
Par Paul Cébille.
En pleine période d’absolutisme royal, Saint-Simon, dans ses Mémoires, avait déjà écrit il y a trois siècles et un peu davantage : « Rien n’est plus terrible que le silence des peuples sur le passage des rois. » À sa minuscule mesure, Emmanuel Macron doit en savoir quelque chose lui aussi, dans le secret de ses pensées, et les « observateurs » avec lui. Ou encore ses rivaux, dont les pires sont ceux de son camp. Cet article ne traite pas du destin de la France dans le chaos que le régime a installé de longue date et qui s’est précipité, creusé au-delà de toute limite soutenable, sous le Mozart d’on ne sait trop quoi. Peut-être des discours de panthéonisation. Mais il revient – cet article – sur l’état actuel de l’opinion et sur la détermination des politiciens à continuer – à droite comme à gauche – d’en tenir compte le moins possible. C’est la réalité et le paradoxe de notre République, des origines à nos jours, d’avoir presque toujours agi en contradiction avec la seule composante démocratique du Pouvoir qui ait une existence et une importance : l’assentiment. Inutile de dire qu’il a disparu de tous les radars. JSF
TRIBUNE – Les contorsions et arrangements des partis politiques français pour repousser aux calendes grecques un retour aux urnes vont rendre l’épreuve, qui arrivera inéluctablement, bien plus pénible pour tous, pointe l’analyste de l’opinion à l’observatoire Hexagone.


les élus ne semblent pas encore prêts à lâcher prise, au risque d’entretenir la frustration de ne rien voir changer. »
Nos élus ont, ces derniers jours, joué une pièce déroutante de la politique française : une sorte de tango politique où Les Républicains évoquent des rapprochements avec le RN tout en affirmant qu’il n’en est absolument pas question, où le Parti socialiste vise le premier rôle sans avoir répété avec le reste d’une troupe de gauche désunie, et où Renaissance s’interroge, façon comédie romantique, sur la manière de larguer la seule réforme du second acte d’Emmanuel Macron sans quitter la scène trop vite. En somme, tout semble bon pour conserver son petit rôle, au prix d’un affaiblissement budgétaire, économique et même social de la France. C’est l’impression que risquent de laisser les responsables politiques de l’arc républicain aux Français, celle d’un jeu de rôle qui ne fait que repousser l’entrée en scène du RN.
Rappelons que le véritable enjeu est le vote d’un budget avant la fin de l’année, si possible un budget pas trop déséquilibré. Avec le départ de François Bayrou, c’est l’ensemble des débats sur la réduction des déficits qui a disparu avec lui. Sébastien Lecornu a bien formulé quelques annonces de baisse des dépenses de l’État, mais sans présenter de plan de réformes cohérent, si bien qu’elles sont sans doute passées inaperçues. Désormais, les débats essentiels, à savoir comment cesser de dépenser les 170 milliards d’euros que l’État n’encaisse pas en impôts, se sont déplacés vers d’autres priorités propres aux acteurs politiques : comment tenir dans la compétition électorale jusqu’à l’élection présidentielle.
Dans un premier temps, l’objectif vise à faire en sorte que cette présidentielle s’organise aussi vite que possible, mais aussi tard que nécessaire. Personne ne veut d’une campagne présidentielle expédiée en un mois, et chacun souhaite avoir le temps de se dégager du bourbier actuel et ainsi se présenter face aux Français avec une image maîtrisée. Parmi les principaux concernés figure Bruno Retailleau. C’est lui qui a précipité la chute du pré-gouvernement Lecornu, dans une séquence où ses intentions de vote pour 2027 faiblissent. Il a bien tenté de justifier sa prise de position par son refus de servir de caution à la fin du macronisme, mais dans les faits, l’opinion perçoit que Les Républicains, n’étant pas sous un format de cohabitation, soutiennent globalement l’action du bloc central, donc celle du président. Le dépassement récent selon l’Insee du seuil des 6 millions d’étrangers sur notre sol ne sera sans doute pas de nature à convaincre les Français, très majoritairement opposés au maintien des flux actuels d’immigration, que le bilan du ministre en la matière vaut le coût d’une stabilité politique illusoire.
À gauche, c’est la prise d’indépendance du Parti socialiste vis-à-vis de l’alliance du Nouveau Front populaire qui interroge. Cette manœuvre repose sur une base électorale plutôt fragile : la gauche ne représente plus qu’à peine un tiers des électeurs, mais pense pouvoir élargir son audience grâce à quelques idées phares qui se limitent à la taxation des plus riches et à l’abrogation de la réforme des retraites. Ce sont des propositions vis-à-vis desquelles les Français montrent bien une certaine sensibilité mais qui renvoient la gauche socialiste à ses travers des années 1980 et 1990, celles où les Français faisaient encore suffisamment confiance à leurs élus pour apporter le progrès social avec la retraite à 60 ans puis, plus tard, les 35 heures.
Le monde politique semble donc vivre dans une illusion, celle que l’on pourrait gouverner indéfiniment contre le peuple. Et si la réalité s’impose désormais, les élus ne semblent pas encore prêts à lâcher prise, au risque d’entretenir la frustration de ne rien voir changer
Sauf que les doutes de l’époque se sont transformés en certitudes : d’une part, la certitude que taxer les plus riches ne suffira pas à réduire les déficits. Sur ce point, les Français soutiennent également d’autres solutions, comme la réduction des aides sociales et du nombre de fonctionnaires, dans une tendance anti-assistanat à laquelle la gauche ne répond pas. D’autre part, la gauche considère que l’inquiétude autour du pouvoir d’achat appelle nécessairement une politique du « chèque », alors que les Français recherchent avant tout une revalorisation du travail, qui ne permet plus de vivre correctement de ses revenus, ce qui plaide plutôt pour des baisses d’impôts, impossibles si les dépenses publiques continuent d’augmenter. Enfin surtout, la gauche ignore encore et toujours les questions d’immigration et de sécurité, et rejette l’analyse qu’en fait une large majorité de Français, ce qui la rend incapable d’y apporter une réponse.
Si l’approche de nouvelles élections attise à ce point les appétits des Républicains et du Parti socialiste, c’est bien qu’ils perçoivent la faiblesse du bloc central, un parti désormais coupé de son président, que ses propres leaders ont lâché (et inversement), si l’on en croit les récentes déclarations de Gabriel Attal et d’Édouard Philippe, et surtout coupé du reste de la population, qui rejette son bilan. Cette faiblesse s’exprime dans ce jusqu’au-boutisme dans la recherche d’un gouvernement, alors que nous en sommes déjà au quatrième depuis la dissolution de 2024. À tel point que des ministres comme Élisabeth Borne, ainsi que plusieurs députés, envisagent désormais d’abandonner la réforme des retraites, la seule menée à terme par ce parti, au forceps, depuis 2022. Une manœuvre qui pourrait coûter des milliards au budget déjà lourdement déficitaire de la France, et faire peser encore davantage sur les actifs la charge du financement des rentes déficitaires des retraités.
Le monde politique semble donc vivre dans une illusion, celle que l’on pourrait gouverner indéfiniment contre le peuple. Et si la réalité s’impose désormais, les élus ne semblent pas encore prêts à lâcher prise, au risque d’entretenir la frustration de ne rien voir changer. Et pour cause : changer la façon de gouverner ne semble pas l’objectif premier des acteurs politiques. Cette frustration s’exprime déjà par des intentions de vote particulièrement élevées pour le Rassemblement national, jusqu’à 35 % des intentions de vote, et plus largement pour la droite, désormais majoritaires. Et pourtant, cette option d’un gouvernement de droite, plus stable car mieux conforme aux aspirations des citoyens, tarde à émerger. D’une part, parce que Les Républicains doivent d’abord accepter leur relégation ; d’autre part, parce que les propositions économiques du Rassemblement national suscitent encore des interrogations sur son positionnement, alors même que 89 % de ses électeurs potentiels se situent eux-mêmes à droite.
Plus il sera repoussé, plus le retour aux urnes deviendra une épreuve pénible pour tous, emplie de frustrations et d’un ras-le-bol qui risque de rendre le choix des citoyens encore plus difficile. Sans doute les Français redoutent-ils eux-mêmes de devoir assumer pleinement les conséquences de décisions dont ils ne se sentent pas responsables. Et ils ne sont pas près de pardonner à leurs élus pour cela. ■ PAUL CÉBILLE













1) à JSF : Mozart de quoi ? Mozart du Bazar
2) à Paul Cébille : votre copie de bon élève, accordant toutes vos révérences aux partis politiques, omet l’essentiel. Avec les media, nos assommants media, dissimulant, matraquant, crânes-bourrant à jet continu, « gouverner indéfiniment contre le peuple » est aisé. Ainsi se fabrique sur mesure un peuple de zombies. Au lieu de ce « peuple » c’est au bien ou au mal qu’il fait au Pays qu’il faut juger les dizaines d’années de « gouvernement » que nous avons connues. L’ « indéfiniment », il est là, à vue humaine et, menaçant, à l’échelle de l’histoire de France, celle-ci n’étant pas immortelle.