L’immense quiproquo entre la France et ses diasporas africaine et maghrébine


Par Driss Ghali*.

Il s’git ici, reprises dans Causeur, de Bonnes feuilles de l’essai De la diversité au séparatisme, publié – comme le présent article – le 15 de ce mois. Ce sont des réflexions lucides, intéressantes; sur l’absurdité du colonialisme prétendu « civilisateur »  et sur l’impossibilité du « vivre ensemble » Nous n’ajouterons rien d’autre sinon que ces textes émanent d’un Marocain. Nous avons déjà repris dans JSF quelques articles de Driss Ghali, auteur à la pensée amie de la nôtre.


Notre contributeur Driss Ghali publie De la diversité au séparatisme aujourd’hui, disponible en téléchargement. On nous a dit que l’immigration était une chance pour la France. À mesure que les années passent toutefois, les frustrations montent et notre France se transforme en un champ des lamentations, où se plaindre et accuser autrui de ses malheurs est un art de vivre. Les analyses implacables et le brillant style littéraire de Driss Ghali ne sont pas sans rappeler un certain Eric Zemmour. Bonnes feuilles.


Présentée comme une chance pour la France, l’immigration de masse a en réalité commis la même erreur grotesque que la colonisation en croyant empiler impunément les civilisations, les unes sur les autres. Aux colonies, il y a plus de soixante ans, cette promiscuité a causé de grandes convulsions, elles ont débouché sur la décolonisation c’est-à-dire sur la séparation, plus ou moins à l’amiable, des civilisations. En France, la même cause provoque les mêmes effets : climat de méfiance, explosions de violence, malaise identitaire chez tous, à savoir les Français de souche et les diasporas.

Pour stimuler l’échange entre les civilisations, il faut respecter leur nature profonde qui exige en premier lieu le maintien d’une bulle de sécurité où chaque civilisation a le dernier mot, où personne ne s’introduit pour la juger ou la critiquer. Une civilisation est normative par définition et deux normes différentes ne peuvent coïncider au même endroit. 

Sans cela, la crispation est de rigueur. Elle n’empêche pas l’échange mais elle le rend douloureux et conflictuel. Tout prête à jalousie. 

Il y eut des échanges immenses entre civilisations lors de la colonisation française (n’en déplaise aux indigénistes). Il y en aura d’autres peut être grâce à l’immigration mais, dans les deux cas, l’histoire est tragique. 

Une civilisation française déclinante et malade

Sous la colonisation, la civilisation française était splendide et en bonne santé, elle avait des choses à dire. Aujourd’hui, elle est déclinante et malade, que va-t-elle enseigner à ses hôtes africaines et maghrébines ? La PMA pour toutes, l’écriture inclusive ou bien l’art d’utiliser la trottinette électrique ?

Cette fois-ci, ce sera peut-être à elle d’entendre, à elle d’apprendre. Mais, que peut bien lui dire le Maghreb et l’Afrique par le biais de leurs diasporas respectives ? Quelles solutions peuvent-ils apporter au suicide français ? 

Réunir trois oiseaux blessés n’est pas forcément ce que l’on pourrait qualifier de « chance pour la France ».  L’immigration de masse donne un rendez-vous impossible à trois grands corps malades. Impossible, car ils n’ont pas grand-chose à se dire.

Alors, empilés les uns sur les autres, à la dérive chacun de sa manière, ils s’invectivent, ils se croient persécutés les uns par les autres et se rendent la vie impossible. La civilisation française voit parfois dans ses voisins de palier les raisons de son malheur. La civilisation maghrébine se croit victime d’un complot permanent visant à la discriminer et à l’exclure, alors qu’elle n’a pas besoin d’ennemis, elle se suffit à elle-même. La civilisation africaine, aiguillonnée par les discours venant des Etats-Unis, s’engouffre elle aussi dans un syndrome de persécution qui lui évite de faire son introspection, pénible par définition.

A mesure que les années passent, les frustrations montent et le pays se transforme en un champ des lamentations, où se plaindre et accuser autrui de ses malheurs est un art de vivre. Paradis pour enragés. Enfer pour les hommes et femmes de bonne volonté.

Pas la même grammaire

Je suis pessimiste.  Je n’attends pas grand-chose (à court et moyen terme du moins) de la rencontre des civilisations.

A supposer que le Maghreb et l’Afrique aient quelque chose à dire à la France, elles ne sauraient le lui faire parvenir. La grammaire est différente, la manière de penser n’est pas la même.

Le Sud est spirituel et métaphysique jusqu’à l’excès. Il navigue facilement entre le réel et le merveilleux. Le Nord (c’est-à-dire la France et l’Europe) est matérialiste, il est exaspérant de scepticisme et d’utilitarisme. Depuis qu’il croit avoir tué Dieu, il n’est plus accessible au message des peuples qui ont encore peur de l’Au-delà et qui se voient comme les humbles participants d’un grand théâtre cosmique. 

Le Sud est fidélité, il est loyauté aux anciens. Pour cela, il donne l’impression de tourner en rond, de stagner au fond du trou par manque d’ambition. C’est un peu vrai. Le Nord, lui, est progrès, c’est-à-dire destruction-créatrice. Il est une flèche qui vole vers un but imprécis, toujours devant alors que le Sud est un cercle. La France « a fait un pacte avec le Diable », elle a choisi le changement permanent pour obtenir le bien-être et la puissance. Le Maghreb et l’Afrique renoncent aux joies de ce monde pour rester eux-mêmes, appuyés sur des attaches fixes qui leur assurent une sécurité morale et psychique. 

Avec de telles prémisses, il n’y a de places que pour des quiproquos. Et ils sont nombreux les malentendus par les temps qui courent.

La France dit liberté, ses invités entendent licence et rébellion contre Dieu. La première amène la disharmonie et la guerre, la seconde appelle le châtiment divin.  La France dit démocratie, ses invités comprennent le régime des minorités et écrivent leurs cahiers de doléance dans l’espoir d’être entendus en premier.  La France dit solidarité, ses invités croient à la promesse de l’abondance payée par le travail des autres. Puisqu’elle n’advient pas, ils ruminent leur frustration contre la France qui ne tient pas parole. La France dit droits de l’homme, ses invités entendent « sursis » et « rappels à la loi », des marques de faiblesse et non de magnanimité. Au sud, le fort est celui qui punit fermement l’infracteur pour rétablir pleinement et sans délai l’honneur de la victime.  Or, la punition est un mot tabou en France, d’où l’immense quiproquo avec les diasporas africaines et maghrébines.

Trop peu de chances pour la France

Beaucoup de quiproquos quand même, peu de bonnes réponses aux questions importantes.

Certes, on a gagné la Coupe du Monde avec la formule « black, blanc, beur ». Maigre consolation pour un dialogue de sourds.

Dire cela ne disqualifie pas le moins du monde les immigrés et les enfants d’immigrés qui ont réussi. Ils ne sont pas la « civilisation » maghrébine ou africaine, ils sont des individus qui portent le logiciel transmis par leurs parents et ont, par leur mérite propre, su en faire un atout et non un handicap. Malheureusement, ils sont trop peu nombreux pour peser sur la civilisation française, celle-ci est comme toute civilisation inaccessible aux simples mortels. Elle n’écoute que les matières humaines compactes et massives, ses semblables.  ■

Driss Ghali

    

        

 

 
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* Ecrivain et diplômé en sciences politiques, il a aussi publié ‘Mon père, le Maroc et moi » aux Editions de l’Artilleur ainsi que « David Galula et la théorie de la contre-insurrection » aux Editions Complicités.

1 commentaire pour “L’immense quiproquo entre la France et ses diasporas africaine et maghrébine

  1. Constat lucide d’un Marocain qui traduit une nostalgie d’une époque révolue, où il y avait des échanges entres les hommes , et non une massification qui nous fait perdre notre âme en écrivant . « Sous colonisation la civilisation français était splendide et en bonne santé, elle avait des choses à dire ? Aujourd’hui que va-t-elle enseigner ? » Tout est dit.
    Terrible constat de notre inconsistance actuelle. . Comment en est -on arrivé là ? Par une sécularisation à outrance, qui touche même nos églises  » France, fille ainée de l’Eglise est tu fidèle aux promesses de ton baptême » demandait Jean -Paul II , il y a plus de quarante ans, question à laquelle l’Eglise de France n’a jamais répondu.
    Il ne s’agit pas d’empiler des civilisations, ni de les figer, mais de faire naitre par leur contact réciproque. Ce dialogue d’un « Tu à un Tu « devant ce qui nous dépasse, ce qu’a su faire instinctivement Lyautey , héritier d’une longue transmission. IL ne s’agit pas donc pas de s’enrichir de nos différences, en les empilant jusqu’au choc, comme le répète en chœur certains, mais de valoriser , ce qu’ il y a à valoriser. Cela demande toujours une longue ascèse, la devise « ora et labore » n’est – elle pas sil pas cœur de la nôtre civilisation ou du moins ce qui l’a fondé ?
    Avec son intuition très africaine, Driss Ghali voit bien que notre logiciel individualiste de consommation tourne à vide pour nous, plus grave il déboussole ceux que nous prétendons accueillir, en les privant de leurs repères .
    Une simple remarque le nord il dit n’est pas que . matérialiste, il est aussi (en France par exemple ) « métaphysique. » le pays de Jeanne d’Arc de Thérèse, du Père de Foucauld . de tous nos Saints , reste aussi une source mystique à retrouver.

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