Les Lundis
Par Louis-Joseph Delanglade.
Le Roman de la France (tome premier : « De Vercingétorix à Mirabeau »), tel est le titre du dernier ouvrage de M. Joffrin, par ailleurs directeur de la rédaction du quotidien Libération. Sur un sujet sans doute inépuisable, on n’apprendra en fait rien qu’on ne sache déjà. L’intérêt du livre est ailleurs et c’est le bandeau qui doit interpeller le lecteur : « Une Histoire de la Liberté ».
Qu’est-ce que cela peut bien cacher ? En fait, rien d’autre que ce qui est écrit à savoir une idéalisation de la France confondue avec la Liberté.
Chacun peut bien se faire son idée de la France, même Laurent Joffrin. De Gaulle lui-même ne s’en faisait-il pas « une certaine idée » ? Cependant, cette aspiration à l’idéal, si légitime qu’elle soit, doit être mise en tension avec une approche plus concrète, plus charnelle même. Sinon on sombre dans l’abstraction et, en l’occurrence, la vision messianique et universaliste d’une France-Liberté détachée de ce que Mme Ozouf appelle, dans son beau livre Composition française, « les déterminations » (elle précise : « Nous naissons au milieu d’elles, d’emblée héritiers d’une nation, d’une région, d’une famille, d’une race, d’une langue, d’une culture »), vision messianique qui se révèle illusoire donc néfaste : « Le discours intégriste des universalistes repose sur l’illusion d’une liberté sans attaches. »
Revenons à Laurent Joffrin. Lors des présentations de son livre (par exemple à France Inter, samedi 31 août), en habile homme, il se concilie d’abord les auditeurs par une bonne dose d’honnêteté intellectuelle (« je suis journaliste, pas historien ») qui lui permet d’assumer pleinement l’approche plus séduisante, plus pédagogique même, de l’Histoire que constitue le recours au récit et aux grands hommes (« Ce sont les hommes qui font l’Histoire ») – laissant aux spécialistes et autres universitaires leurs rébarbatives analyses des phénomènes sociaux et économiques. Tout dépend donc de la façon de présenter les personnages et de raconter les événements. On appréciera diversement son intérêt pour les Gaulois, sa passion pour Louis XI, sa critique féroce de Louis XIV (« le personnage le plus horrible de l’Histoire de France »), ou certains titres-slogans démagogiques (« Vive la repentance ! »).
Etonnant, quand même, ce Laurent Joffrin qui reconnaît bien volontiers « un héritage incontestable : celui des racines chrétiennes, celui des rois. » La France ne commencerait donc pas en 1789. En réalité, l’idéologie sous-tend le récit (« Il faut raconter une Histoire de France qui donne sa place à l’idée de progrès et de liberté. »). Retour au bandeau, donc, et foin de l’Histoire, finalement, puisqu’on veut à toute force la faire entrer dans un moule : « La France, c’est une idée qui réunit tout le monde, c’est une idée de liberté », insiste Laurent Joffrin. MM. Sarkozy (en 2015) et Hollande (en 2016) l’avaient déjà dit… Il y aurait donc un sens à l’Histoire de France, celui de l’émergence, après moult avancées et reculs, de cette idée enfin dominante avec Lumières et Révolution – racines chrétiennes et héritage monarchique servant en quelque sorte à Laurent Joffrin de repoussoir. Cette foi dans un prétendu sens de l’Histoire reste bien suspecte.
La France ne saurait de toute façon se ramener à une idée et, quelque idée qu’on ait d’elle, reste ce qui est premier : la terre de France, son histoire et ses gens. A vouloir la sublimer pour en faire le point oméga de l’humanité, on oublie finalement l’essentiel. Les poètes, de Charles d’Orléans (Portrait) ou Du Bellay à Robert Brasillach, Charles Trénet et même Jean Ferrat, l’ont finalement mieux compris que certains intellectuels. ■
Joffrin, le commissaire politique du politiquement correct progressiste et consensuel. Relisons plutôt l’histoire de France de Bainville ou la très belle histoire des français de Gaxotte.