Prix Nobel d’économie 2022 : “c’est l’hôpital qui se moque de la Charité”. Épargnants, prenez garde !


Par Georges Nurdin.

Cet article – que nous trouvons intéressant sans qu’il s’ensuive, bien-sûr, un accord global de notre part – est paru dans Capital mardi 8 novembre. Il s’inscrit dans le sillage du doute grandissant qui entourne désormais l’attribution du Nobel. Celui de littérature récemment. On sait les critiques qu’il a soulevées… Et, en l’espèce le Nobel d’économie.  En la matière, l’auteur n’est pas un simple quidam et, manifestement il connaît son sujet. Il fut un temps où la France collectionnait les Nobel et où, nous semble-t-il, on les savait mérités. Nos gloires reconnues, que le Nobel confirmait plutôt qu’il ne les créait,  cela nous a peut-être conduits par la suite à une excessive confiance, un peu béate, un peu crédule, un peu servile, envers ce prix qui nous a tout l’air d’avoir perdu une bonne part de son sérieux présumé d’autrefois. Il faut, toujours, régulièrement, remettre les pendules à l’heure. Et c’est entre autres choses, ce qui nous a plu, avouons-le, dans cet article, en outre bien documenté.   

Tribune libre. L’attribution du prix Nobel d’économie 2022 “n’est pas qu’un acte gratuit de pur cynisme”, avertit Georges Nurdin, économiste, consultant international essayiste et écrivain.

Il en est des Nobel d’Économie, comme des vins : certaines années sont exceptionnellement bonnes et certaines exceptionnellement mauvaises : 2022 fait partie, hélas, de cette dernière catégorie. C’est un compendium de cynisme, une forme de mépris à la fois totalement aboutie et assumée. En résumé et suivant l’adage populaire c’est “l’Hôpital qui se moque de la Charité”. Pourquoi ? Parce que l’on assiste non seulement à la légitimation “scientifique” par une banque des pratiques les plus dévoyées d’autres banques, et en particulier de celles qui ont fait frôler au monde entier sa plus grave crise depuis celle de 1929, je veux citer la crise dite des subprimes en 2007/2008, mais en outre, à leur onction académique la plus ultime ! Cynisme absolu d’auto-gratification circulaire. C’est la banque qui congratule la banque pour ses turpitudes passées, et en fait même un dogme académique, scientifique !

Je m’explique. D’abord, il faut bien garder en tête que le prix Nobel d’Économie, contrairement à tous les autres prix éponymes n’a jamais été institué par Alfred Nobel dans son testament de 1895, d’autant moins qu’Alfred Nobel lui-même disait haut et fort qu’il n’avait aucune formation en économie et qu’il la haïssait (!). C’est donc une création très récente (1968) de la Banque de Suède qui s’appelle en fait le Sveriges Riksbank Prize in Economic Sciences qui est venu subrepticement s’agréger aux Prix Nobel déjà existants pour finir par prendre la dénomination de prix Nobel de sciences économiques. Encore aujourd’hui ce prix est doté par une banque, la Banque de Suède.

Ensuite la raison officielle donnée pour l’attribution du Prix Nobel cette année 2022 à ces 3 américains est, en substance, la suivante : la raison d’être des banques étant de canaliser l’épargne populaire vers les investissements “productifs” et contribuant ainsi à l’économie, les crises (comme celles de 1929 ou 2007) risquent de les mettre à mal, notamment lorsque les épargnants font un bank run, en gros lorsqu‘ils se précipitent pour retirer et sauver ce qui reste de leur épargne par crainte ou manque de confiance ( via les rumeurs).

Donc, il faut éviter que les petits épargnants puissent, à leur gré, retirer quand bon leur semble leur épargne. Il faut préserver en toutes circonstances les banques qui sont toutes “vitales” (sic !) pour l’économie. CQFD ! Aussi simple que cela. Le monde s’organise donc de manière binaire entre d’ un côté les “bons”, les vertueux banquiers, et de l’autre les “méchants”, les vilains, petits épargnants qui ne font pas (toujours) aveuglément confiance à leur banque et qui, pour certains, vont même jusqu’à leur retirer leur épargne, et du coup mettre en difficulté les “bons” banquiers.

Or, dans les faits, c’est exactement l’inverse qui s’est produit. Qu’on se souvienne : en 2007 ce sont les banques, en premier lieu américaines, qui ont spéculé avec l’argent déposé par leurs épargnants. He oui car l’abolition en 1999 du Glass-Steagall Act – qui depuis 1933 (suite à la débâcle de 1929) protégeait les épargnants en séparant la banque de dépôt de la banques d’affaires – permettait dès lors, en toute légalité aux banques d’utiliser à l’insu de leurs clients l’argent déposé par leurs épargnants pour leurs propres affaires – que certains appellent investissements – dont les plus douteuses. C’est ainsi que des centaines de millions de petits épargnants et clients vont se trouver, à leur insu donc, en possession, ou arrosés de subprimes, c’est-à-dire de titres totalement pourris, bien cachés au fond de packages préfabriqués (produits dits structurés) et “placés” par les banques. Le tout avec la bénédiction des banques centrales, dont la… Fed.

Puis la crise, la “bulle”, éclate au grand jour et Lehman Brothers “saute” …Et là, encore contrairement à ce qui est soutenu par les Nobel 2022, ce n’est pas le bank run des petits épargnants qui assèche les liquidités et paralyse l’économie financière. Ce sont les banques qui se méfiant l’une de l’autre – ne sachant plus réellement le degré de putréfaction de leurs bilans respectifs – ne se font plus confiance et ne se font donc plus crédit entre elles ! L’argent ne circule plus. Plus de liquidités, plus possible de faire face, non pas aux retraits des petits épargnants, mais aux margin calls, ces appels de marges des voraces “Méga Fonds”… c’est le fameux cash freeze ! …

Donc, non seulement les banques ont provoqué la crise, mais en outre elles l’ont amplifiée et généralisée, puis fait payer à toute la planète !

Puis, devant la possibilité de voir d’autres banques aux actifs pourris basculer à leur tour, la doxa du moment, devient “too big to fail”, autrement dit, les banques pour se sauver elles-mêmes de la faillite prennent en otage leurs propres épargnants et leurs clients et leur disent en somme : “si je plonge, tu plonges avec moi!” et c’est ainsi que la Banque centrale Américaine, la Federal Reserve dirigée alors par un certain… Ben Bernanke a une idée de “génie” : au lieu d’assainir la situation et de profiter de cette situation historique pour enfin séparer naturellement l’ivraie du bon grain, décide, au contraire de l’absolution plénière pour tous ! Puisqu’il y a cash freeze, ne sachant plus qui est pourri et qui l’est moins ou pas du tout, on va donc arroser toutes les banques avec des milliards de liquidités . C’est le début de 15 ans de QE, de Quantitative Easing, mot abscons pour désigner la bonne vieille planche à billet et la dette phénoménale qui s’en suit ! Maux dont on souffre encore aujourd’hui : la surabondance inouïe de liquidités crée par le QE a joué un rôle majeur dans la reprise ravageuse de l’inflation que nous subissons aujourd’hui.

Mais il ne faut pas s’y tromper, le fait de décerner le Nobel 2022 pour ce qui reste une erreur majeure et un geste inique n’est pas qu’un acte gratuit de pur cynisme. Il peut (doit ?) se lire comme le précurseur de la mise en pratique de cette théorie, maintenant ointe du signe de la science ultime : le Nobel, pour, lors d’une prochaine crise, “sauver” l’économie.

Dans le sens où pour empêcher les “vilains” petits épargnants de faire un “bank run”, s’ils venaient à perdent leurs nerfs (c’est-à-dire à ne plus croire aveuglément à la doxa banquière du moment), il conviendrait de “geler” (temporairement bien sûr) ou de confisquer (avec clause de retour à meilleure fortune évidemment), une partie (totalité ?) de leur épargne et comptes courants afin de ne pas “écrouler” les vertueuses banques. Car, on s’en souvient, elles sont “vitales” (sic)

L’expérience grandeur nature a déjà été pratiquée au sein de l’UE, à Chypre, en 2012… Et personne n’ a “moufté”, même “notre” BCE a trouvé cela parfaitement “sain”, ce qui veut dire que c’est désormais plus qu’un “précédent”, c’est un acquis, et que cette pratique est donc “généralisable”, et surtout frappée, maintenant, à la faveur des Nobels 2022, au coin de la “science économique”.

Et comme par ailleurs, la banque de détail n’est toujours pas séparée de la Banque d’affaires’ et que les “fonds d’investissements et autres Private Equity funds” restent toujours aussi opaques et ne sont toujours pas obligés de publier, ni de faire auditer leurs comptes, et encore moins de révéler leur actionnariat véritable, les même causes produisant les mêmes effets, nul ne peut garantir qu’un nouveau “2007/2008” n’est pas juste devant nous. Surtout quand on voit le Crédit Suisse vaciller dans la tourmente d’un contexte actuel d’hyperinflation, couplée à une récession majeure.

Ce Nobel 2022 de l’Économie inspire tellement de dépit, de déception et de cynisme, que l’on préfère se tourner vers le Nobel de… littérature. Là, au moins, on sait que c’est “du roman”.  


 

Georges Nurdin, économiste, consultant international essayiste et écrivain (Les multinationales émergentes, International Corporate Governance, Le temps des turbulences, Wanamatcha !, La prophétie des pétroglyphes).

Merci à Marc VERGIER de sa transmission.

3 commentaires pour “Prix Nobel d’économie 2022 : “c’est l’hôpital qui se moque de la Charité”. Épargnants, prenez garde !

  1. “l’Hôpital qui se moque de la Charité”
    Je ne suis pas convaincu de la pertinence du titre choisi par M. Nurdin pour son excellent article. Outre les protagonistes visés par l’expression, l’idée de moquerie est totalement étrangère à ce qui est dénoncé, sauf à comprendre que l’auteur se prendrait lui-même pour un hôpital. Ce pseudo « Nobel » serait plutôt le milieu suédois honorant – très sérieusement – la mafia pour le plus beau cambriolage sans dynamite.

    Lien vers une image qui me semble un juste emploi de l’expression en question:
    https://admin.lalanguefrancaise.com/wp-content/uploads/2022/02/584px-Lho%CC%82pital_qui_se_moque_de_la_charite%CC%81.jpeg

  2. Je me souviens de CHYPRE , dans la nuit, le Gouvernement a ponctionné 10% de tous les dépôts bancaires, pour a t-il dit rembourser la dette du pays , je ne sais pas si l’argent a été rendu depuis

  3. Excellente analyse, en tous points conforme à la vérité. La banque n’a pas changé depuis l’affaire de Panama, et elle ne changera jamais. Je trouve même que l’auteur ne souligne pas assez le rôle des intermédiaires de crédit, dont l’attitude crapuleuse a permis la souscription de prêts totalement impossibles à rembourser, mais porteurs de commissions juteuses. Et ne parlons pas des banques-poubelles comme Natixis à sa fondation. Il appartient à l’État de protéger l’épargne. Évidemment, il faut d’abord avoir un État.

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