
PAR RÉMI HUGUES.
Suite d’articles (5 parties), continuée les prochains jours.
Au fond cette guerre ce n’est pas le David ukrainien contre le Goliath russe mais le David russe contre le Goliath occidental, contre cette thalassocratie multi-séculaire au sens où les États-Unis ont « revêtu les habits de l’ancienne doctrine stratégique britannique : affirmer le libre-échange, assurer, pour ce faire, la liberté des mers par l’établissement d’une marine invincible, maintenir dans chaque région de la planète un équilibre entre les puissances du moment »[1].
En réalité c’est la Russie qui mène une guerre défensive contre la menaçante hyperpuissance occidentale. Une voix de l’Ouest, le Français Alexandre Adler, a étudié dans un essai paru en 2004, l’Odyssée américaine, la stratégie globale des États-Unis à l’orée du XXIe siècle.
En le lisant on réalise à quel point la politique à la hussarde de Bush Jr – l’ouvrage est sorti à la fin de son second mandat – a été préjudiciable à la stabilité mondiale mais surtout qu’elle constitue la cause principale du conflit actuel en Ukraine.
Sa politique du « roll-back » fut une provocation pour les autres puissances : outre l’opération en Irak déjà évoquée, mentionnons les « protectorats américains de facto établis en Afghanistan et même en Ouzbékistan, sous le nez de la Russie et de la Chine »[2]. En dépit de sa victoire lors de la Guerre froide, note Adler, « l’Amérique fait tout pour affaiblir l’influence traditionnelle de la Russie. C’est la présence américaine dans les États baltes, qui ont fini par accéder à l’OTAN, contre tous les engagements pris autrefois vis-à-vis de l’Union soviétique de Gorbatchev »[3]. Là réside le péché originel qui conduira à la guerre actuelle.
D’autant plus que c’est sous la présidence de Bush Jr que « les Américains ont recommencé à soutenir l’Ukraine dans ses aspirations à rejoindre un jour l’Union européenne et l’OTAN. »[4] Et Adler d’enfoncer le clou sur l’impéritie de politique étrangère de l’administration Bush : « C’est donc très largement à cause des erreurs ou des négligences de la diplomatie de George Bush que Poutine a glissé d’une position de pro-américanisme franc en 2001, à une distance franche fin 2002. »[5] Conséquence de quoi ce dernier choisit en « septembre 2003 d’augmenter son aide au programme nucléaire iranien, en doublant la centrale de Bushir, de donner son appui à la Corée du Nord et de renforcer sa coopération pétrolière avec l’Irak de Saddam Hussein. »[6] En un mot, de prendre langue avec ces pays taxés par les faucons de la diplomatie américaine d’Axis of Evil, d’« Axe du Mal ».
Une étude sur la Russie vit le jour dans ce contexte sous la plume du descendant d’Edgar Poe, John Poe, qui soutient que la modernisation occidentale et son lot de violences a conduit l’État russe à devenir beaucoup plus coercitif, sans pitié et très autoritaire. Face au danger que représente un pays belliqueux, le pacifisme est en effet une faute, comme le fait remarquer Grégoire Quevreux dans une recension du livre Trois entretiens sur la guerre, la morale et la religion de Vladimir Soloviev :
« L’histoire nous apprend en effet qu’il y a des guerres bonnes, et des paix mauvaises. L’erreur fondamentale du prince est de ne considérer le problème qu’à travers un rapport binaire : entre le belliciste qui frappe la joue droite, et le pacifiste qui tend la joue gauche. Or, relève Soloviev, la guerre engage parfois un rapport en réalité ternaire : entre l’agresseur qui s’en prend au faible, le faible qui est victime de l’agresseur, et le protecteur qui vient prendre la défense du faible les armes à la main. Dans cette situation (peut-être rare dans les faits, mais qui arrive néanmoins), la guerre faite par le protecteur à l’agresseur est évidemment bonne et juste. Pour Soloviev, l’accomplissement du bien est toujours une œuvre divino-humaine qui exige la participation active de l’homme, y compris par les armes. Refuser de résister au mal au nom d’un pacifisme de principe comme le préconise le prince, c’est finalement laisser au diable la liberté de se déchaîner. »[7] ■ (À suivre).
[1]Alexandre Adler, op. cit., p. 15.
[2]Ibid., p. 17.
[3]Ibid., p. 121.
[4]Ibid., p. 222.
[5]Idem.
[6]Idem.
[7]https://philitt.fr/2021/06/07/vladimir-soloviev-et-le-mystere-de-lantechrist/
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
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