidaire de tous les pourchassés, qu’ils soient Juifs, aviateurs anglais ou réfractaires au STO. Qui le dit ? Pas seulement ces historiens qu’on pourrait qualifier de «post-paxtoniens» (Jacques Sémelin, Denis Peschanski, Pierre Laborie), mais les survivants eux-mêmes. Qu’ils résident en France, en Israël ou aux États-Unis, les ex- «enfants cachés», aujourd’hui septuagénaires, ne reconnaissant guère leur expérience dans l’image d’un pays abject propagée par les médias depuis les années 1980, et prennent la parole. Eux qui furent traqués, arrachés à leur famille, savent qu’ils survécurent grâce à une «France d’en bas» qui les accueillit dans ses villages, ses fermes, ses écoles, ses couvents. Par leurs écrits (voir notamment l’admirable Paroles d’étoiles, Les Arènes) ou par le dépôt de dossiers pour l’obtention du titre de «Juste», ils témoignent aujourd’hui de l’horreur qu’ils ont vécue, mais aussi de l’humanité de ces Français, souvent d’humble condition, qui leur ouvrirent leur porte, et parfois leur cœur.
En 1942, la conscience de l’homme de la rue se réveille
Comme le résume l’historien Michel Winock dans un récent ouvrage intitulé Mémoires de la Shoah, « la conscience morale, la solidarité humaine, la compassion, la charité chrétienne, on nommera cela comme on voudra, mais le fait est que, en dépit du risque encouru, des milliers de Français non juifs ont sauvé des milliers de juifs, français ou pas». Amis ou voisins qui hébergèrent pendant les nuits de rafle, passeurs qui faisaient franchir la frontière suisse ou espagnole, prêtres ou pasteurs qui établirent de faux certificats de baptême, instituteurs ou médecins qui ne posèrent pas de questions… Les manifestations de solidarité furent multiples. Certains de ces héros ordinaires, déportés en Allemagne, le payèrent de leur vie. Des contrées entières se muèrent en zones de refuge: non seulement la Haute-Loire et son célèbre plateau du Chambon-sur-Lignon, pays protestant, mais aussi la Drôme, avec le village de Dieulefit , les Cévennes, la Sarthe, le Cantal, le Loir-et-Cher… Bien sûr, il y eut des dénonciations, des humiliations, des enfants maltraités, et la fraternité n’était pas la seule motivation entrant en ligne de compte, comme le rappelle Denis Peschanski: «Il existait avant la guerre une tradition de placement dans les campagnes, et beaucoup de ces paysans étaient payés pour accueillir des enfants.» Mais le résultat est là.
Si les familles persécutées purent être mises à l’abri dans ces enclaves, ce fut souvent au bout d’une véritable chaîne de solidarité, après avoir été recueillies ou exfiltrées des camps d’internement par des associations d’entraide. En ce début de siècle sensible aux problématiques humanitaires, plusieurs recherches historiques mettent en exergue l’héroïque travail de fourmi accompli par ces «œuvres» et associations caritatives, juives ou non. Ainsi le comité Amelot, composé de sionistes de gauche et de communistes, opérant en zone occupée, qui fut décimé par la répression. Ou, en zone sud, le très oecuménique comité de Nîmes, qui avec des complicités dans l’administration, organisa l’évasion de 108 enfants à Vénissieux. Le réseau Garrel, lui, couvrait 30 départements, et cacha 1 600 enfants.
Bien sûr, ces activistes restèrent, sinon isolés, du moins minoritaires. Il fallut attendre l’été 1942 pour que la conscience de l’homme de la rue, traumatisé par la défaite, accaparé par les nécessités de la survie matérielle et intoxiqué par la propagande de Vichy, se réveille. Tous les rapports des préfets répercutent l’émoi suscité par le port de l’étoile, et surtout la rafle du Vel’ d’Hiv’. A Paris, en juin 1942, des étudiants, mais aussi des employés, des dactylos, des marchandes de journaux, arborèrent dans les rues de fausses étoiles jaunes, marquées de sigles fantaisistes, pour manifester leur solidarité avec les Juifs. Une centaine d’entre eux furent expédiés au camp de Drancy, où Dannecker, chef de la Gestapo, les affubla d’une banderole voulue infamante d’ « ami(e)s des Juifs», comme l’a établi l’historien Cédric Gruat. «Allez, vous êtes encore plus gentille comme ça qu’avant», dit maladroitement une guichetière à Hélène Berr, jeune Parisienne, mise au supplice par l’obligation de porter l’étoile. Son bouleversant Journal posthume, publié le mois dernier, atteste une certaine incompréhension de non-Jjuifs face au sort des israélites, mais aussi les nombreuses marques de soutien prodiguées par des Parisiens anonymes.
«Vichy s’est vu contraint de freiner sa coopération»
Assistante sociale bénévole à l’Union générale des israélites de France (Ugif), Hélène Berr œuvrait clandestinement au sauvetage d’enfants. Loin d’être seulement des victimes passives, beaucoup de Juifs surent prendre en main leur destin, à travers des organisations comme l’OSE (Oeuvre de secours aux enfants). Ils furent souvent aidés dans cette tâche par les protestants, qui avaient gardé la mémoire des persécutions passées. Ce n’est pas un hasard si une organisation comme la Cimade fut en pointe dans les opérations de sauvetage, si beaucoup d’enclaves de protection se situaient en pays huguenot.
L’Eglise catholique, hélas, ne se montra pas aussi exemplaire. L’épiscopat, qui avait adhéré à la «révolution nationale», cautionna par son silence le processus de discrimination. L’Eglise sut néanmoins réagir quand vint l’heure de la persécution. Dans le sillage de Mgr Saliège, archevêque de Toulouse, auteur d’une admirable lettre pastorale lue en chaire, cinq évêques élevèrent une protestation publique au moment des grandes rafles. On peut rêver à ce qu’aurait été l’impact d’une protestation collective des prélats français…
Ce qu’on sait moins en revanche, c’est que l’assemblée des évêques fit pression en privé sur Pétain et Laval, avec une relative efficacité. Serge Karlsfeld voit dans ces démarches la cause du ralentissement des déportations à l’automne 1942: «Confronté aux réactions de l’opinion publique en zone libre et aux interventions déterminantes du haut clergé, Vichy s’est vu contraint de freiner sa coopération massive et de refuser de remplir le programme d’octobre 1942 de livraison des Juifs», écrit l’auteur de Vichy-Auschwitz. Pourtant proche de Pétain, le cardinal Gerlier mit la «logistique» de l’Eglise à la disposition des réseaux de sauveurs d’enfants: le primat des Gaules sera d’ailleurs fait «Juste parmi les nations» à titre posthume en 1980. «Juste» aussi, l’évêque de Nice, Paul Rémond (oncle de l’historien René Rémond), qui, quoique n’ayant guère protesté au moment des rafles, couvrit, dans les Alpes-Maritimes, les activités clandestines du réseau Abadi, grâce auquel on parvint à sauver 500 enfants ».
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