Cette chronique que nous reprenons sans commentaire – les lecteurs s’y emploieront si besoin es, est parue dans le Figaro du 9 novembre. Simple occasion de dire notre sympathie pour le courage et les travaux de Laurent Obertone qu’on lira sans faute.
CHRONIQUE – Dans son nouveau brûlot au titre et au ton provocateur, Raisonnablement sexiste (Magnus), le pamphlétaire veut «remettre les hommes et les femmes à leur place». Percutant et dérangeant.
Ainsi est le postmoderne : il aime tout déconstruire, sauf les énormes salades progressistes qu’on lui sert matin, midi et soir. Il renie tous les dieux mais s’agenouille pour réciter le catéchisme néo-féministe.
Ce lundi 6 novembre, toutes les bécasses diplômées et cadres déconstruits ont posté sur LinkedIn le même message : « à partir d’aujourd’hui à 11h25, les femmes vont travailler gratuitement ». Déluge de likes et d’indignations RSE compatibles accompagnèrent ce petit quart d’heure de signalement vertueux : comment, en 2023, 15% d’écarts salariaux entre hommes et femmes ! Nous ne sommes pourtant plus au Moyen Âge !
Peu importe que ce calcul totalement bidon calqué sur le « jour du dépassement » écologiste ait été effectué par l’association militante Les Glorieuses. Peu importe qu’il repose sur des chiffres tronqués faisant l’économie de la donnée principale expliquant les inégalités résiduelles entre hommes et femmes : la maternité, qui reste un privilège féminin (l’homme enceint n’existant pour l’instant que dans le royaume enchanté des émojis).
Ainsi est le postmoderne : il aime tout déconstruire, sauf les énormes salades progressistes qu’on lui sert matin, midi et soir. Il renie tous les dieux mais s’agenouille pour réciter le catéchisme néoféministe. Écarts salariaux, patriarcat, masculinité toxique sont des dogmes auxquels on est prié de croire fissa. Ceux qu’agace cette nouvelle religion liront avec bonheur le dernier ouvrage de Laurent Obertone, Raisonnablement sexiste (Magnus), qui pulvérise ces idoles et idéologies.
En ouvrant le livre de l’auteur de La France Orange mécanique , dont la couverture comporte une image de lion pacifique et dominateur, on s’attendait à un pamphlet masculiniste, vantant la bidoche et les Breum Breum tel un dessin de Marsault. En dépit d’un ton parfois inutilement vulgaire et provocateur, le fond du propos d’Obertone est pourtant percutant de bon sens. A-t-il vraiment tort de penser que, sur la relation hommes-femmes, « l’avis d’une grand-mère est toujours plus pertinent que celui d’un sociologue » ?
Jeu de sélection sexuelle
Aux déconstructeurs fous qui peuplent nos médias et nos universités et qui pensent que s’il n’y a pas assez de femmes scientifiques c’est à cause de la cour de récré, et qu’il suffirait de dégenrer les jouets pour avoir davantage de Prix Nobel de chimie dotés d’utérus ; Obertone rappelle l’importance de la biologie dans la différence des sexes. Non, le patriarcat n’a pas commencé dans les grottes de la préhistoire où les méchants hommes de Cro-Magnon auraient confisqué le bifteck des cro-magnonnes les forçant ainsi à devenir plus petites et moins musclées (aberration scientifique ayant pourtant été défendue par une « anthropologue du CNRS »).
Au commencement était l’anisogamie : la différence entre les gamètes mâles (spermatozoïdes : minuscules, mobiles, très nombreux) et les gamètes femelles (ovules : gros, immobiles, peu nombreux), une différence fondamentale qui entraîne un jeu de sélection sexuelle impliquant vision des choses, attentes et stratégies différentes, voire conflictuelles entre les sexes. « Tout rapport sexuel entraînant potentiellement une grossesse, il est dans l’intérêt supérieur de la femme de se montrer prudente et sélective, donc dans l’intérêt supérieur de l’homme de faire en sorte d’être sélectionné », résume Obertone.
Oui, hommes et femmes vivent sur une planète différente. Les uns pensent à l’Empire romain plusieurs fois par semaine, les autres pensent en novembre à l’organisation des vacances d’été. Et non, tout cela n’est pas qu’une « construction sociale » au service de la domination masculine. Et Obertone de détailler avec un talent de pédagogie et un certain humour le contenu biologique, hormonal, comportemental, cognitif de la différence entre Jean-Claude et Martine, qui ne se limite pas seulement à l’entrejambe.
Ce qui ne signifie pas qu’hommes et femmes ne puissent pas se comprendre et s’aimer, bien au contraire. Obertone ne sombre pas dans le masculinisme, qui semble être une tentation croissante du droitardisme 2.0 en réaction à l’hystérie néoféministe. Aucune misogynie chez lui. Il dépeint non pas une primauté du sexe masculin, ni même une complémentarité un peu gnan gnan des sexes, mais une compétition entre deux espèces qui s’accomplissent dans l’union. Il a des mots doux et forts pour « la particularité du pouvoir féminin, véritable ligne de vie de la civilisation » « moins spectaculaire et reconnu, il est pourtant mieux aiguisé, plus réel et quotidien. Une influence non sur la lointaine cité, l’abstraction, mais sur le clan temporel, les proches, le foyer, le réseau ».
La figure du père
Il pointe les contradictions d’une société à la fois hypersexualisée et hypernormée, qui cherche à renverser tous les vieux interdits, à banaliser l’adultère, à faire croire que tout est permis et sans conséquences en matière sexuelle tout en faisant pénétrer l’État au cœur des foyers pour normativiser la relation hommes-femmes, la polir dans une entreprise de domestication sans précédents. Une société qui nie à la fois la biologie et la culture, les instincts et la civilisation, l’asymétrie du désir et la pertinence du mariage.
Un bémol cependant. Obertone est darwinien. Il pense que la sélection est le moteur de l’histoire humaine. Comme tous les systèmes, le darwinisme pèche par systématisme. À vouloir tout faire entrer dans la grille de la sélection on court le risque du déterminisme. À vouloir tout réduire à la biologie, on en oublie la particularité de l’humain qui est précisément de dépasser ses instincts. De donner une place à la faiblesse au milieu de la loi de la jungle. Ce n’est pas parce qu’une chose est « construite » qu’il faut la déconstruire. Mais ce n’est pas parce qu’une chose est « biologique » qu’il faut s’y réduire. On sent Obertone déchiré entre ses penchants libertariens et conservateurs, entre la promotion de nos « instincts paléolithiques » et celle du mariage chrétien, du mâle animal et du père de famille.
Obertone termine d’ailleurs sa charge épique par une belle évocation de la figure du père. « Devenir parent est une étape majeure de la vie. L’humain est larve, l’amoureux chrysalide. La parentalité est sa forme définitive. La plus belle est la plus risquée », écrit-il. Et plus loin : « un homme ne prend pas feu s’il change une couche ou assiste à un accouchement. Il assume sa mission. » Et pourtant. Les pères n’existent pas dans la nature. Le lion, noble animal qui figure en couverture du livre, n’assiste pas aux accouchements. Ce sont des mâles itinérants, qui répandent leur semence de femelles en femelle sans jamais s’inquiéter de leur progéniture. On n’a jamais vu un loup donner le biberon. Les grands singes se désintéressent totalement de leurs enfants. Le père est une construction sociale. Une des plus belles de la civilisation. Alors, vive les hommes construits ! ■
Très brillante recension, riche en belles formules et mises au point. La production d’Obertone semble s’affiner, se colorer. À vérifier en lisant le livre lui-même.
Obertone proposerait de voir de la compétition entre l’homme et la femme, l’opposant à une complémentarité rejetée comme un cliché « gnan-gnan ». Je ne le suis pas et j’en profite même pour vider mon sac sur cette « compétition » qui a envahi et asséché la langue de tous les jours. C’est un mot français, certes, mais tel qu’il est employé, par les anglo-singes, à tout bout de champ, il fait partie du franglish. On peut le comparer à challenge, mot français lui aussi, mais que la masse, aujourd’hui, propulse avec une « affriquée palato-alvéolaire sourde », à l’anglaise, un peu comme on dit caou-Tchou-c.
Compétition on l’entend partout, ainsi que son dissonant dérivé: « compétiteur ». Il n’y a d’ailleurs presque plus de coureurs, de sauteurs, de nageurs, de slalomeurs, de gymnastes, de poloïstes… juste des compétiteurs! Il y a de moins en moins de rencontres, tournois, joutes, concours, régates, épreuves… juste des compétitions de compétiteurs ! Entendrons nous encore, en 2024, ainsi que je l’ai déjà relevé, annoncer les « compétitions des jeux olympiques » ?
La vie économique, depuis quelques années n’est plus que compétition ! Disparue, ou presque notre concurrence entre concurrents. Il subsiste une Autorité de la Concurrence ; pour combien de temps encore, si le mot n’a plus cours ? La compétition est en passe d’éliminer tous ses concurrents !
Y échappait encore le mariage ou ses ersatz. Avec Obertone tout rentre dans l’ordre de la compétition et, « potentiellement », de la « performance » (deux autres punaises envahissantes).
Tous contre tous, donc. les vrais amis se font rares, comme tous ces faux-amis qui pimentaient l’apprentissage scolaire de l’anglais. Ils avaient bien du charme, ces faux-amis ; ils faisaient bien rire les petites anglaises quand nous les leurs baragouinions à contre-emploi.
Un exemple de faux-ami parmi mille : « concurrence » et « concurrent » ont disparu de l’anglais vivant. C’est peut-être ce qui nous attend. Mais il reste en anglais le beau mais perfide verbe « to concur ». Suivant les jours, il peut signifier collaborer, converger, être d’accord, courir, aussi, côte à côte, voire l’un contre l’autre. Difficile à manier, donc; mais il offre une palette de nuances comparable à celle de notre « concours ». Foin de compétition : voyez-vous un meilleur mot que concours pour décrire les relation d’un homme et d’une femme ?