Par Marc VERGIER.
Chère Elisabeth,
Vous écrivez : “ les écolos n’aiment pas le populo”. C’est tellement juste. Aujourd’hui ils sont contre le populaire Tour à vélo, mais toujours, partout, ils sont pour le vélo contre le populo.
Qui n’a remarqué les cyclistes écolos. Ils n’ont rien de commun avec les acrobates, fondus de la petite reine qui bravent tous les dangers (moi, plus jeune), encore moins avec les paisibles pédaleurs du dimanche ou de la semaine (il y en a encore).
Savent-ils même, ces nouveaux venus que le vélo est plus ancien que l’auto ? Eux sont d’une autre espèce, nouvellement descendue du ciel, supérieure, noble, conquérante, méprisante. Des centaures, en somme, ne faisant qu’un avec leur pur-sang.
A mon époque, les mauvais skieurs paniqués criaient “piste, piste !”, les automobilistes s’amusaient à effrayer les poules. Tels sont nos centaures, fiers, casqués, renfrognés, pressés, importants. ils nous foncent dessus, nous les piétons, nous frôlent rageusement (alors qu’ils exigent des autos un mètre d’écart), où que nous soyons : passages protégés, trottoirs, feux rouges, sens interdits n’existent pas pour eux. Cette soldatesque, agit comme une armée d’occupation: on ne nous parle pas, klaxon, avertissement par sonnette , impatience grognon et courroucée, voilà tout ce qu’ils nous concèdent. C’est qu’ils sont les sauveurs, les prêtres, notre dernière chance de salut, ils représentent l’air pur, l’eau pure, la race pure, le futur, le progrès, nous ne sommes que le populo.
Ouvrons les yeux, ce vélo n’est pour les écolos qu’un parmi leurs nombreux faux-nez pour se faire une place au soleil. Ces cyclistes furieux sont leurs sectataires naïfs, idiots et utiles. Taurillons à cornes de guidon dont le militantisme se résume à inquiéter, écarter, évincer, intimider les dangereux piétons sous le prétexte de combattre le tout-voiture. Comme d’autres mouvement activistes, les écolos mêlent proclamations généreuses, perspectives souriantes et menaces plus ou moins voilées. Ajoutez le mépris et la culpabilisation, armes favorites qu’on brandit contre le bon peuple.
Il faut rappeler ce que sont les piétons : non pas des usagers de la voie publique parmi d’autres, ils sont tout le monde, de tous âges, de toutes conditions, bien ou mal portants. Adultes, enfants, sourds, aveugles, distraits, pressés, flâneurs, chalands, badauds. Ce sont eux les titulaires des droits de l’homme, et l’usager d’un quelconque engin ne saurait les en priver. Quant au trottoir, proprement respecté, c’est un lieu de haute civilisation, où s’épanouissent convivialité, liberté, rencontres, courtoisie, rêverie, réflexion, galanterie (ne sommes-nous pas tous un peu péripatéticiens? ). Un havre urbain, ouvert à tous, utile à tous, sans règles ni équipements obligatoires, sans danger. C’est un chez soi collectif où chacun, comme chez lui, peut se détendre, en toute tranquillité. En vérité cette tranquillité – de droit, absolue, non négociable – résume ce qu’un trottoir doit être. C’est l’évidence, la nécessité pratique, l’esprit de la loi et comment pourrait-il en être autrement? Ajoutons au tableau, pour ces écolos aveugles, que la marche à pied, outre son universalité, est le mode de déplacement le plus économique, le plus rationnel (en combinaison avec les autres moyens de transports), le plus bénéfique à la santé, le moins gourmand en investissements, le plus écologique, et de loin.
C’est précisément ce trésor, cette maison commune, que nos écolos à dérailleurs prétendent s’approprier. Quant aux piétons, le peuple tranquille et désordonné du godillot-métro-boulot, il n’est que gêne pour eux. Ils sont donc contre, tout contre, et pour leur évincement. Le résultat pratique c’est la dénaturation et la colonisation d’un bien commun, au détriment des plus faible et des plus nombreux; Centaures dévastant l’Arcadie. De la belle écologie en effet ! Et de gôche s’il vous plaît ! Vous l’avez dit : les écolos n’aiment pas le populo.
L’analyse ne peut se limiter à ces goujats casqués, car ils sont encouragés, tolérés, protégés par les autorités publiques dans une mesure incompréhensible. Dans ce sens on peut dire que ces autorités non plus n’aiment pas le populo.
Depuis presque vingt ans, je constate la tendance des autorités à brouiller une distinction pourtant inscrite dans la loi, dans l’évidence et dans la pratique entre les piétons et les véhicules. Quand on leur signale l’incongruité de ces initiatives, ils se défilent. L’invocation de la loi devant les tribunaux leur fait hausser les épaules. Les conséquences, ils ne les voient pas. Petit à petit, sous des contorsions lexicales dignes d’Orwell, les autorités délivrent aux cyclistes une carte de plus en plus blanche. Pour eux la plupart des lois sont suspendues ou contournées par des artifices: on peint des “pistes” sur les trottoirs, comme en trompe-l’œil (parfaites pour les aveugles), du coup les passages et feux pour piétons sont aussi pour les cyclistes. On invoque le “partage de l’espace”, comme si le trottoir n’avait pas toujours été universellement partagé. Sur des trottoirs de ma ville on voit des panneaux “cyclistes respectez les piétons”, autrement dit “ne les piétinez pas”, comme pour les pelouses ! Quid en l’absence de tels panneaux ? Chasse ouverte aux piétons? le tout emballé dans le brouillard rose des “circulations douces”. Dernier avatar de cette démission : la dispense de masque.
Divers groupes de pression se sont engouffrés dans la brèche. La presse elle-même montre généralement peu de discernement face aux arguments tel celui présenté au Conseil National de Sécurité Routière par Patrick Jacquot, président de la commission « deux roues, deux roues motorisés » du CNSR : « On préfère qu’un cycliste donne un petit coup de guidon à un piéton plutôt qu’il soit percuté par un quinze tonnes…Nous ne sommes pas là pour protéger les plus faibles, la vieille dame va apprendre la mixité, elle deviendra attentive aux vélos. Si on craint un coup de guidon, il ne faut plus sortir de chez soi. » (rapporté par Le Monde du 8/12/014). les responsabilités sont minimisées par des distinctions spécieuses : “les piétons les plus vulnérables”, comme s’ils n’étaient pas tous vulnérables ! Faut-il le préciser: aucun piéton n’a d’yeux derrière la tête. Ces discussions sur le degré de vulnérabilité couvrent mal l’aveuglement volontaire face à la destruction de ce que j’ai qualifié de havre urbain.
Dans la démission des autorités, je vois une incapacité (volontaire ?) à conceptualiser. c’est à dire à légiférer. D’un côté on laisse tomber en désuétude, une institution irremplaçable et les lois qui la définissent, de l’autre on semble incapable (réticent ?) de traiter selon la distinction traditionnelle (mais aussi logique et pertinente) entre piétons et véhicules les multiples types d’engins apparus ces dernières années. On parle encore de vélos et de pistes cyclables mais nous sommes déjà à l’heure des trottinettes électriques et des monoroues, entre autres. Le trottoir est devenu le dépotoir de ces impuissances accumulées, de cette confusion entretenue, toujours au détriment et au mépris de la piétaille. Chaque nouvel engin est vendu implicitement comme “assimilé à un piéton”. Les media se gargarisent d’un prétendu “vide juridique” . Les moteurs ne sont plus des moteurs mais des “assistances”. Du coup les cyclomoteurs, tel notre Solex, sont devenus des “engins de déplacement personnel” (EDP), donc tolérés plus ou moins confusément sur le trottoir. Les élucubrations prennent le pas sur le bon sens: quatre députés LREM (Rupin, Avia, Grégoire, Maillard ont lancé leur appel du 18 juin (2019) : “l’ EDP comme nouveau paradigme,…, service public de la mobilité, vertueux, écologique, fiable “, sans un mot pour la piétaille et ses souliers qui, on le sait, sont exactement le contraire, car, ajoutent-ils “On ne se déplace plus comme on le faisait hier” Quid alors des couloirs du métro, des hôpitaux, musées, galeries commerciales, cathédrales et châteaux, bureaux de vote … ? M. Nadjovsky, adjoint à Paris, déclarait à la même époque “il faut sanctuariser le trottoir”. Prise de conscience bien tardive et solitaire qui confirme que nous avons bien affaire à une entreprise de désacralisation du trottoir.
Au jeunisme, et autres bougismes, à la décadence intellectuelle, aux calculs cyniques relevant du ”diviser pour régner”, Il faut ajouter la possibilité de conflits d’intérêt : plusieurs villes ont investi dans les EPD en libre-service. Je trouve extraordinaire qu’on subventionne grassement l’achat de vélos électriques. Qui en profite ? Les marchands, d’abord, certains “bobos”, ensuite mais certainement pas le gros des métro-boulot-dodo. Et le prétendu combat des écolos contre le tout-voiture ne se termine-t-il pas dans la “planque” du trottoir (souvent préféré à la piste cyclable), à la grande satisfaction des automobilistes ? Plus généralement on constate, sur ce sujet, l’interpénétration intellectuelle entre les autorités publiques, les mouvements politiques et le monde économique décrite par de multiples auteurs. Le piéton, c’est celui qui dépense le moins d’argent pour se déplacer, le trottoir c’est le dernier espace libre et gratuit. Voici donc tout défini un magnifique terrain de chasse….
Sur le sujet traité ici, on retiendra que les écolos, par leur complaisance envers l’invasion des EDP, agissent comme des rabatteurs du gibier populaire. QED. ■
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source .
Cf la vieille rengaine des biffins: »La meilleure façon d’marcher, c’est encor la nôtre: c’est de mettre un pied d’vant l’autre et d’recommencer! »
Merci à Antiquus de rappeler cette vieille rengaine des biffins !