Par Pierre Debray.*
Cette nouvelle étude reprise de Je Suis Français (1983) est une suite publiée ici au fil des jours de la semaine sauf le week-end. Une fois opérés les correctifs contextuels substantiels qui découlent du changement d’époque, et discerné ce qui est devenu – fût-ce provisoirement – obsolète, elle constitue une contribution utile à la réflexion historique, économique, sociale politique et stratégique de l’école d’Action Française.
Il me semble que les choses se sont passées de façon un peu différente. [Voir l’article précédent] Une jeunesse qui s’ennuyait s’est lancée dans un gigantesque sociodrame.
Elle a mimé la Révolution, grand jeu non sanglant qui exprimait le besoin d’un défoulement collectif. Ritualisées dans les sociétés traditionnelles par les saturnales, le carnaval, toutes ces dérisions de l’ordre, qui restituaient le chaos primitif, le temps d’une fête, relevaient d’une saine hygiène sociale, tout comme ces cérémonies pénitentielles, suscitées jadis par les prédicateurs, pendant lesquelles la peur de l’enfer, habilement exploitée, permettait à une ville tout entière de se libérer des péchés. La fin de la guerre d’Algérie, qui avait privé les étudiants d’un prétexte vertueux pour s’agiter, les livrait à la banalité. Ils ont cherché un dérivatif. Rien de plus, quoi que nous ayons pu en écrire, les uns et les autres. A preuve, aux Etats-Unis, le mouvement s’est lui aussi produit alors que la bataille pour « l’intégration raciale » était terminée.
La petite peur des adultes, dénoncée, non sans courage, par Raymond Aron, eut des conséquences beaucoup plus graves. Les professeurs, les députés, les pères signèrent leur acte d’abdication, tout comme Charles X en 1830, qui aurait conservé son trône s’il avait accepté de faire couler le sang, mais pour des raisons moins nobles. Ils ont aboli un système éducatif fondé sur le respect de la hiérarchie du savoir, la sélection et l’effort. Certes, il fallait le réformer. Il avait vieilli et sans doute répondait-il mal à la nécessité de former rapidement des cadres pour une économie en pleine expansion. L’afflux des étudiants l’avait désorganisé. On avait embauché à tour de bras des assistants sans trop se préoccuper de leur qualification. Au bas de .l’échelle, les choses s’étaient aussi mal passées. Le recrutement d’instituteur était devenu si urgent, du fait d’une poussée démographique dont des gouvernements imprévoyants ne s’étaient souciés que trop tard pour y trouver des solutions efficaces, qu’on avait pris n’importe quel bachelier, sans se préoccuper de lui fournir une formation pédagogique.
D’où une dévalorisation de la fonction enseignante, mal payée, mal recrutée, mal respectée. C’est à ce niveau qu’il aurait fallu agir. Or, financièrement, l’éducation nationale a été sacrifiée. par démagogie. à la santé publique. On a construit des hôpitaux, souvent luxueux, formé de nombreux médecins, laissé les dépenses médicales augmenter démesurément sans songer qu’il convenait, si l’on voulait que la nation puisse supporter les charges financières que cela impliquait, répartir l’effort de façon plus équitable, en faveur de l’université. L’on a misé sur le présent, la santé, en négligeant l’avenir, l’enseignement.
L’éducation nationale
sacrifiée.
La véritable leçon de mai 68 était là, dans cette angoisse d’une jeunesse, encore nombreuse, devant l’avenir. Les adultes capitulards se sont lancés dans des « réformes ». Mal appliquée dans ce qu’elle avait de bon, la réforme d’Edgar Faure ne le fut que dans ses aspects franchement néfastes. Quant ik la réforme Haby, sortie du rapport Langevin-Wallon, d’inspiration marxiste, elle s’est révélée désastreuse. Il suffit d’énumérer les conséquences. Au niveau du primaire : des méthodes pédagogiques grotesques (les activités d’éveil), les classes trop nombreuses, la présence d’une proportion excessive d’immigrés qui auraient dû bénéficier d’un enseignement différent peut-être bilingue. Tant qu’à scolariser le petit arabe qu’on ne l’arrache pas à sa culture familiale, en étant incapable de l’intégrer à la nôtre. A ce jeu, l’on saccage toute une génération, dans les quartiers à forte densité d’immigrés. Comment apprendre à lire à des enfants quand la classe rassemble trente ethnies pour trente-cinq élèves ? Le déchet est si élevé que l’on commence à s’en inquiéter. A la sortie du primaire, 25% des effectifs ne maitrisent ni la lecture, ni l’écriture. Ne parlons pas de l’orthographe. Quant aux rudiments d’histoire et de géographie, réduits au rang d’activités d’éveil, ils ne sont assimilés, que par un enfant sur six.
Au niveau du secondaire, le « tronc commun » aboutit à livrer les classes qui décident du développement intellectuel de Tenfant, la sixième, la cinquième et la quatrième, aux « professeurs d’enseignement général » (PEG), des instituteurs dont les méthodes ne conviennent qu’à la formation de cadres subah ternes, ce qui était effectivement le rôle, dans le passé, du « primaire supérieur »: Elles ne permettent ni de cultiver l’esprit critique, ni de favoriser la curiosité d’esprit.
Dans les classes supérieures, les professeurs se heurtent à des adolescents qui manquent des bases indispensables et du goût de l’étude. Le laxisme de l’administration, l’absence de discipline font le reste. Ne parlons pas de l’enseignement technique.
Dans trop de cas la médiocrité d’un personnel peu ou mal qualifié, la vétusté du matériel et l’inadéquation des formations condamnent les petits malheureux, que l’on y exile, à se retrouver à seize ans sans métier et, trop souvent, sans désir d’en acquérir.
M. Savary se prépare à donner le coup de grâce à l’enseignement supérieur. Faute de sélection à l’entrée que d’étudiants choisissent des filières qui ne mènent à rien. A quoi peut bien servir la « scénique », sinon à passer le temps ? Le promoteur de cette « spécialité » M. Bernard Dort, qui l’enseigne en Sorbonne, explique qu’elle ne forme pas des metteurs en scène, comme on pourrait l’imaginer, mais des gens capables de réfléchir sur la mise en scène, de purs théoriciens, à l’image de leur maître. Que fera-t-on d’eux ? Tous ne pourront pas écrire dans le Monde des articles obscurément pédants, comme le fait M. Dort. Certes, ce cas reste extrême. Il illustre, néanmoins, la manière dont se fabrique un prolétariat intellectuel, arrogant et ignorant, qu’il faut bien employer, grâce aux maisons de la culture, à « la vie associative », à « l’animation » et autres fanfreluches coûteuses et parfaitement inutiles.
Le peuple travailleur exploité par le peuple paresseux
Ainsi l’Université, de l’analphabète au diplômé, en passant par la dactylo, forme une quantité sans cesse croissante d’individus qui ne peuvent trouver preneur sur le marché du travail et, d’ordinaire, s’en montrent plutôt satisfaits. Cette plèbe moderne réclame, comme l’antique, du pain et des jeux. Il ne faut pas se faire d’illusions, elle a cessé d’être cette écume qui se forme sur les marges des sociétés. Elle tend à devenir majoritaire puisque notre système scolaire vise, de moins en moins, à donner aux jeunes la capacité intellectuelle et morale, d’être employés dans une économie, qui exige toujours plus de personnel qualifié.
Le moment vient où cette plèbe coûtera tellement cher à entretenir, d’autant qu’il ne suffit plus de la nourrir et de l’amuser, mais qu’elle se constitue en secteur économique sans préoccupation de rentabilité ou de productivité, que le secteur productif s’effondrera. On peut se demander d’ailleurs si ce secteur productif trouvera longtemps des candidats à l’embauche. Il est tellement plus amusant d’être « animateur » qu’ingénieur, joueur de banjo que technicien. Rendu à ce point, système scolaire ne peut plus être réformé. A quoi servirait d’ailleurs d’ajouter une réforme, même contraire, à toutes les autres. Il faut le détruire, de fond en –comble. Delenda Schola ! (À suivre, demain jeudi) ■
* Je Suis Français, 1983
Lire aussi notre introduction à cette série…
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source